Les destroyers de la classe Saint‑Laurent ont été mis au point au début de la Guerre froide, pour disposer de frégates anti‑sous‑marines destinées à contrer la menace croissante que représentaient les sous‑marins conventionnels soviétiques. Les Saint‑Laurent, qui intégraient de nombreuses caractéristiques révolutionnaires leur ayant valu le surnom de « Cadillac », ont été la première classe majeure de bâtiments de guerre conçus et construits au Canada. Sept destroyers d’escorte Saint‑Laurent ont été construits. Le succès de leur conception a inspiré une série de bâtiments appartenant aux classes ultérieures Restigouche, Mackenzie et Annapolis.
Au total, vingt navires, tous nommés d’après des cours d’eau canadiens, ont été construits autour des mêmes configurations de coque et d’appareil propulsif. Ces navires emblématiques ont été le pilier de la flotte canadienne de 1955 à 1995, une période ayant couvert la plus grande partie de la Guerre froide.
Classe Saint‑Laurent
En 1947, la Marine royale canadienne (MRC) observe que la marine soviétique est en cours d’adaptation de la technologie allemande sophistiquée, utilisée pour les U‑Boots, dans sa propre flotte de sous‑marins, alors en pleine expansion. La MRC réalise que la lutte anti‑sous‑marine (ASW) continue de représenter un défi majeur, concluant que « Le destroyer du futur n’existe pas encore. » Ni la marine américaine ni la marine britannique ne disposent alors d’une frégate anti‑sous‑marine (AS) adéquate que le Canada pourrait acquérir, ni n’ont de plan pour en construire une dans l’immédiat. C’est pourquoi, en juillet 1948, la MRC met en place sa propre autorité de conception de navires de guerre.
En quelques mois, la MRC produit une esquisse préliminaire d’un navire révolutionnaire, à pont affleurant, dont la conception est approuvée par le Conseil de la marine, le 19 janvier 1949. Le 26 mars, le cabinet du premier ministre Louis St‑Laurent approuve la construction de trois premiers navires, une semaine avant la première réunion du Conseil de l’OTAN, le 5 avril. En août 1950, la construction de quatre bâtiments supplémentaires est autorisée, dans la foulée du déclenchement de la guerre de Corée. Entre‑temps, au fur et à mesure que le travail de conception détaillée progresse, le Conseil de la marine se rend compte que bien que les capacités des bâtiments de cette classe entièrement nouvelle soient bien plus importantes que celles des frégates anti‑sous‑marines utilisées lors de la Deuxième Guerre mondiale, elles ne leur permettent toutefois pas de se prévaloir du titre de « destroyers polyvalents de l’après‑guerre », ce qui l’amène à les rebaptiser « destroyers d’escorte » (DDE). Le premier navire de cette classe est appelé le NCSM Saint‑Laurent, d’après le nom du fleuve Saint‑Laurent; il s’agit également du nom d’un destroyer de la Seconde Guerre mondiale, sans même parler de celui du premier ministre qui en a approuvé la construction. La construction du nouveau bâtiment débute le 24 novembre 1950, son lancement ayant lieu deux ans plus tard et sa mise en service, le 29 octobre 1955.
Conception
Bien que la conception préliminaire du navire soit réalisée par la MRC, les travaux de conception détaillée sont sous‑traités, en juin 1949, au cabinet d’architecture navale de Montréal German and Milne. L’une des principales caractéristiques du bâtiment consiste en un appareil propulsif novateur de type Y‑100, une turbine à engrenages à double chaudière de 30 000 chevaux‑vapeur occupant beaucoup moins d’espace intérieur que d’autres technologies, tout en permettant une vitesse de pointe de plus de 28 nœuds (52 km/h) et une autonomie de 4 500 milles marins (8 400 km), à une vitesse de 12 nœuds (22 km/h). Des hélices jumelles et un gouvernail double permettent une manœuvrabilité exceptionnelle.
Le pont affleurant des Saint‑Laurent s’étend sur toute la longueur du navire, ce qui en fait la première classe de petits navires de guerre dans lesquels l’équipage peut se déplacer de la proue à la poupe, sans avoir à passer par le pont supérieur. L’équipage bénéficie également, pour la première fois sur un navire de la MRC, d’autres installations facilitant la vie à bord, notamment des couchettes individuelles (au lieu de hamacs) équipées de lampes de lecture, des casiers personnels plus grands, une cafétéria (au lieu des « repas de travers » consommés dans les espaces « d’aménagements d’équipage »), des « latrines » (toilettes) et des lavabos améliorés, un meilleur éclairage, plus d’espace de réfrigération et de congélation, un approvisionnement en eau douce plus performant et la climatisation. Un autre concept révolutionnaire en vigueur sur la nouvelle classe de bâtiments consiste à couvrir la passerelle (auparavant ouverte aux éléments) et à créer une grande salle d’opération, installée sur un pont à un niveau inférieur par rapport à celui à partir duquel le capitaine mène le navire au combat, plutôt que de le gouverner (contrôler) depuis la passerelle.
