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Doctrine de la découverte

La doctrine de la découverte désigne un ensemble de principes juridiques internationaux élaborés en grande partie entre les XVe et XVIe siècles. À la base, la doctrine soutient qu’à la découverte de nouvelles terres, les nations européennes pouvaient prendre possession du territoire et y exercer leur souveraineté. Toutefois, le territoire doit être inconnu des Européens, non occupé par un prince chrétien et habité par des populations jugées « non civilisées » par les Européens. Elle constitue la base de la souveraineté des nations coloniales telles que le Canada et les États-Unis. Les nations coloniales sont des pays ayant une population autochtone, mais dont le gouvernement et les normes culturelles sont établis par des personnes venues d’autres pays. En outre, la doctrine crée les conditions de la dépossession et de l’asservissement juridiques, politiques et économiques des peuples autochtones du monde entier.

Contexte

La doctrine de la découverte voit le jour à l’époque des grandes découvertes européennes des XVe et XVIe siècles. Toutefois, les experts font remonter ses origines au Ve siècle. À cette époque, les Européens croient en la création d’une communauté chrétienne universelle (voir aussi Christianisme). Ce concept se développe entre les XIe et XIIIe siècles lorsque les croisés chrétiens cherchent à récupérer la terre sainte. L’exploration, le commerce et la conquête des terres par le Portugal et l’Espagne aux XIVe et XVe siècles obligent la papauté à émettre des bulles pour justifier et légaliser les activités de ces nations. Les bulles papales sont des lettres officielles émises par le pape sur des questions de grande importance. En 1436, la papauté émet une bulle connue sous le nom de Romanus Pontifex. Cette bulle autorise le Portugal à contrôler et à christianiser les îles Canaries au nom du pape. Puis en 1452, la bulle Dum Diversas accorde au Portugal le droit « d’envahir, de rechercher, de capturer, de vaincre, de soumettre tous les sarrasins et les païens quels qu’ils soient, et les autres ennemis du Christ où qu’ils se trouvent […] de réduire leurs personnes en esclavage perpétuel, de s’appliquer et de s’approprier, à lui et à ses successeurs, les royaumes, duchés, comtés, principautés, dominions, possessions et biens, et de les convertir à son usage et à son profit, ainsi qu’au leur ». Dans la même veine, en 1455, la bulle Romanus Pontifex accorde au Portugal le droit de conquérir des terres non chrétiennes et de promouvoir le christianisme. L’Espagne demande ensuite au pape de légitimer les revendications de Christophe Colomb au nom de l’Espagne sur les terres autochtones habitées. En réponse, le pape Alexandre VI publie en 1493 la bulle Inter Caetera qui établit une ligne de partage des explorations et des revendications de l’Espagne et du Portugal afin d’éviter tout conflit entre les deux royaumes. La bulle Inter Caetera apporte également une validation chrétienne aux revendications européennes. Conjointement, ces bulles confèrent une autorité religieuse à la conversion, à la civilisation, à l’occupation et aux droits des terres acquises par l’Espagne et le Portugal. Elles jettent également les bases de futures acquisitions par les puissances coloniales émergentes, telles que la France, l’Angleterre et les Pays-Bas.

Pape Alexandre VI

L’Angleterre et la France, ainsi que d’autres nations en quête de terres et de ressources, rejette la division du monde par l’Inter Caetera. Elles utilisent cependant les principes généraux de la doctrine de la découverte et contribuent à sa définition. L’Angleterre et la France soutiennent qu’en plus de la découverte, du commerce, de la conquête et de la propagation du christianisme, il doit y avoir occupation des terres par la nation revendicatrice. L’Angleterre ajoute également la notion terra nullius, une locution latine signifiant « terre vacante », pour justifier ses revendications. Elle soutient que ce principe s’entend des territoires sans un souverain européen reconnu, où personne ne vit, ou des régions où les populations ne sont pas reconnues par le droit international défini par l’Europe.

Le saviez-vous?
Pour revendiquer une découverte, les nations européennes se livrent à des actes symboliques. Les représentants plantent des drapeaux, enterrent des pièces de monnaie ou gravent des inscriptions sur des plaques de plomb, érigent des bornes et lisent des déclarations pour affirmer leur revendication. Bien que la doctrine de la découverte ne soit plus considérée comme valide, la théorie s’applique encore aujourd’hui à l’exploration spatiale. La plantation de drapeaux sur la lune est un exemple. En s’inspirant des revendications de découverte, des entreprises vendent des propriétés sur Mars et sur la lune, ainsi que des droits sur des étoiles lointaines.


