Cinéma documentaire
Pendant la majeure partie du 20e siècle, au Canada, le cinéma documentaire rimait presque toujours avec l'OFFICE NATIONAL DU FILM (ONF). Cependant, le cinéma documentaire existait bien avant l'ONF et, vers la fin du 20e siècle, une tradition de cinéma documentaire commence à se développer chez les Indépendants. En effet, au début du XXe siècle, des compagnies comme la Canadien Pacifique et Massey-Harris utilisent le cinéma à des fins promotionnelles. De plus le gouvernement canadien produit des films pendant la Première Guerre mondiale, ce qui l'amène à mettre en place son propre organisme. Le Bureau de cinématographie du gouvernement canadien verra le jour en 1923, véritable figure de proue des actualités filmées. Sa réalisation la plus remarquable reste Lest We Forget (1935), un documentaire sur l'effort de guerre canadien pendant la Première Guerre mondiale, réalisé à partir de films d'actualités, de dessins et de reconstitutions. Une autre réussite, The Royal Visit (1939), fixera sur pellicule la visite royale de 1939
Pendant les années 30, Associated Screen News, une compagnie privée de Montréal, produit de nombreux films et séries destinés aux cinémas, dont Canadian Cameo. C'est au sein de cette compagnie que Gordon SPARLING, l'auteur de Rhapsody in Two Languages (1934), un classique d'avant-guerre, poursuit sa carrière. Au Québec, quelques prêtres, dont Maurice PROULX et Albert Tessier, chantent le pays et les vertus catholiques tout en laissant à la postérité des documents témoignant d'une époque révolue.
L'Office national du film
Avec John GRIERSON, à qui l'on doit la création de l'ONF en 1939, le documentaire prend son essor. La guerre rend nécessaire un cinéma de propagande, et des séries comme Canada Carries On (v.f. En avant Canada) et The World in Action rejoignent des millions de spectateurs. Grierson tourne aussi des films sur les minorités ethniques, les Indiens, les problèmes sociaux et l'art canadien. La fin du conflit, en 1945, marque le début d'une nouvelle orientation à l'ONF. Au début des années 50, un groupe de jeunes cinéastes de l'ONF rattachés au studio B réalisent une série de documentaires sur la réalité canadienne. Corral (1954; v.f. Corral), City of Gold (1957; v.f. Capitale de l'or) et Lonely Boy (1961; v.f. Paul Anka) jettent un regard sensible et posé sur le passé et le présent. La série The Candid Eye, conçue pour la télévision, aborde des thèmes à caractère social avec The Days Before Christmas (1958; v.f. Bientôt Noël) et The Back-Breaking Leaf (1959; v.f. La feuille qui brise les reins). De 1952 à 1958, le studio B, sous la direction de Tom DALY, produit des émissions pour la télévision. C'est en 1958, que Radio-Canada tiendra les rênes.
Les Indépendants
Dans le secteur privé, Allan KING acquiert une réputation internationale avec ses films de cinéma-vérité : Wanendale (1967) et A Married Couple (1969). Il fonde sa propre compagnie de production de documentaires avant de se lancer dans la réalisation de films de fiction. Il revient au documentaire pour tourner Who's in Charge (1983), un film provocateur. F. R. « Budge »CRAWLEY, un cinéaste d'Ottawa, dont la compagnie existe depuis 1938, voit sa longue et brillante carrière couronnée par un Oscar pour The Man Who Skied Down Everest (1975; v.f. Miura, le skieur de l'Everest). Il compte déjà à son actif The Loon's Necklace (1948; v.f. Le collier magique). Harry RASKY devient célèbre en traçant le portrait de personnages connus, comme Marc Chagall, Will et Ariel Durant, Leonard COHEN, Arthur Miller et Anne Frank.
La contribution des femmes à l'industrie privée donne lieu à des films remarquables. Diane Létourneau se penche sur le rôle des religieuses au sein de la société québécoise dans Les Servantes du bon Dieu (1979), tandis que Luce Guilbeault trace un portrait des femmes à la maison dans D'abord ménagères (1978). Janis Cole et de Holly DALE, productrice et metteuse en scène, travaillent ensemble à Toronto et ont tourné des documentaires marquants : P4W - Prison for Women (1981) et Calling the Shots (1988).
