Le français acadien est l’un des principaux dialectes de la langue française parlés au Canada (voir Langue française au Canada). Associé à la population acadienne francophone, on le parle surtout dans les quatre provinces de l’Atlantique ainsi que dans certaines régions du Québec. Comparativement à certaines autres formes de français parlées au Canada, de nombreuses variantes du français acadien sont jugées assez traditionnelles quant à leur forme et à leur structure. Cela s’explique notamment par le fait que l’Acadie est coupée de la France au début du 18e siècle (voir Histoire de l’Acadie). Même au cours de la période coloniale française, les contacts avec les Français, y compris les administrateurs coloniaux, sont limités. En conséquence, le français acadien présente des caractéristiques typiques du français parlé aux 16e et 17e siècles, depuis disparues du français parlé par d’autres communautés d’Amérique du Nord, de France et d’autres pays.
Contexte
La population acadienne du Canada descend des habitants de l’Acadie revenus d’exil après la déportation (aussi connue sous le nom de Grand dérangement), qui débute en 1755. Une grande partie des terres sur lesquelles cette population vit avant la déportation a été restituée aux colons britanniques et aux loyalistes américains. Ainsi, la plus grande partie des communautés acadiennes d’aujourd’hui se trouvent à l’extérieur des frontières historiques de l’Acadie d’autrefois. Aujourd’hui, on retrouve des communautés acadiennes dans les quatre provinces de l’Atlantique et dans certaines régions du Québec, notamment aux Îles-de-la-Madeleine, dans plusieurs villages de la côte sud de la Gaspésie et sur la rive nord de l’estuaire du Saint-Laurent. La plupart des Acadiens vivent au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse (voir Langue française au Canada).
Apparition du français acadien
Les premiers enregistrements sonores d’Acadiens proviennent de locuteurs nés entre le milieu et la fin du 19e siècle. Pour nous faire une idée de la sonorité du français acadien au 17e ou au 18e siècle, nous devons nous appuyer sur d’autres sources d’information.
Certains écrits (des lettres et des journaux personnels, par exemple) nous laissent imaginer comment les premiers Acadiens français parlaient leur langue. Toutefois, il convient de noter que la plus grande partie de la population acadienne des premiers jours ne peut ni lire ni écrire; ces documents sont donc rares. En plus de ces quelques sources écrites acadiennes, des pièces de théâtre, des dialogues, des lettres personnelles et des journaux intimes de voyageurs de la France du 18e siècle peuvent nous aider à reconstruire la sonorité du français acadien à cette époque.
Parmi les caractéristiques linguistiques plus traditionnelles retrouvées dans le français acadien contemporain, citons l’utilisation du pronom « je » au lieu de « nous » avec des verbes conjugués à la première personne du pluriel (« je chantons » au lieu de « nous chantons »), l’utilisation de la terminaison « ont » dans des verbes conjugués à la troisième personne du pluriel (« ils chantont » au lieu de « ils chantent ») et l’utilisation du passé simple pour exprimer une action passée (« je descendis »). D’autres exemples comprennent l’utilisation du mot « bailler » au lieu de « donner », et l’utilisation du son [ou] (comme dans « ouragan ») au lieu d’un « o » ouvert dans des mots comme « pomme » et « homard ».
Plusieurs formes de français acadien partagent également de nombreux usages avec le français québécois. C’est le cas, notamment, de l’utilisation de: « je vas » au lieu de « je vais »; « être après » suivi de l’infinitif au lieu d’« être en train de » suivi de l’infinitif; « astheure » au lieu de « maintenant »; « à cause que » au lieu de « parce que ». Il en va de même de la prononciation « ar » du son « er » (par exemple, « parsonne » au lieu de « personne »). Ces points communs mettent en évidence les racines que partagent le français acadien et le français québécois, remontant à l’époque coloniale française.
