Peuplement
Les Cris et les Ojibwés sont les premiers à habiter le nord-est du lac Supérieur. En 1850, la Couronne britannique signe le traité Robinson-Supérieur avec les Ojibwés de la région. Ce traité intensifie l’installation des colons blancs dans les décennies à venir.
Le chemin de fer Algoma Central (Algoma Central Railway - ACR) dessert la région dès 1899. L’ACR amène des ouvriers au camp minier de Magpie pendant les années 1920, puis de 1936 à 1945, des bûcherons de la compagnie forestière Abitibi Power and Paper Co. Ltd., qui y récoltent l’épinette noire.
Originaires de l’Abitibi, au Québec, les frères Dubreuil s’établissent dans le Nord-Est de l’Ontario dès 1947 pour y exécuter des contrats d’abattage. Les efforts entrepris par le Département des Terres et Forêts de l’Ontario pour récupérer le bois calciné par le brasier du printemps 1948 dans la vallée de la rivière Mississagi permettent à Dubreuil et Frères Enregistrée d’obtenir un premier contrat d’importance. La compagnie adopte alors le nom Dubreuil Brothers. Ce contrat se termine en 1951. L’ACR leur accorde aussi un contrat de récolte sur ses territoires plus au nord, dans la région de l’ancien camp minier. Ils s’y installent avec des dizaines de familles d’ouvriers canadiens-français.
Les frères Dubreuil
Les quatre frères Dubreuil se nomment respectivement Napoléon (1913-1993), Joachim (1917-2001), Augustin (1924-2011) et Marcel (1927-2017).
Les frères Dubreuil souhaitent acheter le terrain occupé par le village de Magpie à l’ACR en 1959, mais ce dernier refuse de vendre. L’aîné des frères, Napoléon, propose alors de déménager le village de 200 personnes (les résidences étaient démontables) à une vingtaine de kilomètres au nord. Il avait constaté en effet que les territoires de récolte accordés par le gouvernement provincial se situaient toujours plus au nord. Napoléon souhaite aussi regrouper la scierie et le planeur au même endroit. (À Magpie, ces installations sont séparées d’une quinzaine de kilomètres.)
Dans une plaine située entre les lacs Vert et Willigar, Napoléon Dubreuil configure le site du village qui portera son patronyme. Le site se trouve près de l’ACR n’a aucun concurrent pour les territoires de récolte dans un rayon de plus de 50 km. Napoléon achète les 63 ha et obtient de la province une première concession de 10 000 cordes de bois (surtout de pin gris et de sapin baumier). Il est ravi que la nouvelle scierie puisse produire 50 000 pieds mesure de planche (PMP) par jour.
L’aménagement du village qui accueillera 400 résidents se déroule d’août 1960 à septembre 1961. La rue des Pins est la première dans laquelle on construit 18 maisons unifamiliales. On installe derrière elles les maisons démontables de Magpie. Apparaissent ensuite les rues des Bouleaux, des Épinettes, des Sapins, des Saules et des Trembles – pour rappeler les essences locales. Les maisons ont toutes l’eau courante et l’électricité. Elles sont reliées à une fosse septique commune et à un système de chauffage qui utilise la vapeur émanant des chaudières de la scierie. Les maisons demeurent la propriété de Dubreuil Brothers. Le loyer mensuel est prélevé sur le salaire de l’ouvrier. Un dortoir est construit pour accueillir 72 ouvriers célibataires. Ce village moderne se fait remarquer par un groupe d’étudiants en foresterie de l’Université de Toronto comme étant « un modèle de planification et d’efficacité » lors de leur visite au village en 1963.
Voir aussi : Ville fermée; Villes de ressources primaires.
Essor
Dans les premières décennies du village, à l’apogée de son activité économique, les bûcherons abattent les arbres en forêt, les écorcent, les transportent en camion sur les chemins forestiers et les déposent à la scierie ( voir aussi Exploitation forestière ). Là, on rince les billes et on les taille en pièces de la manière la plus efficace possible pour réduire le gaspillage. Des produits uniques comme la planche embouvetée « Dubreuil Board» se retrouvent à la quincaillerie Dubreuil Lumber, située près de l’ ACR à Sault Ste. Marie , à deux pas également des États-Unis où l’on achemine une quantité grandissante de bois. Napoléon Dubreuil introduit des innovations qui s’inspirent des méthodes qu’il a observées lors d’un voyage exploratoire en Norvège et en Finlande en 1965. Ces innovations permettent à Dubreuil Brothers de décrocher des contrats de récolte dans tous les cantons environnants directement du gouvernement de la province. En 1969, la production atteint 33,1 millions de PMP et 35,9 tonnes de copeaux.