Ailleurs au Canada, d'autres cinéastes se font aussi connaître : sur la côte Ouest, Phillip BORSOS, avec Nails (1979; v.f. Clous); dans les Prairies, Tom RADFORD, avec China Mission (1980) et Anne WHEELER, avec War Story (1982); à Winnipeg, Michael Scott, For Gentlemen Only (1976) et Bob Lower, Something Hidden (1981); enfin, à Halifax, Kent Martin, Empty Harbours, Empty Dreams (1979, v.f. Des ports déserts, des rêves enfuis). À la fin des années 70, le Québec mobilise de nouveau son talent pour le documentaire et réalise des films sur la musique québécoise (série Le Son des Français d'Amérique, 1973-1977), les autochtones (série Carcajou et le péril blanc, 1973-1976), son patrimoine (série La Belle Ouvrage, 1977-1980), les défavorisés (série Les Exclus, 1978) et la vie quotidienne (série Chronique de la vie quotidienne, 1973-1978).
Même si la prédominance de la télévision dans le documentaire a influencé le style de ce genre de film, les cinéastes canadiens continuent à produire d'excellents documentaires. Ron Mann commence sa carrière avec deux films sur le jazz et la poésie, Imagine the Sound (1981) et Poetry in Motion (1982). Brigitte Berman tourne deux films sur les grands artistes américains de jazz et de blues : le trompettiste Bix Beiderbecke dans Bix: ain't anybody play like him yet (1981) et Artie Shaw: Time Is All You've Got (1985), un film sur le célèbre clarinettiste américain, qui lui vaut l'Oscar du meilleur film documentaire. John WALKER produit Strand (1989), un excellent documentaire sur le grand photographe américain Paul Strand.
À la fin du XXe siècle, à cause d'importantes restrictions budgétaires, on verra diminuer le rôle de l'ONF. En résultera plus de possibilités pour les documentaristes indépendants. La production est aussi diversifiée que le sont les cinéastes. Sur la côte Ouest, Nettie Wild réalise deux documentaires politiques : A Rustling of Leaves (1990), qui traite de la guérilla aux Philippines, et Blockage (1993), un film sur l'exploitation du bois en Colombie-Britannique. Simcha Jacobovici explore son héritage juif dans Falasha: Exile of the Black Jews (1983), Deadly Currents (1991; v.f. Courants meurtriers) et Hollywoodism (1997).
Peter Wintonick et Mark Achbar prennent pour sujet le spécialiste des médias Noam Chomsky dans Manufacturing Consent (1992; v.f. Fabrication du consentement). Aerlyn Weissman et Lynne Fernie jettent un regard attendri sur l'histoire de l'homosexualité féminine dans Forbidden Love (1992), Katherine Gilday examine les troubles alimentaires dans The Famine Within (1990), tandis que Janis Lundman et Adrienne Mitchell s'intéressent aux adolescents dans Talk 16 (1991). Peter METTLER se retrouve aussi à l'aise à produire des oeuvres de fiction que des documentaires. Dans son film Tectonic Plates (1992; v.f. Les plaques tectoniques), il ne se contente pas seulement de transcrire la pièce de Robert LEPAGE. Dans Vision of Light (1994) il parvient à saisir le phénomène fuyant des aurores boréales. RHOMBUS MEDIA a su tailler sa place en produisant d'excellents documentaires sur l'art et la musique. Son film le plus connu, THIRTY-TWO SHORT FILMS ABOUT GLEN GOULD, de François GIRARD (1993), consiste en un portrait romancé du grand pianiste.
Certains cinéastes canadiens ont utilisé la reconstitution romancée dans leurs documentaires. Cette façon de faire était très courante durant les années 50, Cependant, pendant les années 60, le cinéma-vérité amène plusieurs cinéastes à tenter de représenter la réalité avec le plus de précision possible. Au cours des années 70, les cinéastes optent pour le mélange des deux formules. Donald Brittain, avec beaucoup de succès, explore de plus en plus cette avenue vers la fin de sa carrière. Son film VOLCANO: AN ENQUIRY INTO THE LIFE AND DEATH OF MALCOLM LOWRY (1976; v.f. Le volcan) en est un bel exemple. Richard Boutet allie le documentaire et le spectacle de cabaret dans une description lucide du Québec, pendant la Première Guerre mondiale, dans La guerre oubliée (1988).
À la fin du 20e siècle et au début du 21e siècle, la production de documentaires se caractérise par trois tendances : une transition du film à la vidéo à l'ONF; un détachement perceptible des idéaux de pédagogie et d'utilité collective de Grierson; l'émergence d'une voix distincte en matière de cinéma chez les autochtones.
