Deepa Mehta, O.C., O.Ont, réalisatrice, productrice et scénariste (née le 15 septembre 1950 à Amritsar, en Inde). Les films provocants et touchants de Deepa Mehta, qui traitent surtout de questions de droits de la personne et d’injustice sociale, lui ont valu une réputation internationale. Son œuvre la plus connue est sans doute son épique « Trilogie des éléments » : Fire (1996), Earth (1998) et Water (2005). Ce dernier a reçu une nomination aux Academy Awards pour le Meilleur film en langue étrangère. Deepa Mehta a aussi reçu le Prix du Gouverneur général pour les arts du spectacle pour l’ensemble de son œuvre, l’Ordre de l’Ontario et la Médaille du jubilé de la reine. Elle a été sacrée Officier de l’Ordre du Canada pour avoir « remis en question plusieurs traditions culturelles et avoir fait la lumière sur de nombreux cas d’oppression, d’injustice et de violence ».
Début de carrière et vie personnelle
Deepa Mehta, dont le père est un important distributeur de films, grandit entourée par le cinéma dans son Inde natale. Après avoir obtenu un diplôme en philosophie de l’Université de New Delhi, elle se met à travailler sur des films éducatifs et documentaires pour le gouvernement indien. C’est pendant qu’elle réalise son premier film, un documentaire sur une enfant mariée employée jadis par sa famille, qu’elle fait la rencontre du cinéaste canadien Paul Saltzman. Ils se marient et déménagent à Toronto en 1973, où ils fondent la compagnie de production Sunrise Films. Deepa Mehta et Paul Saltzman divorcent en 1983. Elle épouse ensuite le producteur David Hamilton. Ensemble, ils fondent la maison de production Hamilton Mehta Productions en 1996.
Début de carrière au Canada
Après son arrivée au Canada, Deepa Mehta se met à l’écriture de films destinés aux enfants tout en s’occupant de divers autres projets par l’entremise de Sunrise Films. At 99: A Portrait of Louise Tandy Murch (1974), dans lequel elle dresse le portrait d’une féministe rebelle âgée, lui vaut un prix du Palmarès du film canadien pour le Meilleur court métrage documentaire; Travelling Light (1986), un documentaire télévisé mettant en vedette le frère de Mehta, un photojournaliste, est sélectionné pour trois prix Gemini.
Deepa Mehta est aussi réalisatrice pour la télévision; on compte à son actif des épisodes de la série dramatique de la CBC Danger Bay (1984-1990), produite par Paul Saltzman et Les Aventures du jeune Indiana Jones (1992), des Productions George Lucas, entre autres.
Premiers longs métrages
Le premier long métrage de Deepa Mehta, Sam and Me (1991), raconte l’histoire d’un immigrant indien qui se lie d’amitié avec un vieil homme juif à Toronto. Le film récolte une mention d’honneur au Festival de Cannes. Deepa Mehta y emploie une esthétique visuelle riche pour représenter l’émotion des personnages, une technique qu’elle continuera d’utiliser dans ses films subséquents. Sam and Me jouit d’un budget de 11 millions de dollars, le plus élevé jamais accordé à une réalisatrice à l’époque au Canada. On l’embauche ensuite pour réaliser Camilla (1994), un film produit par Miramax, écrit par Paul Quarrington et mettant en vedette Bridget Fonda et Jessica Tandy.
Trilogie des Éléments
Deepa Mehta entame alors un projet qui la passionne et qui sera déterminant pour sa carrière : une trilogie de films que le New York Times décrit comme une « exploration riche et complexe des tabous culturels et des tensions à l’œuvre au sein de la société indienne, dont la réalisatrice est issue ». Son premier film, Fire (1996), traite du déséquilibre des rapports de force entre maris et femmes dans l’Inde contemporaine en mettant en scène une histoire d’amour entre deux belles-sœurs hindoues. Le film soulève les protestations du public indien et s’attire les foudres des fondamentalistes hindous, qui font pression pour que le gouvernement indien bannisse le film. En fin de compte, il est distribué en Inde en version intégrale et, encensé par la critique internationale, il reçoit de nombreux prix.
Coproduction transnationale tournée à l’extérieur du Canada avec des acteurs non canadiens, dans une langue autre que le français ou l’anglais, Fire permet de repenser la définition de ce qu’est un film canadien. Il inaugure le programme Perspective Canada au Festival international du film de Toronto (FIFT) et remporte le prix du Film canadien le plus populaire au Festival international du film de Vancouver. Il s’agit d’une victoire pour Deepa Mehta, qui avait critiqué ouvertement Téléfilm Canada pour son apparente réticence à soutenir des films au contenu ethnique ou culturel marginal.
Le second film de la trilogie, Earth (1998), relate une histoire d’amour vécue au sein d’un groupe hétéroclite d’amis, dans une Inde britannique à l’aube de la séparation qui formera l’Inde et le Pakistan en 1947. Après la fin du règne colonial britannique et la création de deux états indépendants (l’Inde, dont la majorité est hindoue, et le Pakistan dont la majorité est musulmane), plus de 15 millions de personnes sont contraintes à l’exode. La violence sectaire fait rage; les massacres et les viols se multiplient, causant la mort de plus d’un million de personnes. Inspiré de Cracking India, un roman de Bapsi Sidwa, le film explore à la fois la division des deux pays et celle des liens d’amitié pendant la plus importante migration forcée de l’histoire.