La coque et les livets de pont arrondis sont conçus pour réduire l’accumulation de glace et pour éliminer plus facilement les résidus radioactifs, chimiques et biologiques (RCB), en cas d’attaque. Les machines du pont supérieur sont réduites au minimum pour éviter l’accumulation de glace, les ancres étant, par exemple, manipulées sous le pont de gaillard et rangées derrière des portes escamotables chauffées prévues à cet effet.
Comme une grande partie de l’équipement du navire et bon nombre de ses installations sont situées sous le pont, l’équipage peut également faire fonctionner le navire de manière plus sûre dans une zone de retombées RCB. Un système de « prémouillage » (arrosage préventif) élimine toute contamination et la plupart des espaces intérieurs sont surpressurisés. Tout cela signifie qu’une grande partie de l’équipage est en mesure de vivre et d’accomplir sa mission opérationnelle dans une « citadelle » isolée de l’environnement extérieur.
Armement
L’armement principal est constitué des éléments suivants : deux canons jumelés, l’un à l’avant et l’autre à l’arrière, guidés par radar, de 3 pouces, pour la protection contre des attaques aériennes et des attaques de surface limitées; deux canons anti‑aériens de 40 mm (bien que ceux‑ci aient été rapidement abandonnés); deux lanceurs de torpilles simples; et deux mortiers anti‑sous‑marins, de toute dernière génération, les British Limbo Mk.NC 10 à triple canon. Ces mortiers peuvent être dirigés par des systèmes de conduite de tir par sonar, depuis la salle des opérations, et sont en mesure de tirer dans n’importe quelle direction, contrairement aux grenades sous‑marines qui étaient lancées depuis l’arrière du bâtiment ou aux précédents modèles de mortier qui ne pouvaient tirer que vers l’avant.
Construction
La construction est répartie entre sept chantiers navals : cinq sur la côte Est (à Montréal, Sorel et Lauzon, au Québec, ainsi qu’à Halifax, en Nouvelle‑Écosse), et deux dans l’Ouest (à Vancouver et à Victoria, en Colombie‑Britannique). Il est alors impossible de construire des bâtiments sur les Grands Lacs, le prolongement de la voie maritime du Saint‑Laurent étant toujours en cours. En dehors des chaudières et des mortiers, tous les systèmes du navire sont produits conformément aux normes nord‑américaines, en vue d’en faciliter la construction et la réparation. La MRC prévoit également de pouvoir construire rapidement des navires supplémentaires, en cas d’urgence. Différentes sections de la coque peuvent être préfabriquées, sous la forme d’unités indépendantes, pour être ensuite transportées par chemin de fer et assemblées dans les chantiers navals.
Classes ultérieures et conversions
Bien que la MRC ait initialement prévu de construire 14 destroyers d’escorte de la classe Saint‑Laurent, seulement sept sont finalement produits : le Saint‑Laurent, l’Assiniboine, l’Ottawa, le Saguenay, le Skeena, le Fraser et le Margaree. Les technologies plus performantes de lutte anti‑sous‑marine, mises au point pendant la construction des 14 premiers navires, conduisent à la création de la classe ultérieure des Restigouche à laquelle vont appartenir les 7 bâtiments suivants : le Restigouche, le St Croix, le Gatineau, le Kootenay, le Terra Nova, le Columbia et le Chaudière. Les Restigouche sont dotés d’un canon d’avant de 3 pouces, plus long et plus puissant, synonyme d’une surélévation et d’un agrandissement de la passerelle fermée. Quatre autres navires de configuration similaire sont approuvés, en 1958, et désignés comme la classe Mackenzie : le Mackenzie, le Saskatchewan, le Yukon et le Qu’Appelle.
Pendant la construction des Restigouche et des Mackenzie, la MRC expérimente deux concepts distincts qui vont modifier fondamentalement l’approche de la lutte anti‑sous‑marine à bord de ces bâtiments : le sonar à immersion variable (VDS) et les hélicoptères embarqués à bord. Ces deux innovations connaissent un immense succès immédiat et les sept Saint‑Laurent d’origine subissent une reconstruction majeure, de 1962 à 1964, impliquant l’ajout d’un hangar et d’un pont d’atterrissage derrière les cheminées, ainsi que le retrait d’un ensemble de mortiers Limbo pour faire place à un VDS. Le nouveau Saint‑Laurent est doté d’une coque distinctive, d’une nouvelle forme, et est reclassé comme destroyer porte‑hélicoptères (DDH). Le jumelage du DDH Saint‑Laurent avec l’hélicoptère CH‑124 Sea King devient emblématique de la marine canadienne pendant la Guerre froide.
