Pour la plupart des Canadiens, la saison des fêtes et les longs mois d’hiver sont synonymes de temps passé en famille, et surtout, de repas en bonne compagnie. À cette occasion, nous avons réuni des articles qui retracent l’histoire de sept d’aliments réconfortants et classiques provenant tant des Prairies, du Québec que de Terre-Neuve. Non seulement nous vous offrons un aperçu de l’histoire et du contexte culturel de chaque mets, mais nous vous proposons des recettes afin que vous puissiez les réaliser à la maison.
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À la bonne vôtre!
Tourtière
La tourtière est une tarte à la viande couverte dont le nom provient probablement du moule à tarte peu profond encore utilisé de nos jours pour cuire et servir les tourtes en France. La garniture, hachée ou en morceaux, est typiquement à base de porc mais c’est parfois une mélange d’autres viandes, notamment du gibier local tel que du lapin, du faisant ou de l’orignal. Elle est connue pour être servie au réveillon, une fête traditionnelle que les Catholiques québécois organisent après la messe de minuit, la veille de Noël. La tourtière peut être une tarte peu profonde garnie de porc ou d’autres viandes ou une tarte à plusieurs couches remplie de viande en cubes et de légumes, comme elle est préparée le long des rives du Saguenay-Lac-Saint-Jean. (Les Acadiens qui vivent dans les Maritimes ont baptisé leur version de la tourtière pâté à viande.)
La cuisinière canadienne (1840), probablement le premier livre de cuisine en langue française publié au Canada, propose plusieurs recettes de tourtière. Le porc, le mouton, le veau, les pommes de terre (qui ont commencé à être utilisées dans la colonie à partir des années 1770, importées par les Britanniques) et le poulet ont des recettes distinctes dont la garniture est cuisinée, mijotée et épicée avant d’être insérée entre deux solides couches de pâte. Le bœuf est l’ingrédient principal des Pâtés de Noël, qui suit la recette de base de la tourtière et de ses variantes.
Poutine
La poutine peut maintenant être commandée aussi bien dans les meilleurs restaurants que dans les restaurants rapides, mais elle était encore complètement inconnue au milieu du XXe siècle. C’est dans les casse-croûtes des régions rurales du Québec, à la fin des années 1950, que ce plat combinant des frites fraîchement cuites, du fromage en grains et de la sauce fait son apparition. Les origines précises de la poutine font l’objet de nombreux débats, mais on s’accorde à penser que la recette s’est développée en plusieurs étapes.
La proximité des fromageries qui produisaient le fromage en grains dans le Centre-du-Québec a joué un rôle crucial. Dans la région, plusieurs villes et même plusieurs familles se déclarent les authentiques créateurs de la poutine. À Warwick (près de Victoriaville, au Québec), Fernand Lachance, qui tient le Café Idéal (rebaptisé Le Lutin qui rit), a déclaré qu’il a ajouté pour la première fois des grains de fromage aux frites en 1957, à la demande d’Eddy Lainesse, un de ses clients réguliers d’alors. Fernand Lachance aurait alors répliqué à son client « ça va te faire une maudite poutine! » avant de lui servir le mélange dans un sac en papier. Le plat devint populaire et divers restaurants ont commencé à le proposer en y ajoutant du ketchup ou du vinaigre. En 1963, Fernand Lachance commença à servir le plat dans une assiette pour éviter d’avoir trop de débris sur les tables. Les clients se plaignant que les frites refroidissent trop vite dans l’assiette, il décide alors de mouiller les frites et le fromage en grains avec de la sauce pour garder le plat chaud.
Brouet de poisson
La cuisine de Terre-Neuve est en large partie basée sur le sel. Les pêcheurs devaient se cantonner à des ingrédients pouvant être conservés durant toute la durée de leurs sorties en mer, soit plusieurs semaines ou plusieurs mois. C’est ainsi qu’ils ont développé le brouet de poisson. Ce plat est préparé à partir de poisson salé, de porcs salé et de « biscuits de mer », une sorte de biscuit sec prisé des marins. Tout comme le « souper Jiggs », le brouet de poisson est un plat rural caractéristique de Terre-Neuve.
Le terme « brouet » est lié à la préparation des biscuits de mer. Le mot brouet proviendrait de l’anglais brewis qui, selon les légendes urbaines, serait une déformation du mot bruised, qui ferait référence au fait que les biscuits de mer sont brisés en petits morceaux plus faciles à manger. Cette étymologie n’a cependant jamais été prouvée. Il est plus probable que le mot brewis provienne du moyen anglais et signifie bouillon à base de pain, de légumes et de viande.
Le poisson utilisé, la morue salée, abondait à Terre-Neuve jusqu’à l’instauration du moratoire sur la pêche à la morue en 1992. C’est la morue qui a motivé l’arrivée des colons britanniques à Terre-Neuve après le passage de John Cabot en 1497. Cette pêcherie fut un des moteurs de l’ascension de l’empire britannique et la pierre angulaire de l’économie de Terre-Neuve jusqu’à son effondrement au début des années 1990. Depuis, elle ne se rétablit que très lentement.
Souper Jiggs
Le souper Jiggs est un mets de base de la cuisine rurale de Terre-Neuve. Il est également appelé « souper du dimanche », car il est habituellement servi ce jour-là, ou bien « souper bouillit » ou « souper cuit ». La plupart des recettes traditionnelles accommodent de nombreux convives car les familles nombreuses et les grandes réunions étaient communes dans la province de Terre-Neuve avant la modernisation de sa société.
