Défilé de la fête du Travail, Belleville, 1913 (Image: William James Topley/Bibliothèque et Archives Canada/PA-010532).
Les premières fêtes et l’influence américaine
Avant les années1880, le peuple organise sporadiquement des fêtes associées à des mouvements de revendication ouvriers plus larges. Certains historiens établissent d’ailleurs l’origine de la fête duTravail au Mouvement pour une journée de travail de neuf heures (1872).
À la suite d’une convention ouvrière à New York en septembre 1882, des organisations ouvrières commencent à organiser des célébrations plus fréquemment. Forts de ce premier succès, la Fédération américaine du travail (American Federation of Labor) et les Chevaliers du Travail s’activent à promouvoir des célébrations ouvrières le premier lundi de septembre dans les États américains. Présents au Canada, ces syndicats y font de même. On trouve trace de pareils rassemblements à Toronto (1882), Hamilton et Oshawa (1883), Montréal (1886), St. Catharines (1887), Halifax (1888), Ottawa et Vancouver (1890) et London (1892).
Une fête légale
Alors que la fête gagne en popularité dans l’ensemble du pays, les organisations ouvrières font pression sur les gouvernements pour que le premier lundi de septembre soit déclaré fête légale (voir Jours fériés nationaux ). Leur influence est assez importante pour que la Commission royale d’enquête sur les relations du travail avec le capital au Canada (1886-1889) recommande l’instauration d’une « fête du travail » par le gouvernement fédéral . Avant cette date, la journée ne jouit d’un statut officiel qu’auprès de quelques municipalités, comme Montréal qui en fait un jour civique dès 1889.
Entre mars et avril 1894, plus de 50 organisations syndicales de l’Ontario , du Québec , du Nouveau-Brunswick , du Manitoba et de la Colombie-Britannique envoient des pétitions aux parlementaires. Ces groupes incluent plusieurs conseils régionaux des métiers et du travail de même que des assemblées locales des Chevaliers du Travail, qui appuient leurs revendications sur des initiatives similaires orchestrées par les syndicats américains.
À la Chambre des communes, un projet de loi parrainé par le premier ministre John Thompson suscite le débat entourant le statut légal de la fête du Travail en mai 1894. La Chambre adopte la loi modifiée relative aux jours de fête sans grandes discussions. Le 23 juillet, elle reçoit la sanction royale., En 1894, le gouvernement fédéral des États-Unis reconnaît lui aussi la fête du Travail.
Les provinces n’ont d’autre choix que de s’adapter. Par exemple, les parlementaires québécois réagissent en annonçant que les tribunaux provinciaux ne seraient pas en fonction le premier lundi de septembre de cette année-là. Ce n’est toutefois qu’en 1899 que la province accorde à son tour un statut légal à la fête, enjoignant les commissions scolaires à retarder le début des classes jusqu’après le premier lundi de septembre.
Défilés et fêtes populaires
C’est en grande pompe que les Canadiens célèbrent la fête du Travail, le 3 septembre 1894. À Montréal, le Conseil des métiers et du travail de la ville joue un rôle important dans l’organisation des célébrations. Un défilé se met en branle dès 9 heures, le 3 septembre, à partir du Champ-de-Mars. Ses divisions regroupent les syndicats d’un même métier . C’est l’assemblée locale Grande-Hermine des Chevaliers du Travail qui ouvre la marche, conduisant les participants jusque dans un parc où les attendent discours, pique-nique et jeux. À Québec , le Conseil des métiers et du travail choisit plutôt d’organiser une messe suivie de divertissements tels des compétitions de vélo, des courses et une partie de crosse.
Jusqu’au début des années 1950, les organisations ouvrières organisent de telles célébrations partout au Canada. En effet, elles puisent dans le répertoire des fêtes de l’époque victorienne afin de négocier la fine ligne entre politique et loisirs. Car si l’évènement doit servir de tribune aux syndicats pour exposer leurs revendications, il participe aussi à la construction de l’identité de classe des travailleurs et se veut un temps de repos et de sociabilité hors des lieux de travail.
Défilé de la fête du Travail, Yonge Street, Toronto, vers 1900
L’image du travailleur de métier et de l’homme pourvoyeur domine lors de ces festivités. Bien que des travailleuses soient présentes et jouent un rôle dans l’organisation des activités en préparant la nourriture pour les participants, elles sont rarement l’objet du défilé. La marche de style militaire du défile ne cadre pas avec l’image de respectabilité que l’on impose alors aux femmes. Malgré quelques exceptions, leur rôle est ainsi souvent limité à saluer la foule à partir des chars allégoriques en tant qu’épouses ou travailleuses auxiliaires (voir Femmes dans la population active ). L’absence de travailleurs non qualifiés et non syndiqués restreint également la participation des travailleurs immigrants , des communautés racialisées et des Autochtones .
Le défilé est l’évènement phare et attire, selon la ville, des milliers de participants et de spectateurs. Au fil du temps, il se complexifie. Prenant exemple d’autres défilés populaires, on y ajoute des chars allégoriques et des fanfares. Au Québec, la fête possède une forte connotation religieuse, qui s’accroît avec le développement du syndicalisme catholique. Cela est particulièrement vrai avec la création en 1921 de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada, devenue la Confédération des syndicats nationaux (CSN) en 1960.
Déclin de la fête du Travail
À partir des années 1950, les festivités de la fête du Travail commencent à attirer de moins en moins de participants. À Montréal, on essaie pendant un certain temps de remplacer le défilé par un spectacle et des évènements protocolaires, mais sans grands succès. Plusieurs raisons expliquent ce déclin. Selon l’historien Jacques Rouillard, l’avènement de la société de loisirs et de consommation fait en sorte que les gens sont plus tentés de quitter la ville ou de se détendre en famille que d’aller au défilé. La participation baisse aussi en raison des changements dans le monde syndical. En effet, ce sont traditionnellement les syndicats de mé tier qui organisent la fête, mais avec la montée du syndicalisme industriel — regroupant des ouvriers non qualifiés et semi-qualifiés — la portée et la signification de la fête du Travail sont grandement modifiées. Tous ne se reconnaissent pas dans le discours traditionnel appelant à la « fierté du métier » véhiculé lors des célébrations. De plus, la Guerre froide vient scinder le travail organisé en différentes factions rivales, ce qui rend l’organisation des festivités plus difficile.
D’autres manifestations concurrentes viennent aussi amoindrir le nombre de participants à la fête du Travail. Les socialistes , communistes et marxistes célèbrent notamment le Premier mai, ou Journée internationale des travailleuses et des travailleurs. Celle-ci acquiert avec le temps une signification plus militante que la fête du Travail, et bon nombre de syndicats choisissent de défiler plutôt à cette occasion. De même, à partir du milieu des années1970, la Journée internationale des femmes (8 mars) devient une célébration alternative pour le syndicalisme féministe.
Aujourd’hui, la fête du Travail continue d’être soulignée formellement, aux côtés d’autres célébrations informelles. Des défilés se tiennent notamment toujours à Toronto et à Ottawa le premier lundi du mois de septembre.
Défilé de la fête du Travail à Toronto, 2008