En l'an 2000, l'ONF produit quelques films en 16 mm, mais filme la majorité du temps en format vidéo, ce qui est plus économique. Alors que la vaste utilisation de petites caméras vidéo libèrent le documentaire de la même façon que les caméras 16 mm l'avaient fait pendant les années 1950 et 1960, on assiste aussi à un renouveau dans l'esthétique de la photographie, esthétique qui apportera une renommée internationale à l'ONF. On prétend que l'économie et la simplicité de la vidéo, comparée au format 16 mm coûteux et exigeant au plan technique, favorise le manque de soins et la paresse esthétique. La transition à la vidéo se reflète dans le film de Peter Wintonick, Cinéma Vérité: Defining the Moment (1999), dont les entrevues filmées en vidéo avec des vétérans de l'ONF comme Michel Brault et Colin Lowe se remarquent par rapport aux séquences de leurs films. Cette juxtaposition d'entrevues et de séquences de film donne une richesse et un effet de réalité aux documentaires ce qui fait paraître, en comparaison, les entrevues contemporaines moins intéressantes au plan visuel.
De nombreux cinéastes canadiens des années 1990 ont rejeté les idéaux de Grierson concernant le film documentaire en tant qu'outil et s'écartent du style ardu auquel il croyait et qu'il a donné en exemple. Comme leur approche des sujets est divertissante et parfois moqueuse, ils se différencient des cinéastes qui travaillent selon la tradition de Grierson. Par exemple, Project Grizzly (Peter Lynch/ONF, 1996; v.f. Projet Grizzly) est un portrait humoristique et légèrement moqueur de l'Ontarien, Troy Hurtubise, qui, afin d'étudier les grizzlis en toute sécurité, s'est fabriqué une cote de mailles protectrice en titane. The Powder Room (Ann Kennard/ONF, 1996) nous convie aux conversations intimes des femmes entre elles dans des lieux publics (toilettes, saunas, salles de danse). Plutôt que d'analyser ou d'expliquer, comme Grierson l'aurait demandé, Kennard évoque l'impression de familiarité, de confidence, que peuvent définir ces situations.
Le chef de file de l'école du documentaire post-Grierson est Ron Mann, basé à Toronto, qui a fondé sa propre compagnie de production et qui travaille indépendamment de l'ONF. Les films de Mann examinent la contreculture du Canada et des États-Unis et couvrent bien d'autres sujets : Coach House Press, l'éditeur canadien, (Echoes Without Saying, 1983); les illustrés (Comic Book Confidential, 1988); l'engouement pour la danse (Twist, 1992); le Toronto's Rochdale College (Dream Tower, 1994); la prohibition de la marijuana (Grass, 1999). Il utilise des extraits de films d'archives de manière critique et souvent satirique (nettement influencé par son mentor, le cinéaste engagé américain Emile de Antonio). Les trames de Mann se démarquent vraiment du documentaire canadien de la majorité de ses prédécesseurs.
Les cinéastes autochtones, tout en étant encore marginalisés au sein du cinéma canadien, sont à la source de certains des documentaires les plus intéressants de la dernière décennie. Alanis Obomsawin, la plus reconnue de ce groupe de documentaristes, a travaillé à l'ONF à partir des années 1960 et a produit nombre de films. Ses films, ainsi que des oeuvres telles que Foster Child (Gil CARDINAL, 1987) et Amarok's Song: The Journey to Nunavut (Martin Kreelak, 1998), ont provoqué une passion nécessaire et une prise de conscience politique dans le cinéma documentaire canadien. L'émergence d'un cinéma autochtone a été favorisée par des institutions comme l'ONF (surtout grâce à son Studio One, situé à Edmonton, en activité de 1991 à 1995) et le BANFF CENTRE, ainsi que par des initiatives de la télévision comme celles de l'Inuit Broadcasting Corporation et du Réseau de télévision des Peuples Autochtones.
Le documentaire jouit d'une importance exceptionnelle dans l'art canadien et, plus particulièrement, au cinéma. En effet, le courant réaliste domine même notre cinéma de fiction. Il y a sans doute plusieurs causes à cet état de fait. La méfiance à l'égard de l'imaginaire et de l'irrationnel provient peut-être d'une philosophie utilitariste à la base de notre organisation sociale et culturelle. Certains avancent que le genre documentaire est né d'un besoin d'apprivoiser les grands espaces sauvages et inaccessibles qui nous entourent. Grierson, dont l'influence sur le cinéma documentaire au Canada a été déterminante, prône une orientation essentiellement éducative et informative. Il cherche ainsi à réduire le fossé entre les individus en montrant le mode de vie de leurs voisins. Cette conception pragmatique a trouvé son expression naturelle dans le cinéma factuel ou documentaire.
