La Colored Hockey League of the Maritimes (CHL) est une ligue de hockey composée exclusivement de joueurs noirs. Mise en place par des baptistes et des intellectuels noirs, cette ligue est fondée à Halifax, en Nouvelle-Écosse, en 1895. Elle n’est pas active durant et après la Première Guerre mondiale, est reformée en 1921, puis complètement abandonnée durant la Crise des années 1930. Le jeu dans cette ligue est reconnu comme étant particulièrement rapide, physique et novateur. La CHL a été conçue pour attirer les jeunes hommes noirs à l’église le dimanche en leur promettant la tenue, après le service religieux, d’un match de hockey entre églises rivales. Plus tard, sous l’influence du mouvement nationaliste noir et dans le contexte d’un intérêt grandissant pour le hockey, elle sera perçue comme un moteur potentiel pour l’obtention de l’égalité des Canadiens noirs. En janvier 2020, Postes Canada a lancé un timbre honorant la ligue.
Origines
C’est dans le baseball que le hockey noir organisé plonge ses racines. En effet, en Nouvelle‑Écosse et dans d’autres régions dans l’est du Canada, on crée, au milieu des années 1880, des clubs de baseball ne comprenant que des Noirs. ( Voir aussi Chatham Colored All-Stars.) Ces clubs, qualifiés de « barn‑storming teams » ou « équipe en tournée parmi les granges », s’affrontent en parcourant la campagne canadienne. Ultérieurement, ils deviendront des organisations sportives semi‑professionnelles, plusieurs de leurs membres pratiquant deux sports.
Il semble que quatre hommes aient présidé à l’émergence de la Colored Hockey League of the Maritimes (CHL) : le pasteur James Borden de l’église Dartmouth ; James A.R. Kinney, un laïc de l’église de la rue Cornwallis qui deviendra le premier diplômé noir du Maritime Business College ; James Robinson Johnston, premier diplômé noir du programme de droit de l’Université Dalhousie ; et Henry Sylvester Williams, un étudiant en droit trinidadien à Dalhousie qui fondera, en 1900, la première conférence panafricaine.
Ces quatre Néo-Écossais sont influencés par les écrits du leader afro-américain contemporain Booker T. Washington, qui a écrit : « J’ai appris que le succès doit être mesuré non pas tant par la position que l’on atteint dans la vie que par les obstacles qu’on a surmontés en essayant de réussir ». Ils organisent les premiers matchs de la ligue et établissent son objectif.
Structure et croissance
Au début du 20e siècle, la CHL a intégré plusieurs concurrents régionaux nouvellement créés et n’est déjà plus la modeste ligue de trois équipes – dont son club fondateur, les Jubilees de Dartmouth – qu’elle était en 1895. Parmi ces nouveaux entrants, certains ont de solides racines dans le baseball : les Sea‑Sides d’Africville, les Victorias de Truro, les West End Rangers de Charlottetown, les Royals d’Amherst et les Moss Backs de Hammond Plains.
Sur le plan sportif, la ligue est organisée sous le système de coupe : le tenant du titre affronte en finale le vainqueur d’un tournoi ayant opposé les prétendants. Cette structure ressemble à celle d’un championnat de boxe.
Les équipes de la CHL ne reçoivent l’autorisation d’accéder aux arénas qu’à l’issue de la saison des ligues blanches. C’est pourquoi les matchs officiels de la ligue ont généralement lieu entre fin janvier et début mars, une période durant laquelle la glace des arénas naturels est devenue trop fine pour y disputer des matchs. Du fait de cette plage limitée de huit semaines, seules les trois ou quatre meilleures équipes régionales choisies par les dirigeants participent aux championnats. Ils disputent chacune une demi‑douzaine de matchs afin de déterminer les principaux honneurs distribués par la ligue. Inévitablement, des différends surgissent quant aux équipes ayant reçu le droit de concourir officiellement pour le titre.
Les parties se disputent sans autres règles officielles que la Bible. Ironiquement, cette absence de règlement officiel débouche sur un nouveau style de hockey où le physique joue un rôle plus important. À tous les points de vue, les matchs de championnat de la CHL ne le cèdent en rien aux meilleurs matchs disputés par les équipes blanches. Le jeu qui y est pratiqué est extrêmement rapide et solide. Quelques procédures techniques sont utilisées par la ligue avant qu’elles ne soient appliquées lors des matchs de hockey des ligues professionnelles, l’une autorisant le gardien à se mettre à genoux pour arrêter la rondelle (une idée de Henry « Braces » Franklyn); l’autre pourrait être vue comme une forme précoce de lancer frappé (créée par Eddie Martin).
