Jeunesse et formation
Ursula Maria Martius naît à Munich, en Allemagne, le 16 septembre 1921. Sa mère, Ilse Maria Martius (née Sperling), est historienne de l’art, et son père, Albrecht Martius, est un archéologue luthérien. Enfant unique, elle est éduquée dans la foi protestante. Un ami de ses parents, le physicien Hans Kuppenheim, lui transmet son intérêt pour la science. Elle s’installe à Berlin en 1940 pour commencer ses études de premier cycle en sciences, mais est emprisonnée dans un camp de travail nazi en 1943 à cause des origines juives de sa mère. Elle passe 18 mois dans un camp différent de celui de ses parents. Ils survivent tous, mais des membres de la famille étendue de ses parents périssent. La jeune femme passe la plus grande partie de son temps à réparer des édifices endommagés. À cause des longues heures de travail au froid, elle développe des engelures aux pieds et aux jambes, dont elle souffrira toute sa vie. Bien qu’Ursula Franklin n’en parle pas souvent, son expérience de jeune survivante de l’Holocauste a inspiré son œuvre humanitaire et son activisme pour la paix.
Après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, Ursula Franklin reprend ses études à l’Université technique de Berlin, où elle obtient son diplôme en 1946. Elle choisit d’étudier la physique et les mathématiques parce que ces sujets ne peuvent être censurés par l’État. En 1948, elle obtient un doctorat en physique expérimentale de l’Université technique de Berlin. Toujours en Allemagne, elle se joint à un groupe d’intellectuels pour la paix, mais décide rapidement qu’elle doit émigrer pour contribuer à apporter un profond changement dans le monde.
Carrière scientifique et universitaire
Impatiente de quitter l’Allemagne d’après-guerre, Ursula Franklin s’installe à Toronto en 1949 pour compléter un postdoctorat en physique et métallurgie à l’Université de Toronto. En 1952, elle commence à travailler pour la Fondation de recherches de l’Ontario en tant que chercheuse principale en étude des métaux et alliages. Son travail permet plusieurs innovations scientifiques, dont la conception révolutionnaire de la première prothèse de la hanche à revêtement poreux.
Ursula Franklin s’efforce de sensibiliser la société à l’impact de la science sur la qualité de vie et la survie humaines. Elle s’engage activement dans La Voix des femmes, une organisation qui promeut la paix et le désarmement. À l’époque, le groupe étudie les effets des essais nucléaires. Ursula Franklin recueille et analyse des données sur l’accumulation de l’isotope radioactif strontium-90 dans les dents des enfants canadiens, un effet des retombées d’essais d’armes nucléaires. La découverte de taux élevés de strontium-90 joue un rôle majeur dans les discussions au sein du gouvernement américain concernant les essais nucléaires atmosphériques, et dans la signature du Traité d’interdiction partielle des essais nucléaires, en 1963. Cent-trente-cinq pays signent ce traité, qui interdit les explosions nucléaires sous l’eau, dans l’atmosphère et dans l’espace. Les travaux d’Ursula Franklin ont démontré nos connexions en tant que communauté mondiale, et la relation d’interdépendance entre la paix et la santé publique.
En 1967, Ursula Franklin quitte la Fondation de recherches de l’Ontario et commence à enseigner au département de métallurgie et de science des matériaux (aujourd’hui département de la science et du génie des matériaux) de l’Université de Toronto. Elle y développe le champ de l’archéométrie, c’est-à-dire l’étude archéologique des artefacts à l’aide des techniques modernes d’analyse des matériaux. Cette discipline permet de dater les artefacts de bronze, de cuivre, d’autres métaux et de céramique des cultures préhistoriques au Canada et d’ailleurs dans le monde. Ursula Franklin effectue des recherches sur la manière dont les civilisations anciennes fabriquaient les outils et les utilisaient pour interagir avec leur environnement, et le rôle que ces outils ont joué en façonnant les cultures humaines. Elle commence à enseigner à l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques de l’Université de Toronto, et publie plus de 70 articles scientifiques et chapitres de livres sur la structure et les propriétés des métaux et alliages et l’histoire et l’impact social des technologies. Elle devient professeure titulaire en 1973.
Ursula Franklin est une des premières à affirmer la nécessité d’exploiter nos ressources naturelles avec prudence. Pendant les années 1970, elle est membre du Conseil des sciences du Canada, pour qui elle préside une étude sur les ressources et la conservation de la nature. Elle contribue à développer la politique scientifique au sein du Conseil des sciences du Canada et du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada.
Ursula Franklin utilise l’image du ver de terre comme inspiration de son travail de toute une vie. Le ver de terre, explique-t-elle, prépare le sol afin que des cultures puissent s’y développer. Elle voit son travail, qui consiste à fournir de l’information scientifique aux gouvernements, comme une partie d’un processus lent et laborieux préparant le terrain pour le changement. « Cela ne change peut-être pas les esprits, dit-elle, mais cela prépare les arguments pour le moment où les esprits auront changé. »
Philosophie de la technologie
Les travaux d’Ursula Franklin sur la science des matériaux et leur utilisation dans l’histoire l’amènent à développer une pensée sur la technologie et le pouvoir qu’ont les outils de façonner les cultures humaines. Elle partage sa vision sur la manière dont la technologie et la société s’influencent mutuellement dans son livre clé The Real World of Technology, basé sur sa conférence Massey du même nom.