Dans les années 1600, la doctrine de la découverte est fermement ancrée dans le droit international. Elle délimite les revendications européennes et établit des règles concernant le droit de revendiquer un territoire particulier. Bien que la doctrine vise à réglementer les revendications européennes et à limiter les conflits entre les puissances colonisatrices, la contestation de revendications continue de provoquer des différends. Cependant, l’assujettissement des terres et des peuples autochtones aux Européens n’est jamais contesté. La doctrine repose sur le postulat de la supériorité européenne. Par conséquent, elle maintient que lors de la découverte, les lois et souverainetés autochtones sont subordonnées à la nation découvreuse.

Décision McIntosh

En 1823, la Cour suprême des États-Unis résume la doctrine de la découverte dans l’affaire Johnson v. McIntosh. Le juge en chef Marshall déclare que « la découverte est le fondement du titre de propriété, dans les nations européennes, et fait fi de tout titre de propriété autochtone ». Il mentionne également qu’« une nation qui passe sous la domination d’une autre nation n’est plus un état souverain ». Dans l’ensemble, l’affaire McIntosh contient dix éléments qui définissent la doctrine de la découverte :

  1. la découverte d’une terre confère à la nation européenne qui la découvre des droits souverains sur cette terre;
  2. le titre de propriété obtenu par la découverte est incomplet sans l’occupation;
  3. les nations découvreuses ont le droit exclusif d’acheter des terres aux peuples autochtones;
  4. les nations autochtones, après la découverte, ne conservent que des droits d’occupation et d’utilisation de la terre;
  5. la souveraineté des nations autochtones est réduite à traiter uniquement avec la nation découvreuse;
  6. les revendications européennes sont limitées aux terres contiguës à leurs sites d’occupation;
  7. les nations européennes peuvent occuper des terres vacantes ou non possédées, y compris les terres des peuples autochtones qui ne répondent pas aux définitions européennes en matière d’utilisation et de gouvernance des terres;
  8. les peuples non chrétiens n’ont pas les mêmes droits que les nations et peuples chrétiens;
  9. les nations jugées non civilisées selon les normes européennes n’ont pas droit à la pleine souveraineté;
  10. la conquête des peuples et des terres peut se faire par une « guerre juste » ou par l’affirmation et l’application des lois européennes.

La doctrine, résumée par le juge en chef Marshall et tirée de documents et d’actions historiques, continue d’avoir des répercussions sur les peuples autochtones du monde entier. La fondation du Canada et sa relation actuelle avec les peuples autochtones reposent sur la doctrine de la découverte.

Juge en chef John Marshall

La doctrine de la découverte aujourd’hui

La doctrine de la découverte et les politiques coloniales qui en découlent ont encore des répercussions aujourd’hui. Après le traité de Paris, signé le 10 février 1763, la colonie de Nouvelle‑France devient une possession britannique. Peu après, le roi George III cherche à organiser politiquement les territoires qu’il vient d’acquérir par le biais de la Proclamation royale de 1763. Ce document proclame la souveraineté britannique en revendiquant le titre sous-jacent des terres autochtones, en limitant les droits autochtones à l’occupation et en enchâssant la vente de terres à la Couronne (voir aussi Droits des Autochtones au Canada). Il place également les peuples autochtones sous la protection de la Couronne. La Proclamation royale de 1763 est un document fondateur du Canada et s’inscrit dans Loi constitutionnelle de 1982 du pays.

Dans l’ensemble, la doctrine de la découverte est la théorie juridique qui sous-tend le colonialisme au Canada. Le postulat de la supériorité et de la domination européennes génère des politiques et des événements tels que la Loi sur les Indiens, les pensionnats indiens et la rafle des années soixante. Ce postulat se retrouve également dans les décisions de la Cour suprême du Canada, notamment dans l’affaire Delgamuukw. L’affaire Delgamuukw (1997) fait comparaître les chefs héréditaires des Premières Nations Gitxsane et Wet’suwet’en. La décision de la cour permet de clarifier la définition de titre autochtone, notamment en imposant une série d’exigences aux peuples autochtones qui cherchent à prouver leur titre de propriété sur les territoires ancestraux. Par exemple, les peuples autochtones doivent prouver qu’ils jouissaient de l’occupation exclusive d’un territoire avant que la Couronne n’en affirme la souveraineté. Par contre, la Cour suprême reconnaît les revendications de la Couronne en matière de souveraineté sur simple revendication d’autorité sur les peuples et les terres autochtones.

Le 30 mars 2023, le pape François rejette la doctrine de la découverte. Il déclare plus précisément qu’elle ne reconnaît pas les « droits humains inhérents aux peuples autochtones » et qu’elle permet « l’assimilation forcée ». Malgré la répudiation de la théorie juridique, la papauté n’abroge pas les bulles papales qui constituent la base de la doctrine.