Enfants maltraités
De tout temps, des enfants ont été maltraités et exploités. Des sources archéologiques laissent même entendre que des enfants étaient maltraités au cours de la période préhistorique. On a longtemps considéré les enfants comme étant la propriété de la famille. Dans les temps anciens, les pères pouvaient vendre, mutiler ou tuer leurs enfants. Plusieurs religions recouraient au sacrifice d'enfants pour plaire aux dieux ou pour les apaiser. L'infanticide était courant. Les enfants nés avec des infirmités, des retards mentaux ou des difformités étaient tués dans le but de maintenir et de renforcer la société. Dans la plupart des cultures, on croyait que les punitions sévères et les traitements rudes étaient nécessaires pour éduquer les enfants.
Au Canada, on considérait les enfants comme une main-d'oeuvre agricole à bon marché jusqu'à la fin du XIXe siècle. On les comptait et traitait comme des biens économiques, au même titre que les vaches, les poulets et les chevaux. Il reste encore un fond de ce passé historique dans les attitudes courantes au Canada envers le recours aux punitions corporelles, ainsi que dans l'approbation légale des punitions physiques infligées par les parents que renferme le Code criminel du Canada.
De nos jours, on considère la violence faite aux enfants comme un problème social d'envergure mondiale. Bien qu'on la condamne largement, elle demeure une menace persistante qui ne va pas en diminuant.
Les formes de violence envers les enfants
De façon générale, sur le plan pratique, la violence se définit comme tout obstacle mis au développement social, affectif, cognitif et physique de l'enfant par des individus ou des institutions. Le plus souvent, la violence s'exprime de façon plus précise à travers certains actes ou l'omission de certains actes : violence physique, violence sexuelle, violence psychologique et négligence. Il y a violence physique lorsqu'une personne en charge d'un enfant lui inflige ou laisse infliger une blessure physique sous forme de contusion, de brûlure, de fracture, de blessure interne ou de lésion cutanée. La violence sexuelle désigne tout acte sexuel commis par un adulte sur un enfant. Il y a violence psychologique quand la personne en charge utilise la menace, la terreur, le rejet ou le dénigrement, qui réduisent l'estime de soi chez l'enfant ou contribuent à son insécurité. Enfin, il y a négligence lorsque les soins prodigués à un enfant sont insuffisants pour répondre à ses besoins. Toutes les provinces canadiennes utilisent des définitions similaires pour désigner de façon juridique « un enfant ayant besoin de protection », mais seulement quelques-unes définissent dans la loi les termes « violence faite aux enfants ».
L'incidence et la fréquence de la violence
Les statistiques portant sur l'ampleur de la violence à l'égard des enfants sont controversées et défient les méthodes d'enquête courantes. L'incidence réfère au nombre de nouveaux cas de mauvais traitements enregistrés chaque année. La fréquence réfère au pourcentage d'enfants qui sont victimes de mauvais traitements dans une population. Il est nécessaire de consigner périodiquement des données sur l'incidence et la fréquence de la violence pour évaluer l'efficacité des politiques gouvernementales et des efforts de prévention. Les désaccords concernant la définition de la violence, la fiabilité de l'information obtenue dans d'autres pays et la diversité qui caractérise la société canadienne entravent néanmoins les efforts visant à obtenir un portrait exact de la violence faite aux enfants au Canada. Cette situation commence à changer avec la parution des deux enquêtes qui sont examinées ci-dessous.
Dans une étude sur l'incidence menée à l'échelle provinciale en Colombie-Britannique (Adolescent Health Survey, 1993), près d'une fille sur quatre et un garçon sur cinq en 8e ou en 9e années rapportent avoir été victimes de violence physique. Chez les enfants de 9e année, 20 p. 100 des filles et 3 p. 100 des garçons affirment être victimes de violence sexuelle.