L’existence de chemins forestiers permet aux ouvriers de rentrer à la maison tous les soirs, sans avoir à s’isoler pendant des semaines et des mois à la fois. De plus, la récolte pratiquée à longueur d’année fournit des emplois stables et stimulants. Les conditions de travail offertes à Dubreuilville attirent des familles appauvries par la précarité de l’agriculture dans le Bas-Saint-Laurent ou du travail forestier sur la Côte-Nord, au Québec. Le salaire moyen annuel permet aux familles de jouir d’une qualité de vie élevée. Par ailleurs, peu de liquidités circulent dans le village, car les dépenses sont prélevées du compte de l’ouvrier qui doit, s’il le souhaite, demander un retrait au comptant le jour de paie.
La compagnie est propriétaire des maisons, des rues et du magasin général. Toutefois, la localité devient plus lourde à gérer. Dubreuil Brothers accepte l’installation d’un agent de la Police provinciale en 1975, l’émergence d’une gestion municipale en 1977, puis la syndicalisation des ouvriers en 1978. Napoléon Dubreuil quitte alors la présidence de la compagnie et confie la gestion de l’usine à son fils Jean-Paul et celle des résidences à son neveu Raymond. Dubreuil Brothers compte alors 425 employés et produit près de 80 millions de PMP par an.
Industrie et économie en évolution
Pendant les années 1980, plusieurs scieries familiales du Nord-Est de l’Ontario sont achetées par de grandes entreprises intégrées (avec scieries et usines à pâtes) ou des multinationales (ayant des usines dans plusieurs pays). Dubreuil Brothers n’y échappe pas, malgré la signature d’une entente de gestion forestière avec la province en 1984. La construction d’une usine de copeaux de tremble (jusque-là non exploité) en 1987 ne réussit pas non plus à changer le cours des choses. Jean-Paul Dubreuil achète l’entreprise aux quatre familles en mai 1988, mais ne parvient ni à trouver un partenaire ni à obtenir les territoires de récolte nécessaires pour que l’usine dubreuilvilloise fonctionne à plein rendement. En avril 1989, Buchanan Forest Products de Thunder Bay achète l’entreprise.
Devant la faiblesse du dollar canadien, la conclusion d’une entente sur le bois d’œuvre avec les États-Unis en 1996 et le boom immobilier au sud de la frontière, l’entreprise, désormais appelée Dubreuil Forest Products (DFP), connaît une production quotidienne de 833 000 PMP et compte 570 employés en 2000.
Malgré cela, la compagnie éprouve d'importantes difficultés dans le nouveau millénaire. En 2001, les États-Unis ne renouvellent pas l’entente sur le bois d’œuvre. Cette décision ouvre la porte à des tarifs douaniers antidumping. Les représentants américains défendent leurs mesures en disant qu’ils doivent compenser l’accès aux terres publiques offert par le gouvernement de l’Ontario à bon marché, tandis qu’aux États-Unis, la récolte sur des terres privées est plus coûteuse.
En 2002, la dérèglementation des tarifs d’électricité par le gouvernement progressiste-conservateur de l’Ontario fait
grimper la facture de DFP de 127 %.
Ensuite, la grande récession de 2008-2009 voit la fermeture des chantiers de construction domiciliaire. Les mises à pied et l’attrition mènent à l’inévitable : DFP suspend les activités de son usine au printemps 2008. (Voir aussi : Industrie du bois; Relations économiques canado-américaines.)
Certains Dubreuilvillois travaillent déjà dans les mines d’or avoisinant le village : Cline Lake Gold et Edwards. En 2004, l’ouverture de la mine Island Gold, à 15 km de Dubreuilville, offre aussi un répit. En 2016, une légère majorité de ses 170 employés habite Dubreuilville en permanence. Les métiers, les services, l’ éducation et la santé fournissent aujourd’hui une part considérable des emplois dans la localité.
Population
La production et les emplois se multiplient au cours des premières années d’existence du village et le nombre de résidents passe de 400 en 1965 à environ 1 100 en 1975. À l’époque, Dubreuilville a beau ne pas se trouver sur la carte routière de l’Ontario, les réseaux de parenté de l’Abitibi (où ont grandi les quatre frères Dubreuil) et du Bas-Saint-Laurent nourrissent cette localité en ouvriers et en familles. La langue française, la foi catholique et les mœurs canadiennes-françaises forment un bloc auquel les rares anglophones tendent à s’intégrer. Encore en 2016, 97 % de la population parlent français, 84 % sont francophones de langue maternelle et 24 % sont francophones unilingues. La même année, Dubreuilville compte 613 résidents. Bien que l’âge de la population ait longtemps été plus bas que la moyenne provinciale, il y correspond plus ou moins de nos jours, les emplois y étant moins nombreux qu’autrefois.