Le cinéma de langue française
En 1956, l'ONF quitte Ottawa pour s'installer à Montréal : un tournant décisif pour la production française. La section francophone traite de thèmes sociaux et réalise des films engagés et contestataires. Au cinéma direct, la caméra 16 mm, légère et portative, et un équipement d'enregistrement sur bande magnétique permettent au réalisateur de laisser les événements donner au film sa forme finale. On doit à ce procédé certains classiques québécois comme Les Raquetteurs (1958) et La Lutte (1961). Le long métrage Pour la suite du monde (1963) immortalise le mode de vie en voie de disparition des insulaires du Saint-Laurent. Ses réalisateurs, Pierre PERRAULT et Michel BRAULT réaliseront d'autres documentaires exceptionnels. À la fin des années 60, la production francophone de l'ONF se tourne de plus en plus vers le militantisme politique. Le film de Denys ARCAND sur l'industrie du coton, On est au coton (1970), est interdit. Arcand poursuit dans la même voie et examine divers aspects de la politique au Québec dans Duplessis et après... (1972).
Le cinéma de langue anglaise
Les cinéastes anglophones ne produisent pas de films ouvertement politiques et s'intéressent davantage aux personnalités. Donald BRITTAIN poursuit une carrière exceptionnelle pendant 30 ans. Il se fait remarquer avec Memorandum (1965; v.f. Pour mémoire) et réalise de nombreux films remarquables par leur élégance, dans lesquels il utilise souvent des documents d'archives. Par la suite, il mélange archives et séquences dramatisées, notamment dans Canada's Sweetheart: The Saga of Hal C. Brooks (1985).
Beaucoup d'autres cinéastes, parmi lesquels Don OWEN, Robin SPRY et Tony Ianzelo, tournent d'excellents films dans des genres très variés. Quant à Derek May et à Michael RUBBO, il fournissent des réalisations plus personnelles et plus investigatrices. Derek May réalise de magnifiques documentaires artistiques. Dans un film sur son mariage avec une actrice québécoise, Mother Tongue (1979), ce dernier fait ressortir les dilemmes qui opposent les deux cultures (anglophone et francophone) à une époque de conflit, alors que le Québec participe à un référendum sur son avenir. Michael Rubbo se rend aussi à l'étranger et tourne des films en Indonésie, à Cuba, en Australie et en France. Son film sur le Viêt-nam, Sad Song of Yellow Skin (1971; v.f. Le jaune en péril), remporte le prestigieux prix Robert Flaherty.
L'ONF se renouvelle dans les années 70 avec son programme « Construire demain », dont la fonction sociale et politique est reconnue. Ce programme permet de produire quelques-uns des meilleurs documentaires canadiens et ouvre la voie à la création du studio des femmes (studio D) à l'ONF (1974). Le studio D réalise de nombreuses oeuvres de qualité sur divers sujets, tous abordés d'un point de vue féminin. La réalisation la plus controversée reste son film sur la pornographie Not a Love Story (1981; v.f. C'est surtout pas de l'amour) de Bonnie Sherr KLEIN. Terre Nash remporte un Oscar pour If You Love This Planet (1982; v.f. Si cette planète vous tient à coeur). Gail Singer se fait connaître avec plusieurs bons films, dont deux de ses meilleures réalisations Abortion: Stories from North and South (1984; v.f. L'avortement - Histoire secrète) et Wisecracks (1991, une production indépendante). Les cinéastes québécoises ont laissé leur marque à l'ONF. Anne Claire POIRIER tourne de longs métrages documentaires, et son film sur le viol, Mourir à tue-tête (1979), reçoit beaucoup d'éloges, tout comme son film sur la mort de sa fille Tu a crié Let Me Go (1997). Le studio D ferme ses portes en 1996.
La tradition des documentaires à contenu social continue d'avoir ses défenseurs à l'ONF. Democracy on Trial: The Morgentaler Affair (1984; v.f. La justice en procès : l'affaire Morgentaler) et Justice Denied (1989) de Paul Cowan abordent les questions de l'avortement et de la justice. Final Offer (1985; v.f. La dernière offre) de Sturla GUNNARSSON est un fascinant documentaire sur la grève des travailleurs de l'automobile. Alanis OBOMSAWIN, cinéaste autochtone, figure parmi les plus remarquables créatrices de l'ONF. Son déchirant Richard Cardinal: Cry from the Diary of a Métis Child (1986; v.f. Richard Cardinal : le cri d'un enfant métis) établit sa réputation, tandis que Kanehsatake: 270 Years of Resistance (1993; v.f. Kanesatake : 270 ans de résistance) plonge un regard fascinant sur l'épreuve de force qui opposant les Mohawks à la Sureté du Québec et à l'Armée canadienne, sur une question de droits territoriaux.