Dans les années 1960, la classe Annapolis, comprenant deux navires, construits de la quille à la proue spécifiquement comme bâtiments porte‑hélicoptères, constitue la dernière version de la conception de type Saint‑Laurent. L’Annapolis et le Nipigon sont les derniers bâtiments dotés de cette forme de coque, portant à 20 le nombre total de ces navires de ce type construits au Canada. Peu de temps après, on propose une classe ultérieure appelée « reprise du Nipigon », afin d’intégrer un plus grand nombre encore d’améliorations dans l’équipement de lutte anti‑sous‑marine du bâtiment. La décision de changer la propulsion à vapeur en faveur d’une nouvelle technologie de turbine à gaz et l’installation de missiles d’autodéfense Sea Sparrow aboutissent cependant à une conception entièrement nouvelle qui devient le destroyer de classe Iroquois (DDH‑280).
Entre 1968 et 1972, quatre des sept Restigouche (le Terra Nova, le Gatineau, le Kootenay et le Restigouche) sont convertis à la norme des destroyers de la classe Restigouche améliorée (IRE), le canon arrière et l’un des supports de mortier Limbo étant remplacés par un lance‑roquette anti‑sous‑marin (un système propulsant par fusée des torpilles de lutte anti‑sous‑marine) et par un VDS. Les nouveaux bâtiments intègrent également un mât‑treillis distinctif destiné à accueillir de nouveaux équipements radar conçus pour différents profils visuels. Les trois autres navires de la classe sont mis en réserve et utilisés à des fins non maritimes.
Le saviez‑vous?
Le matin du 23 octobre 1969, le NCSM Kootenay, qui faisait partie d’une force opérationnelle de retour au Canada après des exercices dans les eaux britanniques, reçoit l’ordre d’effectuer un essai de routine à pleine puissance. Peu après, une explosion se produit, en raison de l’installation déficiente d’un logement de boîtes d’engrenage. L’explosion et l’incendie qui suit provoquent le décès de 9 membres d’équipage et en blessent 53 autres. Il s’agit de la pire catastrophe de l’histoire de la MRC en temps de paix. Cet incident a cependant mis en évidence la nécessité de dispositifs de sécurité supplémentaires qui seront rapidement installés sur l’ensemble de la flotte. (Voir Le désastre du NCSM Kootenay.)
Plusieurs navires des classes Saint‑Laurent, Restigouche et Annapolis reçoivent encore d’autres modifications, au fur et à mesure du déroulement de la Guerre froide. Il s’agit notamment, dans les années 1980, de l’installation de nouvelles versions de capteurs de combat et de systèmes mécaniques, tandis qu’une classe de remplacement est en cours de construction (les frégates de la classe Halifax, dont la première a été mise en service en 1992). Le VDS du Fraser, de l’Annapolis et du Nipigon est également remplacé par les premiers modèles du Système canadien de surveillance par réseaux remorqués (CANTASS), qui constitue le principal capteur de lutte anti‑sous‑marine des frégates de la classe Halifax.
Exploitation
Au début de leur mise en service, les Saint‑Laurent et les Restigouche d’origine sont répartis entre la côte Est et la côte Ouest, selon l’endroit où ils ont été construits.
Cependant, après l’unification des forces armées en 1968, la flotte est redistribuée. Les DDH dotés des capacités les plus importantes (les sept Saint‑Laurent d’origine et les deux Annapolis) sont basés à Halifax, afin d’être disponibles pour les opérations de l’OTAN, tandis que les destroyers de la classe Restigouche améliorée et les bâtiments de la classe Mackenzie sont maintenus sur la côte Ouest, les premiers à des fins opérationnelles, les deuxièmes en vue de constituer le cœur d’un escadron d’entraînement.
Étant donné qu’à l’exception de la crise des missiles cubains, la Guerre froide n’est jamais devenue « chaude », le seul navire du type général à avoir l’occasion de participer à des combats est le Terra Nova, lors de la guerre du golfe Persique de 1990‑1991. Dans le cadre de cette intervention, le bâtiment a dû être amélioré rapidement, son lance‑roquette anti‑sous‑marin et son mortier Limbo, de la classe IRE, étant respectivement remplacés part deux lanceurs de missiles antinavires Harpoon et par un système d’arme de combat rapproché (CIWS) Phalanx antimissile. Le Restigouche, également modifié de cette façon, ne participera toutefois jamais aux combats.
Déclassement
Le Saint‑Laurent est vendu à la ferraille en 1974, mais sombre lors de son remorquage, dans une tempête au large du cap Hatteras. La plupart des autres bâtiments voient la fin de la Guerre froide, avant d’être progressivement retirés du service, au fur et à mesure de leur remplacement par la classe Halifax, dans les années 1990. Sept d’entre eux sont transformés en récifs artificiels pour les amateurs de plongée.
Le Nipigon est le dernier navire du type général à être mis hors service, le 1er juillet 1998, subsistant sous la forme d’un récif de plongée, au large de Rimouski, au Québec. Le dernier bâtiment de ce type à être éliminé, non sans controverse, est le NCSM Fraser. Retiré du service le 5 octobre 1994, il est vendu quatre ans plus tard. Censé être transformé en musée flottant, à Bridgewater, en Nouvelle‑Écosse, il se détériore cependant très fortement après l’échec de ce projet. Le Fraser est démoli pour être vendu à la ferraille, en 2011.