Deepa Mehta n’a pas peur de la controverse; la dernière partie de la trilogie des Éléments s’intitule Water (2005). Elle raconte l’histoire de veuves vivant en marge de la société (certaines d’entre elles ne sont encore que des enfants) et qui sont ostracisées dans certaines parties conservatrices de l’Inde. La production du film est ralentie à cause de protestataires violents, qui envoient des menaces de mort à Deepa Mehta et saccagent des plateaux de tournage dans la ville sainte de Varanasi. Le film est enfin tourné de façon clandestine au Sri Lanka plusieurs années plus tard, pour être ensuite applaudi un peu partout dans le monde. Il est sélectionné pour neuf prix Génie (et en remporte trois) et pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère.
Carrière ultérieure
Après l’interruption de sa première tentative de filmer Water, Deepa Mehta retourne à Toronto et crée la comédie musicale interculturelle Bollywood/Hollywood (2002). Véritable changement de registre et de contenu par rapport aux autres films de la réalisatrice, le film suscite des critiques partagées, mais reçoit néanmoins cinq nominations aux prix Génie (parmi lesquelles Meilleur film) et remporte un prix pour le scénario original de Deepa Mehta. Elle continue d’explorer des thématiques plus légères avec The Republic of Love (2004), une comédie romantique adaptée d’un roman de Carol Shields; le rôle principal y est tenu par Bruce Greenwood.
Après le succès international de Water (paru en fin de compte en 2005), Deepa Mehta retourne à des scénarios traitant d’enjeux féministes avec Heaven on Earth (2008). On y voit une femme indienne qui immigre au Canada dans le cadre d’un mariage arrangé et qui finira par être victime de violence conjugale. Le scénario de Deepa Mehta se mérite un prix au Festival international du film de Dubaï en plus d’être sélectionné pour un prix Génie.
En réaction à l’intérêt public pour le sort des veuves en Inde après la sortie de Water, Deepa Mehta produit aussi le documentaire The Forgotten Women (2008), réalisé par son frère Dilip, qui est aussi le réalisateur de Cooking With Stella (2009). Produit et coécrit par Deepa, Cooking with Stella met en scène Lisa Ray et Don McKellar dans le rôle d’un couple de diplomates canadiens en Inde se faisant voler par leur domestique.
Deepa Mehta réalise ensuite Midnight’s Children (2012), une adaptation du roman acclamé de Salman Rushdie; le film est présenté en première pendant le FIFT et est sélectionné pour huit prix Écrans canadiens, parmi lesquels Meilleur film. Le film raconte l’histoire de deux enfants venus au monde à l’aube de l’indépendance de l’Inde vis-à-vis de la Grande-Bretagne et qui sont échangés à la naissance.
Beeba Boys (2015), adaptation libre de l’histoire vraie d’un gang sikh canadien à Vancouver, provoque des réactions partagées lors de la première au FIFT, mais vaut malgré tout à Deepa Mehta le Technicolor Clyde Gilmour Award, un prix d’une valeur de 50 000 $ remis par la Toronto Film Critics Association, pour avoir « enrichi la compréhension et l’appréciation du film au Canada ».
Thèmes récurrents
De nombreux meneurs religieux et traditionnels en Inde considèrent Deepa Mehta comme une menace occidentalisée pour la culture indienne. Elle remet effectivement en question les traditions culturelles en employant la fiction pour faire tomber les stéréotypes tout en donnant une voix aux personnes marginalisées. La réalisatrice se dit inspirée par des cinéastes socialement engagés comme Satyajit Ray, Ozu Yasujiro et Vittorio de Sica. Steve Gravestock, l’un des programmeurs du FIFT, décrit l’œuvre humaniste de Deepa Mehta comme « la rencontre entre le besoin de comprendre, d’un côté, et l’intolérance et le préjugé, de l’autre ».
Prix et récompenses (liste non exhaustive)
- Documentaire de moins de 30 minutes (At 99: A Portrait of Louise Tandy Murch), Palmarès du film canadien (1975)
- Film canadien le plus populaire (Fire), Festival international du film de Vancouver (1996)
- Prix du public (Fire), L.A. Outfest (1996)
- Prix spécial du jury, Festival international du film de Mannheim-Heidelberg (1996)
- Meilleur scénario original (Bollywood/Hollywood), Prix Génie (2003)
- Prix du public jeunesse (Water), Festival international du film de Valladolid (2005)
- Meilleur film (Water), Festival international du film de Bangkok (2006)
- Prix du public (Water), Festival du film asiatique-américain de San Francisco (2006)
- Prix humanitaire (Water), New York Film Critics Online (2006)
- Meilleure réalisatrice, Film canadien (Water), Cercle des critiques de films de Vancouver (2006)
- Prix EDA Film Focus, Alliance of Women Film Journalists (2006)
- Accomplissements remarquables dans le domaine du cinéma international, Prix de l’Académie internationale du film indien (2007)
- Meilleur scénario de long métrage (Heaven on Earth), Festival international du film de Dubaï (2008)
- Doctorat honorifique de Droit (LLD), Université de Victoria (2009)
- Prix pour l’ensemble de l’œuvre, Prix du Gouverneur général pour les arts du spectacle (2012)
- Prix par équipe GCR (Midnight’s Children), Guilde canadienne des réalisateurs (2013)
- Doctorat honorifique de Droit, Université Mount Allison (2013)
- Officier, Ordre du Canada (2013)
- Membre, Ordre de l’Ontario (2013)
- Prix Technicolor Clyde Gilmour (Beeba Boys), Toronto Film Critics Association (2015)
- Meilleure réalisation (Funny Boy) Prix Écrans canadiens (2021)
- Scénario adapté (Funny Boy) Prix Écrans canadiens (2021)