Le volume préparé devait également fournir des restes en grande quantité, baptisés « hachis ». Ils étaient mélangés à d’autres ingrédients trouvés dans le réfrigérateur avant d’être fris à la poêle. Le hachis au baloney est très populaire le lundi.
Le mot « Jiggs » fait référence au personnage de la bande dessinée de George McManus, Bringing Up Father. Jiggs était un immigrant irlandais qui vivait en Amérique et qui se préparait souvent du corned beef et du chou, un mélange précurseur du souper Jiggs de Terre-Neuve. La plupart des colons de Terre-Neuve étaient issus de l’immigration irlandaise, et il n’est donc pas surprenant qu’une si grande partie de leur cuisine et de leur culture ait des racines celtiques.
Pemmican
Le pemmican (du cri pimikan, qui signifie « graisse préparée ») est à base de viande séchée, traditionnellement du bison (on peut également utiliser de l’orignal, du caribou, du cerf ou du bœuf), réduite en poudre grossière puis mélangée en parts égales à du saindoux et, parfois, à des amélanches, des canneberges et même, pour les grandes occasions, à des cerises, des groseilles, des cerises de Virginie ou des bleuets. Une fois refroidi, le mélange est inséré par lot de 41 kg dans des sacs en peau de bison. Le pemmican était une nourriture dense, riche en protéines et en énergie qui pouvait être facilement conservée et expédiée pour ravitailler les voyageurs de la traite des fourrures qui fréquentaient les régions des prairies où la nourriture pouvait se faire rare, surtout en hiver.
C’est Peter Pond qui aurait introduit ce mets vital dans le circuit de la traite des fourruresen 1779 après en avoir obtenu des Chipewyans, dans la région d’Athabasca. Plus tard, plusieurs postes de traite le long des rivières Rouge, Assiniboine et Saskatchewan Nord se consacrent à l’acquisition de pemmican auprès des Autochtones qui vivent dans la région, ainsi qu’auprès des Métis. Les Métis se déplaçaient dans les prairies à l’aide de charrettes de la rivière Rouge (charrettes construites entièrement en pièces de bois assemblées avec des ligatures de cuir). Ils chassaient le bison et utilisaient sa viande pour préparer du pemmican qu’ils livraient dans des sacs aux postes de traite tels que Fort Alexander, Cumberland House, Fort Garry, Norway House et Edmonton House. Le pemmican était important pour l’économie régionale. En 1814, le gouverneur Miles Macdonell adopte la proclamation sur le pemmican, qui interdit l’exportation de toute nourriture, y compris le pemmican, à partir de la colonie de la rivière Rouge. Ce faisant, il manque de peu de déclencher une guerre avec les Métis.
Pouding Chômeur
Le dessert québécois connu sous le nom de « pouding chômeur » est un mets délicieusement riche et étonnamment simple. C’est une bonne dose de pâte cuite au four dans un fond de caramel. Ce pouding ressemble beaucoup à un gâteau renversé à l'ananas, sauf qu’il ne contient pas de fruits.
La légende veut que ce pouding ait été créé par des ouvriers d’usine durant la Grande Dépression, lorsque les femmes devaient se contenter d’une poignée d’ingrédients pour préparer leurs repas, notamment du beurre, de la farine, du lait et des œufs. Durant la crise économique, le fond de caramel qui baigne la pâte était probablement confectionné à partir de sucre brun mais il a été plus tard remplacé par du sirop d’érable. Ce dessert est considéré comme un des éléments de base de la cuisine québécoise et The Oxford Companion to Food note que la recette s’inspire de techniques culinaires françaises qui ont été adaptées au nouveau contexte. Lorsque le sirop d’érable remplace le sucre brun, le plat illustre parfaitement la cuisine syncrétique de cette province qui, depuis le début de la colonisation, combine les ingrédients traditionnellement autochtones aux recettes européennes.
Tarte au sucre
Pour de nombreux pionniers canadiens, l’érable était l’unique source de sucre et son sirop était presque toujours ajouté aux déserts, dont le plus simple reste le sirop d’érable coulé sur la neige fraîche. Il existe un nombre infini de desserts qui contiennent du sirop d’érable. Les poudings d’origine anglaise ont été adaptés en ajoutant du sirop d’érable à la recette et la fameuse tarte au sucre est aujourd’hui commune en France où presque toutes les pâtisseries la proposent. En Louisiane, la « tarte aux pacanes » est une variante de cette tarte et au Kentucky, la « tarte transparente » est simplement une tarte aux pacanes sans les noix de pacane. Dans le Canada anglais, les tartes au beurre, à base de sucre brun, sont également une variante de la tarte au sucre.
Ce qui distingue la version franco-canadienne pour un grand nombre de ces desserts est l’utilisation systématique de sucre ou de sirop d’érable comme édulcorant. Le sucre brun était jadis un produit rare qui n’était pas disponible au Québec. Il a progressivement remplacé le sirop d’érable et les tartes au sucre, qui étaient autrefois confectionnées avec du sirop d’érable, sont aujourd’hui préparées avec du sucre brun. De nombreux desserts tels que la tarte au sucre d’érable ont cependant survécu tels quels jusqu’à nos jours et sont souvent servis en fin de repas.