Depuis quelque temps, il est démodé de reconnaître les défunts «pères» blancs de la Confédération pour l'entente qu'ils ont conclue à Québec en octobre 1864. Or, même si on lui attribue les pitoyables échecs des pourparlers constitutionnels des années 1990, la conférence de 1864 est un succès retentissant.
L'événement est peu publicisé, car la presse n'a pas accès aux débats. Les journaux se consolent donc avec la météo maussade de ce mois d'octobre et se montrent discrets sur le contenu des rencontres.
C'est à l'hôtel Sainte-Louise, un établissement respectable de la rue du même nom, que sont logés les délégués et leur famille de Terre-Neuve, de l'Île-du-Prince-Édouard, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick. Quant aux réunions, elles ont lieu dans la salle de lecture d'un édifice quelconque, perché sur le bord de la falaise de la Haute-Ville. On y a installé une longue table avec des sous-main, du papier, des encriers et des plumes. Les hautes fenêtres cintrés offrent une vue magnifique sur le Saint-Laurent, qu'on appelle alors le «rivière du Canada».
Au conférence de Québec. Dessin par Robert Harris (Musée des Beaux-Arts du Canada, Ottawa). |
Les délégués de la Conférence de Québec tiennent leur première réunion le lundi 10 octobre, à 11 h du matin. Les hôtes canadiens sont bien préparés, cherchant désespérément à trouver un dénouement politique aux années d'impasse qui ont paralysé le gouvernement de la Province unie du Canada. La guerre civile qui fait couler le sang aux États-Unis n'est pas rassurante.
Dès le début, John A. Macdonald domine les débats. En effet, c'est lui qui présente avec conviction la structure d'une union - personne n'a son expérience, sa compréhension des enjeux politiques et sa volonté implacable. Sa résolution est adoptée après quatre heures de débats... un bon début.
Le deuxième jour, Macdonald défend énergiquement la nécessité d'un gouvernement central fort, mais son but est avant tout d'éviter les erreurs fatales associées à la Constitution des États-Unis d'Amérique. Macdonald préférerait une union législative, dotée d'un seul Parlement, sans provinces, mais il sait que cette idée ne ferait pas long feu. Le Québec et l'Ontario répugnent à l'idée de devoir se partager un seul parlement, tandis que les provinces maritimes refusent d'abandonner totalement leur autonomie.
C'est l'Ontarien George Brown qui suggère la structure d'un gouvernement «fédéral et de gouvernements locaux dans chaque province». Heureusement, les débats sur la création d'une chambre basse, la Chambre des communes, sont brefs. Tous tombent d'accord pour une représentation proportionnelle à la population, un principe de base très cher à Brown et à son parti «Grit». Donc, l'Ontario aura 89 représentants et l'Île-du-Prince-Édouard, seulement 5, un nombre que ses représentants trouvent dérisoire.
Beaucoup plus aigre, le débat sur la création de la chambre haute - le Sénat - fait presque tourner la conférence au vinaigre. Voici comment un politicien français du XVIIIe siècle, l'abbé E.J. Sieyès, résume plaisamment le problème fondamental posé par l'existence d'un sénat : «Si la chambre haute est d'accord avec la chambre basse, elle est superflue, mais si elle est en désaccord, il faut l'abolir.»
Plusieurs représentants des Maritimes avancent que les provinces doivent être équitablement représentées au Sénat. Autrement, comment pourrait-t-il jouer son rôle de protecteur des droits et privilèges des provinces, demande Andrew Macdonald, de l'Île-du-Prince-Édouard. L'assemblée ne partage pas cet avis et propose d'entériner le principe d'égalité «sectionnelle», accordant aux Maritimes le même nombre de sièges qu'à chacun des deux Canada, une proposition à laquelle l'Île-du-Prince-Édouard s'oppose.
Le Sénat qui en résulte - avec membres nommés - ne fait guère l'unanimité, hier comme aujourd'hui. Le délégué québécois Christopher Dunkin, connu pour sa lucidité, en parle en ces termes : «C'est la pire entité qu'on pouvait créer... tout à fait ridicule!»
Tout au long de ce débat tendu, le climat est aussi «réjouissant» dans la salle qu'à l'extérieur. Par contre, le gouverneur général Lord Monck donne chaque soir un repas somptueux et bien arrosé.
Le dernier débat notable porte sur la question des «compétences non attribuées». Ces compétences qui ne figurent pas expressément à la constitution devraient-elles être attribuées au gouvernement central ou aux provinces? Le 24 octobre, les hostilités éclatent quand George Coles, de l'Île-du-Prince-Édouard, propose que les compétences non attribuées relèvent des provinces, suggestion contre laquelle s'objecte vivement Macdonald. Selon lui, attribuer ces compétences aux corps législatifs locaux revient à faire nôtre la pire erreur de la Constitution des États-Unis d'Amérique! «Notre réputation serait démolie aux yeux du monde civilisé.» Après la diatribe de Macdonald, même l'Île-du-Prince-Édouard ne vote pas pour la résolution.
C'est le jeudi 27 octobre, en fin d'après-midi, que la Conférence de Québec prend fin. À 16 h, les représentants des Maritimes montent dans un train particulier prévu pour leur retour. Un second groupe prend à 21 h l'express de nuit régulier du Grand Trunk. Macdonald en fait partie et rapporte dans ses bagages 69 des 72 résolutions qui deviendront la Constitution canadienne. Chacune notée sur une feuille de papier de son écriture déliée.
Selon Thomas D'Arcy McGee, la constitution qui en découle n'est «pas une structure dictée ni imposée par d'autres, mais née de nos propres idées, une création de notre intellect et de notre volonté, libre et impartiale».