La montée en puissance fulgurante de la ligue atteint son apogée entre 1900 et 1905. On y compte alors une centaine de joueurs répartis en 12 équipes. Les matchs de la CHL attirent souvent plus de spectateurs que ceux des ligues blanches. Près de 1 200 spectateurs se pressent pour assister, à Halifax, à la finale du championnat interprovincial des Maritimes entre les champions en titre de la CHL, les Sea‑Sides d’Africville, et les West End Rangers de Charlottetown.
Déclin
Au cours des cinq premières années du 20e siècle, un différend oppose de nombreux joueurs de hockey et leurs familles vivant à Africville, la communauté noire de Halifax, aux responsables provinciaux et municipaux, au sujet d’un plan d’expansion ferroviaire prévoyant l’annexion de leurs terres. Une bataille juridique de cinq ans s’ensuit. Pendant le conflit, James Robinson Johnston, l’organisateur de la ligue, représente les familles de la communauté noire pour tenter d’arrêter le processus d’annexion.
Tout au long de ce combat, certains propriétaires refusent de louer leurs patinoires à la CHL ou à des équipes noires. D’autres propriétaires n’acceptent de le faire qu’à la fin mars, lorsque la surface de glace naturelle a déjà commencé à fondre. La couverture médiatique des matchs de la ligue disparaît également pratiquement du jour au lendemain. Un seul article est publié à ce sujet dans les journaux entre 1905 et 1906. Dans un contexte où les parties se disputent sur une glace détériorée ralentissant le jeu et privée de tout moyen de promotion, la ligue est contrainte de revenir jouer sur les lacs de Dartmouth. Cela met effectivement fin au rôle de la CHL comme mouvement d’émancipation économique et sociale des Noirs. Le dernier compte rendu sur un match de la ligue, publié dans un journal durant cette période, date de 1911.
Renaissance de 1921
En 1921, la CHL se reforme avec trois équipes : les Victorias de Truro, les Sea‑Sides d’Africville et les All-Stars de Halifax, une équipe formée de hockeyeurs de Halifax et de Dartmouth. Truro et Halifax alignent des équipes renouvelées composées de jeunes joueurs noirs de la nouvelle génération. Celle d’Africville, quant à elle, est pratiquement la même qu’en 1901 et comprend de nombreux joueurs désormais dans la quarantaine. Contrairement à son incarnation précédente, la nouvelle CHL applique désormais les règles normalisées du hockey.
En dépit de sa renaissance, la CHL a désormais largement laissé de côté ses objectifs sociaux et religieux. À ce moment‑là, les membres des églises et les intellectuels fondateurs sont décédés. Après 1925, les équipes vont et viennent. De nouvelles équipes se forment, parfois uniquement pour de brèves périodes, pour disparaître aussi vite qu’elles sont apparues.
Dans un contexte où l’attention médiatique se porte essentiellement sur la Ligue nationale de hockey (LNH) aux dépens des ligues régionales, la couverture de la CHL dans les journaux disparaît également peu à peu. Les équipes composées de Noirs, notamment les Diamonds de Halifax, les Wizards de Halifax, les Speed Boys de New Glasgow, les Brown Bombers d’Africville et les Sheiks de Truro, continuent à s’opposer à différentes occasions au cours des années 1930. À l’aube de la Deuxième Guerre mondiale, toutefois, elles finissent par être totalement oubliées, pour longtemps, de la mémoire collective.
Héritage et honneurs
En 2004, un livre sur la CHL intitulé Black Ice : The Lost History of the Colored Hockey League of the Maritimes, 1895 to 1925 et écrit par les frères George et Darril Fosty, attire à nouveau l’attention sur la ligue et ses joueurs. En 2015, l’existence de la CHL est abordée dans Soul on Ice : Past, Present & Future, un documentaire de Damon Kwame Mason. En janvier 2020, Postes Canada lance un timbre commémoratif représentant des joueurs de hockey noirs sur un étang en face de la Citadelle de Halifax. Le timbre porte la mention « Colored Hockey Championship » (« Championnat du hockey de couleur ») et inclut les noms de certaines des équipes : les Jubilees, les Stanleys, les Eurekas, les Sea-Sides, les Rangers, les Royals et les Moss Backs.
Voir aussi : Athlètes canadiens noirs pionniers ; Herb Carnegie ; Willie O’Ree ; Éditorial : Les joueurs de Saint Mary’s marquent l’histoire du hockey.