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Loi de l’immigration chinoise

La Loi de l’immigration chinoise de 1923, connue aussi comme la loi sur l’exclusion des Chinois, interdit pendant 24 ans l’arrivée de pratiquement tous les immigrants chinois. Bien que l’immigration provenant de la plupart des pays soit alors contrôlée ou limitée d’une façon ou d’une autre, seuls les Chinois sont totalement interdits d’entrée selon des critères raciaux. Seules quatre exceptions à l’exclusion sont prévues : les étudiants, les commerçants (hormis ceux travaillant dans les blanchisseries, les restaurants et les commerces de vente au détail), les diplomates et les Chinois nés au Canada qui reviennent après avoir étudié en Chine. Les Canadiens d’origine chinoise ne peuvent pas s’absenter du Canada pendant plus de deux ans, sans quoi ils peuvent se voir interdits d’entrée. En outre, toute personne d’origine chinoise, qu’elle soit née au Canada ou naturalisée, doit s’enregistrer et obtenir une carte d’identité dans les 12 mois. Ceux qui omettent de le faire sont passibles d’emprisonnement ou d’une amende pouvant atteindre 500 $. Bien que la loi soit abrogée en 1947, les restrictions en matière d’immigration basées sur la race et l’origine nationale ne sont entièrement levées qu’en 1967.
Certificat d‘identification de Jean Lumb

Contexte

Le mouvement antichinois s’enracine après l’arrivée de la première vague d’immigrants chinois venus en Colombie-Britannique pour profiter de la ruée vers l’or de 1858. Une deuxième vague survient lorsque des ouvriers viennent contribuer à la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique (1881-1885). Bien que nécessaire au développement de l’Ouest canadien, cette main-d’œuvre est jugée indésirable par une partie de la population qui entretient des sentiments anti-immigration, comme l’illustre le slogan « White Canada Forever ». Cette expression populaire chez les politiciens et les médias tire ses origines des mesures visant à favoriser le maintien d’un Canada blanc, prévues dans la Loi de l’immigration de 1910. Si cette loi ne nomme aucun groupe ethnique spécifique, elle permet tout de même de limiter l’arrivée « des immigrants appartenant à une race réputée impropre au climat ou aux exigences du Canada », ce qui constitue le fondement racial de la politique d’immigration canadienne jusqu’en 1967 (voir Préjugés et discrimination au Canada).

Après l’achèvement du chemin de fer du Canadien Pacifique, le ressentiment envers le « péril jaune » prend de l’ampleur dans la population, et mène à l’adoption de plus d’une centaine de lois et politiques provinciales qui restreignent les droits des résidents chinois. (L’expression « péril jaune », qui apparaît à la fin du 19e siècle, fait référence aux immigrants chinois et japonais après leur arrivée aux États-Unis et au Canada pour travailler comme ouvriers; elle illustre bien les préjugés qu’entretiennent alors les Occidentaux à l’égard des immigrants asiatiques.) Parmi toutes les mesures prises par le gouvernement canadien, la plus raciste et restrictive est la Loi de l’immigration chinoisede 1885. En vertu de cette loi, une taxe d’entrée de 50 $ est imposée à tous les immigrants chinois. La taxe d’entrée est augmentée à 100 $ en 1900 et à 500 $ en 1903. Cette mesure n’a cependant pas l’effet escompté, puisque l’immigration chinoise continue d’augmenter. La population chinoise triple durant la période de la taxe d’entrée, passant de 13 000 en 1885 à 39 587 en 1921. Une solution draconienne s’impose alors : l’exclusion.

Le 1er juillet 1923, le jour de la fête du Dominion, qui deviendra plus tard la fête du Canada, une nouvelle Loi de l’immigration chinoise est adoptée. Pour les Chinois du Canada, cette journée sera connue comme le « Jour de l’humiliation ». Ils refuseront de se joindre aux célébrations de la fête du Canada pendant de nombreuses années.

Vie communautaire

De l’avis du gouvernement, la Loi de l’immigration chinoise est un énorme succès. Au cours de la période d’exclusion, moins de 50 immigrants chinois sont autorisés à entrer au pays. La population chinoise diminue de 25 %, passant de 39 587 en 1921 à 32 528 en 1951. Non seulement la loi met fin à l’immigration chinoise, mais elle vise aussi à perturber la vie de famille et à nuire à l’épanouissement des communautés chinoises.