Transport
Située sur la voie de l’ACR, Dubreuilville est également accessible par une route privée débouchant sur la route 17 (partie de la Transcanadienne) dès 1961. La localité érige une barrière et un poste de sécurité pour diminuer les risques d’accident — la route n’a qu’une voie dans certains virages — et contrôler la venue de non-résidents. La barrière est objet de dérision dans la pièce Lavalléville d’André Paiement (1974). En effet, certains la voient comme un moyen de contrôler les déplacements et de limiter l’influence, dans ce village franco-catholique, de la culture anglo-protestante de la région. En 1985, la province assure l’entretien de la route et la renomme route secondaire 519. Le poste de contrôle est démoli. Dès 1961, Dubreuilville a aussi un quai d’hydravion et une plateforme d’hélicoptère.
Communications
Dubreuilville a accès au téléphone dès son inauguration. Les journaux The Sault Star et Le Nord sont distribués au magasin général. Grâce à la câblodistribution, les foyers ont accès à la télévision. La programmation, enregistrée sur des cassettes, parvient avec quelques jours de retard, jusqu’à l’installation d’une antenne parabolique en novembre 1980. Plusieurs chaînes québécoises sont offertes. La localité a accès aux ondes de CBON (station régionale à Sudbury) de Radio-Canada en 1980 et à Internet en 1994.
Gouvernement et politique
Au début, la localité n’a ni conseil municipal ni commerce privé, mais le relâchement du monopole exercé par la compagnie se fait sentir progressivement. En 1969, la Banque Royale ouvre un comptoir. Le magasin général est vendu à Yvon Lacroix en 1977, au moment où l’Improvement District (district en voie d’organisation) est créé par la province pour permettre aux Dubreuilvillois de percevoir des taxes scolaires et de gérer les routes. Toutefois, le conseil qui administre le district n’est pas élu démocratiquement, mais nommé. Après une protestation menée par Yvon Lacroix, le district acquiert le statut de canton organisé en 1985. Ce dernier est dirigé par un préfet et quatre conseillers qui représentent l’ensemble des résidents (voir aussi Gouvernement municipal). Dubreuil Brothers se décharge également de la gestion des maisons, et les vend au rabais à partir de 1982.
Le saviez-vous?
Yvon Lacroix proteste contre l’absence d’un gouvernement municipal indépendant en se présentant à un rassemblement politique déguisé en citrouille! Il s’assure ainsi que le premier ministre Bill Davis se souviendra de lui lorsqu’il l’appellera à son bureau la semaine suivante.
Vie culturelle
La messe hebdomadaire est dite dans le sous-sol de l’école et au centre récréatif jusqu’en février 1972 alors qu’est inaugurée l’église Sainte-Cécile, où l’autel et la sacristie sont faits de bois locaux sculptés, un hommage à la forêt. Dans les projets de construction, Dubreuil Brothers fournit le bois et parfois la main-d’œuvre.
On pratique le hockey, la pêche et la chasse. On tient également des soirées dansantes, des parties de cartes, et des fêtes récurrentes comme le carnaval d’hiver (avec château de glace), la Saint-Jean-Baptiste et la visite annuelle du père Noël, qui distribue un présent à chaque enfant du village. Le village possède un vaste centre récréatif (avec restaurant, cinéma et salle de quilles) dès 1966 et un aréna depuis 1977.
L’École primaire Saint-Joseph ouvre ses portes en septembre 1961. Vu la croissance démographique, on aménage un nouvel édifice pouvant accueillir 200 élèves à la rentrée de 1975. Afin de poursuivre leurs études secondaires en français, certains Dubreuilvillois s’inscrivent au collège privé à Hearst ou à Sudbury. D’autres fréquentent le Michipicoten High School de Wawa, mais plusieurs d’entre eux abandonnent leurs études, car la majeure partie de la formation y est offerte en anglais. En 1985, le Michipicoten School Board cesse de résister aux requêtes d’autonomie des familles franco-ontariennes et crée une administration scolaire francophone. Il faut toutefois attendre septembre 2008 pour que l’école secondaire de langue française l’Orée des Bois voie le jour à Dubreuilville.