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Convention de la baie James et du Nord québécois

La Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ) est une entente juridique signée le 11 novembre 1975 entre les gouvernements du Québec et du Canada, Hydro-Québec et deux de ses filiales , puis le Grand conseil des Cris du Québec et l’Association des Inuit du Nord du Québec. Qualifiée de « premier traité moderne » par plusieurs, la CBJNQ redéfinit et encadre les relations entre l’État québécois et les nations autochtones de la baie James et du Nord du Québec, ainsi que la gestion du territoire (voir Projet de la baie James, Traités autochtones au Canada.)

Contexte historique

L’entente s’inscrit dans un double contexte historique, soit l’ambition du gouvernement de développer le potentiel hydroélectrique de la Baie-James et la volonté des Premières Nations qui l’habitent de faire reconnaître leurs droits sur ces terres (voir Hydroélectricité).

Robert Bourassa
Robert Bourassa. (photo par Antoine Desilets, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, P697,S1,SS1,SSS14,P10)

Dans les années 1970, le gouvernement québécois de Robert Bourassa entame un développement massif de la région de la baie James. Le premier ministre annonce la construction de plusieurs barrages hydroélectriques afin d’accroître le potentiel énergétique de la province et de relancer l’économie québécoise. Les Autochtones qui habitent le territoire, principalement des Cris et des Inuits , ne sont pas consultés par Québec malgré les impacts potentiels d’un tel développement sur leur mode de vie (voir Peuples autochtones au Canada .)

Les Cris et les Inuits décident alors de riposter et de défendre leurs droits territoriaux non cédés sur le territoire touché par le projet de développement hydroélectrique. Avec l’aide de l’Association des Indiens du Québec (AIQ), une organisation politique panindienne née en 1965, les Cris tentent d’entrer en discussion avec le gouvernement québécois afin de faire entendre leurs griefs.

Face aux fins de non-recevoir du gouvernement et à son entêtement à poursuivre la construction des barrages, les Cris et l’AIQ se joignent aux Inuits représentés par l’Association des Inuit du Nord du Québec (AINQ) pour intenter en novembre 1972 une action judiciaire afin de mettre un frein aux travaux et de forcer Québec à s’asseoir à la table des négociations. L’argument principal des Autochtones repose sur le fait que l’obligation de négocier la cession des droits territoriaux était inscrite dans l’acte de transfert des territoires de la baie James de 1898 et de celui du Nord de 1912. Le gouvernement québécois, peu intéressé avant les années 1960 à son territoire nordique, ne crut pas nécessaire de tenir compte de cette obligation.


Pour marquer le 40e anniversaire de la CBJNQ, la Société Makivik a produit un documentaire intitulé Napangunnaqullusi: So That You Can Stand (afin de pouvoir se tenir debout). Canada. 2015. 84 min. Documentaire de Olé Gjerstad.

Négociation

C’est au terme d’un procès de plusieurs mois qu’un jugement est rendu à la Cour supérieure, le 15 novembre 1973, par le juge Albert Malouf. Ce dernier tranche en faveur des Autochtones et demande au gouvernement québécois d’interrompre la construction des barrages, de reconnaître les droits autochtones non cédés et de négocier de bonne foi. Bien qu’il ait l’effet escompté, le jugement est vite suspendu par la Cour d’appel du Québec. Des négociations sont tout de même entamées entre les parties à la fin de 1973 et au début de 1974.

Des difficultés importantes empêchent un règlement final entre les Cris, les Inuits et le gouvernement québécois. Entre autres, l’AIQ, qui représente les autres nations autochtones du Québec dans les négociations, demande un règlement complet des revendications territoriales dans l’ensemble de la province. À partir de ce moment, les relations entre les Cris et l’AIQ se détériorent jusqu’au moment où les Cris rompent leur relation avec l’organisation et fondent leur propre regroupement national, le Grand conseil des Cris du Québec. À l’été 1974, l’AIQ quitte finalement la table de négociation et une entente de principe est conclue entre le gouvernement du Québec, les Cris et les Inuits.

Avec cette entente, les Autochtones arrêtent d’une part toute action judiciaire et acceptent de négocier directement avec le gouvernement. Ce dernier d’autre part s’engage à régler à l’amiable, par un traité bilatéral, la question des droits territoriaux autochtones pour la région de la baie James et du Nord (voir Charlie Watt). 

Senator Charlie Watt

Senator Charlie Watt (2012). Opposé au Projet de la baie James, Charlie Watt fait partie des négociateurs pour l’établissement de l’entente finale qui sera signée en 1975. 