Le français acadien varie d’une région à l’autre. Par exemple, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, la linguiste Karin Flikeid a observé des variations dans la prononciation de certaines voyelles françaises. De son côté, la linguiste Ruth King fait remarquer que certaines des caractéristiques typiques du français parlé du 16e et du 17e siècles se sont enracinées dans de nombreuses communautés acadiennes à l’Île-du-Prince-Édouard et en Nouvelle-Écosse, bien que cette tendance soit moins marquée au Nouveau-Brunswick.
Influence anglaise
Une autre caractéristique bien connue du français acadien est l’effet qu’a sur lui le contact avec les Anglais (voir Langue française au Canada). Ce contact est beaucoup moins marquant dans les régions où les francophones constituent la majorité (par exemple, dans le nord-est du Nouveau-Brunswick) que dans les régions où ceux-ci sont en minorité (comme à Moncton, ville du sud-est du Nouveau-Brunswick, et dans certaines régions de Nouvelle-Écosse). Dans ces communautés, les francophones empruntent régulièrement des termes de la langue anglaise pour les incorporer au français acadien traditionnel. La linguiste Marie-Ève Perrot présente un excellent exemple de ce phénomène, tiré de ses recherches menées auprès de jeunes de 16 à 19 ans de Moncton:
pretty muchtou/t/ mon argent vient de mes parents / un jour / wellsoonfaudra j’arrête de bummer off zeux à cause comme / je sais qu’ils pouvont pas afforder de me faire vivre pour toute leur vie(Presque tout mon argent me vient de mes parents. Je devrai bien un jour arrêter de vivre à leurs dépens, car je sais bien qu’ils n’ont pas les moyens de me soutenir pour le reste de leur vie.)
Dans cet énoncé, des termes empruntés à l’anglais, comme « pretty much » pour « presque », « well » pour « ben », « soon » pour « bientôt », « bummer offzeux » pour « vivre à leurs dépens » et « afforder » pour « se permettre » sont juxtaposés à différents usages courants, dont la prononciation du « t » final dans « tout » et l’utilisation de l’expression « à cause » pour « parce que » et de « ils pouvont » pour « ils peuvent ».
Ce mode d’expression est couramment désigné sous le nom de chiac. Bien qu’il soit critiqué par certains, le chiac exprime une dimension particulière de l’identité acadienne, surtout pour les gens de la région du Grand Moncton. Il est particulièrement prisé d’auteurs comme Dano Leblanc etFrance Daigle et de chanteurs comme Lisa LeBlanc, qui l’utilisent amplement dans leurs créations littéraires et musicales.
En coulisses : Reconstruction du français acadien du 18e siècle pour le tournage de la Minute du patrimoine La déportation des Acadiens
Aucune variante contemporaine du français acadien ne correspond exactement au français parlé en Acadie au 18e siècle. Toutefois, la recherche suggère que certaines formes contemporaines du français acadien parlé dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse s’en rapprochent quelque peu.
LE SAVIEZ-VOUS?
Le français acadien du 18e siècle parlé par le narrateur de la Minute du patrimoine intitulée La déportation des Acadiens s’appuie sur deux variantes parlées dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, particulièrement dans les communautés d’Argyle et de Clare.
La plupart des communautés acadiennes établies après la déportation se composent de membres issus de différentes régions où l’on parlait probablement différentes variantes de français acadien. Toutefois, les communautés d’Argyle et de Clare dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, elles, s’écartent de cette tendance générale.
À Argyle, certains villages sont établis avant le Grand dérangement et voient le retour des Acadiens dans leurs anciens villages. Du côté de Clare, des données historiques nous indiquent que la plupart des familles fondatrices provenaient de l’ancienne Habitation de Port-Royal, et qu’à ce titre, elles représentaient un groupe assez homogène du point de vue de la variante de français parlée.