En 1941, parmi les 29 033 hommes chinois se trouvant au Canada, plus de 80 % ont une femme et des enfants encore en Chine. En raison de ces séparations, ces « célibataires mariés » vivent seuls. Durant la période d’exclusion, seule une poignée d’entre eux ont les moyens financiers de retourner en Chine à quelques reprises afin de se marier ou de visiter leur femme et leurs enfants. Qu’ils soient Canadiens de naissance ou par naturalisation, ils ne sont pas autorisés à parrainer des membres de la famille pour les faire venir au Canada.

En l’absence de vie familiale, la communauté chinoise compte sur des associations traditionnelles non seulement pour socialiser et se détendre, mais aussi pour obtenir de l’aide financière, des services bancaires, des services sociaux ainsi que de l’aide à l’emploi et au logement. Ces associations, dont certaines unissent leurs membres sur la base de leurs noms de famille ou de leur lieu d’origine, offrent un havre de paix pour une société composée de célibataires.

Des associations politiques, quant à elles, rivalisent entre elles pour attirer des membres, sans égard à leur nom de famille ou à leur lieu de naissance. En raison de différences idéologiques, les associations ont des opinions divergentes sur les événements qui se déroulent en Chine. En de rares occasions, cependant, des événements amènent des groupes disparates à s’unir, comme c’est le cas lors de l’adoption de la Loi de l’immigration chinoise. Un regroupement national d’organisations chinoises, entre autres groupes, épuise tous les recours juridiques et politiques pour faire abroger la loi et les « 43 sévères restrictions » qu’elle contient.

Vie économique

Les préjugés et la discrimination à l’égard des Chinois sont déjà bien répandus au moment de l’adoption de la Loi de l’immigration chinoise. Ceux-ci sont traités comme des citoyens de seconde zone issus d’une race inférieure (voir Racisme). Des lois leur interdisent de voter, d’occuper des fonctions officielles et d’être propriétaires, limitent leurs options en matière d’emploi et de logement, et imposent de nombreuses autres restrictions. Les travailleurs blancs et les syndicats nuisent à leur capacité de gagner leur vie. En plus de devoir payer les dettes liées à la taxe d’entrée, ils touchent des salaires inférieurs. Accablés par ces conditions difficiles, les Chinois exploitent souvent de petites entreprises telles que des blanchisseries, des restaurants et des épiceries. Dans bien d’autres cas, plutôt que de retourner en Chine et devoir renoncer aux revenus qui soutiennent leurs familles qui s’y trouvent toujours, les Chinois travaillent comme domestiques ou cuisiniers, des emplois boudés par les Blancs en raison de leur faible rémunération et de leur statut inférieur.

Les besoins des familles en Chine sont si urgents que les Chinois doivent se tourner vers des solutions désespérées. Durant la période de la taxe d’entrée, on met sur pied un système d’immigration clandestine permettant à des Chinois, des hommes pour la plupart, de venir au Canada sous une fausse identité grâce à des documents frauduleux. Ces immigrants clandestins, parfois appelés « fils sur papier », adoptent de nouveaux noms de famille, puis assument l’identité d’une personne qui ne se prévaut pas de son droit de revenir au Canada. Non seulement le prix à payer pour obtenir la fausse identité est très élevé, mais ces personnes doivent aussi vivre dans la peur d’être expulsées vers la Chine, tout en devant garder secrète leur identité réelle, même auprès de leurs descendants.

La Grande Crise (1929-1939) s’ajoute à leurs difficultés. Le taux de chômage chez les Chinois atteint 80 % à Vancouver, en net contraste avec le taux de chômage global de la ville, qui est de 30,2 % en 1931. L’importance de « sauver la face » étant une valeur culturelle profondément ancrée dans leur culture, les Chinois refusent souvent demander de l’aide à l’extérieur de leur communauté. Bien que la plupart des Chinois se tournent vers leurs associations traditionnelles pour obtenir de l’aide financière, ceux qui doivent compter sur le gouvernement reçoivent moins d’argent que prévu. À titre d’exemple, les allocations de secours de 1,12 $ par semaine pour les Chinois en Alberta représentent moins de la moitié de ce qui est accordé aux autres Albertains.

Années de guerre, 1937-1945

Durant les années d’exclusion, les nouvelles provenant de la Chine n’ont rien pour rassurer. Le parti nationaliste au pouvoir (Guomindang) livre des guerres civiles contre des chefs de guerre de même que les forces communistes, qui sont en pleine progression. En plus de ces conflits, la Chine doit composer avec la menace extérieure du Japon, alors que surviennent d’abord des incidents mineurs avant le déclenchement de la guerre sino-japonaise en 1937 et l’occupation de la Chine. L’envoi de lettres et la transmission de versements d’argent vers la Chine sont interrompus après la prise japonaise de Hong Kong, un important centre de communication reliant la Chine et l’Amérique du Nord. Il devient alors impossible pour les Chinois au Canada de recevoir des nouvelles de leurs familles restées en Chine.