C’est finalement en novembre 1975, après quatre années de contestation et de négociations, qu’est signée la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. Ce « traité moderne » permet au gouvernement québécois de poursuivre et de terminer la construction des barrages hydroélectriques dans la région de la baie James. Il reconnaît en contrepartie des droits particuliers aux Cris et aux Inuits et s’engage à verser une indemnité de 225 millions de dollars, étalée sur 20 ans.

Les termes de la Convention

La CBJNQ est un document juridique et politique complexe qui redéfinit l’organisation du territoire jamésien et nordique entre l’État québécois et les nations crie et inuite. La Convention élabore et codifie des droits particuliers reconnus aux Autochtones, autant territoriaux que culturels, avec l’idée centrale de préserver leur autonomie et de les inclure dans le développement économique de la région tout en protégeant leurs activités de subsistance traditionnelles. Pour Québec, la CBJNQ encadre les manières dont il peut exercer son autorité dans la région.

On divise les terres en trois catégories : les terres de la catégorie I comprennent un peu plus de 14 000 km2 à l'intérieur et autour des communautés autochtones et sont administrées uniquement par celles-ci; les terres de la catégorie II visent environ 70 000 km2 et 82 000 km2, appartenant respectivement aux Cris et aux Inuits, et sont réservées exclusivement à la chasse, à la pêche et au piégeage; les terres de la catégorie III représentent un peu moins des deux tiers de la superficie du Québec et les Autochtones y jouissent des droits − certains exclusifs, d'autres non − d'utiliser leurs territoires traditionnels de chasse et de cueillette. La Convention prévoit un plan de revenu familial minimum pour les Cris qui vivent de l'exploitation des ressources fauniques. Au niveau politique, les Cris et les Inuits ont le droit de gérer l’administration locale dans les terres de la catégorie I.

Ils obtiennent aussi le droit d’avoir un enseignement aussi bien dans les langues autochtones qu'en français et en anglais. Avec l'aide de Québec, ils créent la Société de développement autochtone de la baie James dont le mandat est d'encourager le développement économique des Cris et de leur donner une voix dans tout développement futur de la région, en particulier en ce qui a trait à l’environnement. Les Autochtones obtiennent aussi une voix dans la gestion de la justice et des services sociaux dans leurs territoires.

Les conséquences et les suites

L’ampleur de la Convention et son exhaustivité dans la redéfinition des droits autochtones sur un territoire particulier ont un retentissement important au Québec et ailleurs au Canada. Si le gouvernement canadien voit dans l’accord une base pour le règlement des futurs conflits territoriaux autochtones, d’autres ont une vision plus négative de la Convention. George Manuel, militant autochtone de la Colombie-Britannique et président de la Fraternité des Indiens du Canada (North American Indian Brotherhood), voit dans la CBJNQ le début d’une nouvelle vague de traités qui mènerait à la disparition des droits autochtones au profit d’une simple compensation financière.

L’AIQ, ancienne alliée des Cris contre le projet de la Baie-James, entame en 1976 des poursuites pour faire reconnaître le droit des nations non-signataires du traité, mais dont les territoires de chasse sont touchés par ce dernier. L’AIQ est par contre dissoute dans les années suivantes au profit d’une pléthore d’organisations régionales.

Plus d’une trentaine d’accords modificateurs, accords auxiliaires et lois pertinentes démontrent pourtant la nature dynamique et complexe de la Convention. En 1984, le Parlement canadien réalise la promesse de l’autonomie politique des Autochtones en adoptant la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, la première du genre au Canada (voir Autonomie gouvernementale des Autochtones ). Ces derniers se sont d’ailleurs joints à la Convention par un accord complémentaire signé en 1978 et nommé Convention du Nord-Est québécois.

Tout n’est pas rose non plus entre les Cris et le gouvernement québécois après la signature de l’accord. Les Cris accusent Québec à plusieurs reprises dans les années 1980 et 1990 de ne pas remplir ses obligations comme convenu dans le texte de la Convention. Ces tensions culminent en 1995 lorsque, dans le contexte du référendum sur la souveraineté du Québec, les Cris prennent position pour Ottawa et déclarent avoir eux-mêmes le droit de décider politiquement de leur avenir (voir Référendum du Québec 1995). Advenant une victoire du « oui » lors du référendum, les Cris disent vouloir continuer de faire partie du Canada, menaçant par le fait même l’intégrité territoriale d’un futur Québec indépendant.

Finalement, la « Paix des braves », un accord signé en 2002 entre le Grand Conseil des Cris du Québec et le gouvernement québécois de Bernard Landry, marque la fin d’une période de tension entre les deux acteurs de la région. En échange d’une somme d’argent importante et d’une autonomie accrue, les Cris s’engagent à mettre fin à leur contestation de la Convention et à dialoguer de bonne foi avec Québec.