On constate une diversité considérable entre les différentes communautés acadiennes, d’après les recherches menées sur le sujet. Selon plusieurs études, les variantes de français acadien parlées dans les municipalités d’Argyle et de Clare pourraient être les variantes les plus traditionnelles du dialecte; en effet, elles préservent un grand nombre de caractéristiques linguistiques perdues dans la plupart des autres variantes parlées du français. Parmi ces caractéristiques, citons :
- l’utilisation de « point » en tant que marqueur de négation, comme dans l’expression « je veux point ça » (« je ne veux pas cela »);
- la prononciation « ar » du son « er », de sorte qu’un mot comme « terre » soit prononcé « tarre »;
- la prononciation du son /r/ à l’avant de la bouche (c’est-à-dire /r/ apical), plutôt qu’à l’arrière (c’est-à-dire /r/ uvulaire);
- l’utilisation du suffixe verbal « ont » à la troisième personne du pluriel (par exemple, prononciation de « ils mangent » comme « ils mangeont »);
- l’utilisation du passé simple (au lieu du passé composé), comme dans « ils se décidirent » (« ils ont décidé »);
- l’utilisation de l’imparfait du subjonctif, comme dans « fallait qu’ils furent » (« ils devaient s’en aller ») au lieu de l’usage généralisé du présent du subjonctif (« il fallait qu’ils aillent »).
Certains choix ont dû être faits quant aux caractéristiques linguistiques comme la prononciation, la conjugaison des verbes, la syntaxe et la sélection des mots pour que la narration se rapproche le plus possible du français acadien parlé au 18e siècle.
« On » et « je... ons »
En français contemporain, un sujet à la première personne du pluriel peut être exprimé de deux façons différentes : l’utilisation du pronom « on » (par exemple, « on mange ») ou l’utilisation du pronom « nous » en conjonction avec le suffixe verbal « ons » (par exemple, « nous mangeons »).
Autrefois, il existait également une troisième forme, soit l’utilisation du pronom « je » avec le suffixe verbal « ons », comme dans « je mangeons » (« nous mangeons »). Le fait que l’on ait préservé « je... ons » dans les variantes du français acadien parlées dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse suggère que le français acadien du 18e siècle utilisait probablement, lui aussi, cette structure. Certaines sources sociohistoriques révèlent que la structure « je... ons » aurait également existé dans l’histoire de la langue française de façon plus générale. Par exemple, dans une analyse approfondie des formes de la première personne du pluriel, les linguistes Ruth King, France Martineau et Raymond Mougeon démontrent que « je... ons » est utilisé en France urbaine jusqu’au 19e siècle au moins, moment auquel la structure est supplantée par l’utilisation du pronom « on ». Leur analyse s’appuie sur une grande variété de sources, y compris trois siècles de données tirées de pièces de théâtre, des commentaires grammaticaux et des données du début du 20e siècle issues d’atlas linguistiques. Si l’on tient compte de la description du français acadien contemporain plus traditionnel et de la documentation historique sur le sujet, on peut conclure assez aisément qu’un locuteur du français acadien du 18e siècle aurait probablement utilisé la forme « on » et la forme « je... ons », toutes deux utilisées d’ailleurs dans le script de la Minute du patrimoine sur la déportation des Acadiens.
« Ouisme »
Une autre caractéristique linguistique traditionnelle incluse dans le texte du narrateur se rapporte à la prononciation [ou] de la voyelle « o » ouverte (par exemple, « houmme » au lieu de « homme », « coumme » au lieu de « comme », « bounne » au lieu de « bonne », etc.). C’est un phénomène que les linguistes désignent sous le nom de « ouisme ». Mis à part sa présence dans les variantes du français acadien contemporain (y compris celui parlé dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse), le « ouisme » se retrouve également de façon plus générale dans l’histoire de la langue française. Les ancêtres des Acadiens provenaient surtout du centre-ouest de la France, bien que l’utilisation du ouisme n’y soit pas confinée. Dans son étude sociohistorique du français parlé à Paris, R. Anthony Lodge signale que cette caractéristique est utilisée même en français parisien jusqu’au 18e siècle au moins. Le fait que l’on retrouve le ouisme dans les variantes contemporaines du français acadien – ainsi que dans le français européen jusqu’au 18e siècle – suggère, quant à lui, qu’un locuteur acadien du 18e siècle aurait probablement dit « houmme » au lieu d’« homme ».