Ursula Franklin définit la technologie comme une pratique, la manière de faire les choses, socialement et moralement. Elle voit la technologie comme un système complexe de méthodes, de procédures et d’états d’esprit plutôt que comme une collection de machines et de gadgets. Les technologies holistiques des artisans créatifs diffèrent des technologies prescriptives des usines et des bureaucraties, qui, soutient-elle, découragent la pensée critique et l’engagement civique. Tandis que les technologies holistiques permettent au créateur de contrôler l’ensemble du processus de création, les technologies prescriptives exigent une division du travail qui éloigne le travailleur de l’ensemble du processus créatif. Ursula Franklin croit que, depuis la Révolution industrielle, le pouvoir a été détenu par un nombre de plus en plus restreint de personnes, à mesure que les technologies prescriptives se sont imposées. Pour combattre cette « culture de la conformité », elle presse chacun de devenir citoyen actif en développant son savoir sur la science et les technologies afin de prendre position sur les questions sociales, faire des choix en connaissance de cause et de protester lorsque nécessaire.
Pacifisme
Infatigable militante pour la paix et la justice, Ursula Franklin partage souvent sa définition de la paix : « Je définis la paix non comme l’absence de guerre, mais par la présence de la justice et l’absence de peur (2010). » Peu après son arrivée au Canada, elle devient membre des Quakers, une organisation chrétienne aux valeurs pacifistes. Dans son poste de chercheuse universitaire, elle ne conduit aucune recherche, et n’accepte aucune bourse susceptible de servir à des fins militaires. Elle est membre active de Science et paix, une organisation canadienne qui conduit des recherches et des missions éducatives pour un monde plus juste et durable. En 2002, elle reçoit la médaille Pearson pour la paix.
Féminisme
Tout au long de sa carrière, Ursula Franklin travaille à promouvoir l’égalité des sexes au Canada. Elle croit que les femmes scientifiques se posent souvent des questions différentes de celles de leurs collègues masculins, utilisant les mêmes outils scientifiques à des fins différentes. Elle note que les femmes tendent à introduire dans la science une mentalité coopérative, et s’intéressent souvent aux effets du savoir scientifique sur les communautés, plutôt que sur les économies.
Elle encourage les jeunes femmes à étudier en sciences, et a laissé à beaucoup de ses étudiants le souvenir d’une éducatrice inspirante. En tant que première femme professeure du département de métallurgie et de science des matériaux, elle reçoit de l’Université de Toronto une autorisation spéciale d’assister aux réunions de la faculté à Hart House, où les femmes ne seront admises qu’en 1972. En 1984, elle devient la première femme à être nommée professeure émérite à l’Université de Toronto, le plus haut titre académique qu’une université puisse accorder. Après avoir pris sa retraite en 1989, elle devient membre senior du Massey College et continue à lutter pour l’égalité hommes-femmes. En 2001, elle se joint à trois autres femmes professeures pour lancer un recours collectif contre l’Université de Toronto, affirmant que l’université a sous-payé ses femmes professeures comparativement aux professeurs masculins. À la suite de ce procès, près de 60 membres féminins de la faculté reçoivent une compensation financière.
Vie personnelle
En 1952, Ursula épouse Fred Franklin, un immigrant ingénieur et passionné de justice sociale. Ensemble, ils ont un fils, Martin, en 1955, et une fille, Monica, en 1958. Elle aime jardiner dans son cottage à Muskoka, en Ontario. Elle s’intéresse à l’histoire, la littérature, la poésie, l’art, le droit et la musique classique. Elle aime aussi tricoter et crocheter. Ursula Franklin meurt en 2016 à Toronto, à l’âge de 94 ans.
Prix et distinctions
Les travaux d’Ursula Franklin lui valent une reconnaissance internationale et de nombreux honneurs, incluant un doctorat en sciences de l’Université Queens en 1985 et un doctorat en lettres humaines de l’Université Mount Saint Vincent en 1985. En 1992, elle est faite compagnon de l’Ordre du Canada. En 1995, le Conseil scolaire de Toronto ouvre une nouvelle école secondaire, Ursula Franklin Academy, baptisée en son honneur et basée sur ses principes innovateurs, dont le service communautaire, l’interrogation, la connaissance interdisciplinaire et la vie active.
- Officier, Ordre du Canada (1981)
- Professeure émérite, Université de Toronto (1984)
- Membre de la Société royale du Canada (1988)
- Prix Wiegand pour l’excellence au Canada, Université de Waterloo (1989)
- Ordre de l’Ontario (1990)
- Prix de la Gouverneure générale en commémoration de l’affaire « personne » (1991)
- Médaille sir John William Dawson, Société royale du Canada (1991)
- Compagnon, Ordre du Canada (1992)
- Médaille Pearson pour la paix, Association canadienne pour les Nations Unies (2002)
- Panthéon canadien des sciences et du génie (2012)