Trocme et ses collègues (1994) produisent une étude exemplaire de cas d'enfants victimes de sévices en Ontario. Ils découvrent parmi les enfants englobés dans leur enquête une incidence de 21 pour 1 000, ce qui représente près de 47 000 enfants. Ils démontrent la présence de mauvais traitements dans 27 p. 100 de ces cas, tandis que les soupçons visent 30 p. 100 des cas et les allégations non fondées, 42 p. 100 des cas. Près de 41 p. 100 des cas comportent de la violence physique, 21 p. 100 de la violence sexuelle, 30 p. 100 de la négligence et 10 p. 100 des mauvais traitements psychologiques. Une évaluation prudente, fondée sur la présomption d'un nombre égal de cas non rapportés, porte à environ 94 000 le nombre annuel d'enfants ontariens qui vivent peut-être des situations de violence. Ces chiffres concordent avec des statistiques obtenues récemment aux États-Unis. Le Department of Health and Human Services des États-Unis (1994) rapporte qu'en 1992, les États américains dans leur ensemble ont ordonné une enquête sur 1,89 millions de cas touchant quelque 2,8 millions d'enfants que l'on présume victimes de mauvais traitements. De ce nombre, 46 p. 100 étaient victimes de négligence, 22 p. 100 de violence physique et 13 p. 100 de violence sexuelle. Le National Committee for the Prevention of Child Abuse, dont le siège social se trouve aux États-Unis, estime, pour 1992, à 1 160 400 les cas démontrés d'enfants victimes de sévices. Cette incidence se répartit comme suit : 45 p. 100 de négligence, 27 p. 100 de violence physique, 17 p. 100 de violence sexuelle et 7 p. 100 de violence psychologique. Le comité rapporte aussi que le taux de mortalité résultant de cette violence est passé de 1,3 pour 100 000 enfants en 1985, à 1,94 en 1992. Dans le groupe des 1261 enfants qui sont vraisemblablement décédés cette année-là des suites de sévices, 87 p. 100 avaient moins de 5 ans et 46 p. 100 avaient moins de 1 an.
Ces résultats aident à mieux situer dans son contexte le calcul selon lequel 1 enfant canadien sur 8 fait l'expérience de la violence sous l'une ou l'autre de ses formes, ce qui représente 900 000 enfants. En outre, c'est un fait démontré que les blessures qui auraient facilement pu être évitées sont la principale cause de décès chez les enfants au Canada.
La prévention de la violence envers les enfants
Ces statistiques indiquent que la violence à l'endroit des enfants constitue un problème social sérieux et répandu au point qu'il est peu probable que l'on parvienne jamais à l'éliminer. Une approche plus réaliste consiste à réduire son incidence par la prévention.
Cependant, il est extrêmement difficile de prévenir la violence faite aux enfants. Les premiers efforts déployés en ce sens partaient souvent du postulat que l'on peut prévenir les sévices aux enfants de la même façon que l'on prévient des pathologies en santé publique. Bien que les maladies contagieuses soient maîtrisées de cette façon, il en va autrement de la violence envers les enfants. Il n'y a pas de bactérie à combattre au moyen d'un vaccin.
Actuellement, on conçoit la violence à l'égard des enfants comme un problème davantage lié à l'aliénation, à l'anomie et à l'abus de pouvoir qu'à une maladie à enrayer. D'un concept de maladie, l'accent est passé au besoin de transformation sociale et au fonctionnement de la société. L'appauvrissement social et l'appauvrissement économique sont vraisemblablement les principaux facteurs qui peuvent aider à expliquer la violence envers les enfants.
Les récentes initiatives de prévention portent à la fois attention aux besoins individuels tels que l'apprentissage d'aptitudes sociales et les questions de structures sociales telles que la pauvreté chez les enfants. Dans cette perspective, les problèmes personnels sont considérés à la fois dans leurs dimensions interpersonnelles et socioculturelles. Cette conception du développement humain et des questions sociales contribue à engendrer un certain optimisme quant à ce qui peut être fait pour résoudre le problème de la violence envers les enfants, particulièrement si les communautés travaillent ensemble et de façon concertée pour résoudre les problèmes qu'elles partagent.