Le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale en 1939 marque un tournant dans l’histoire des Sino-Canadiens. La guerre leur donne l’occasion de servir dans les forces armées dans le but de démontrer leur loyauté et leur patriotisme et espérer ainsi obtenir le droit de vote. La question divise cependant la communauté chinoise en deux factions : d’une part, ceux qui veulent servir dans l’armée pour pouvoir ensuite obtenir des droits, et d’autre part, ceux qui croient plutôt qu’ils ne devraient pas aller au combat en l’absence de droit de vote.

La déclaration de guerre contre le Japon en 1941 constitue un autre tournant. Le Canada et la Chine sont alors alliés dans la lutte contre le Japon. La politique militaire interdisant le recrutement de Sino-Canadiens est renversée en 1944, à la suite de l’adoption d’un amendement à la Loi sur la mobilisation des ressources nationales de 1940. On estime que 600 Chinois, dont plusieurs femmes, s’enrôlent dans les trois branches des Forces armées canadiennes.

À la fin de la guerre en 1945, l’hostilité envers la communauté chinoise diminue et la couverture médiatique à son égard devient plus favorable en raison de ses efforts de guerre non seulement sur les champs de bataille, mais aussi en lien avec ses collectes de fonds et ses campagnes pour les emprunts de la Victoire. Les politiciens, les syndicats et les anciens combattants se joignent à l’Église pour demander au gouvernement canadien d’abroger sa législation antichinoise. La Charte des Nations Unies, adoptée en 1945, et la Déclaration universelle des droits de l’homme s’ajoutent à la pression que subit le gouvernement. Avec ses politiques antichinoises, le Canada, en tant que pays signataire, enfreint ces nouveaux droits universels.

En 1947, le Canada abroge la Loi de l’immigration chinoise. Si l’exclusion est officiellement supprimée, les immigrants chinois continuent à être traités de façon inéquitable en raison du décret C.P. 2115. En vertu de ce dernier, l’entrée est limitée aux conjoints et aux enfants (âgés de moins de 18 ans) des citoyens canadiens, à une époque où seulement 8 % des résidents chinois nés en Chine sont citoyens canadiens naturalisés. Les immigrants provenant d’autres pays ne sont pas soumis à pareilles restrictions. Des délégations chinoises et non chinoises se rendent à Ottawa chaque année pour faire pression pour que le gouvernement canadien adopte une politique d’immigration qui faciliterait la réunification des familles. Pendant encore 20 ans, les hommes qui rêvent de faire venir leur famille au Canada ne pourront le faire.

En 1967, les restrictions en matière d’immigration basées sur la race et l’origine nationale sont finalement abolies. Les immigrants chinois peuvent désormais déposer une demande sur un pied d’égalité avec les demandeurs d’autres pays.

Excuses et réparations

Pendant plus de 20 ans, le gouvernement fédéral est pressé de présenter des excuses pour les injustices causées par ses politiques d’immigration antichinoises. Le 22 juin 2006, le premier ministre Stephen Harper présente officiellement ses excuses pour la taxe d’entrée (1885-1923) et la politique d’exclusion (1923-1947). Des paiements symboliques sont offerts aux payeurs de la taxe d’entrée qui sont encore en vie et aux conjoints et conjointes des payeurs décédés. Un fonds de secours est établi pour financer des projets de commémoration et pour éduquer les Canadiens au sujet des injustices historiques subies par la communauté sino-canadienne. La première ministre de la Colombie-Britannique, Christy Clark, présente également ses excuses le 15 mai 2014, et promet un fonds d’un million de dollars pour le financement d’initiatives éducatives.

En 2023, le gouvernement fédéral désigne l’exclusion des immigrants chinois du Canada de 1923 à 1947 comme événement historique national.

Importance

Pendant 24 ans, la Loi de l’immigration chinoise met un terme à l’entrée d’immigrants chinois au Canada et restreint sévèrement le développement économique, social et communautaire des Chinois résidant au Canada. Après la Deuxième Guerre mondiale, l’abrogation de cette législation discriminatoire, l’obtention du droit de vote et l’adoption de la Loi sur la citoyenneté en 1947 ouvrent la porte à une inclusion équitable et une participation accrue de la communauté chinoise dans la vie canadienne. Les Sino-Canadiens peuvent enfin assumer leur juste place comme citoyens canadiens à part entière.