Le Front de libération des femmes du Québec (FLF) est un organisme de militantisme en faveur du féminisme qui a existé entre 1969 et 1971. Le FLF a joué un rôle important dans l’histoire de la société québécoise, même si son existence a été brève. Il popularise une analyse féministe liant l’oppression des femmes et la lutte nationaliste québécoise. Ses actions ont conduit à changer l’interdiction faite aux femmes de siéger à titre de jurées lors de procès, elles sont aussi à l’origine des premières garderies populaires et de la mise sur pied de services d’avortement accessibles.
(Photo d'Antoine Desilets/BAnQ/Fonds Antoine Desilets/611396)
Concept clé
Patriarcat : système de domination des hommes sur les femmes qui traverse l’Histoire et qui assure la reproduction des inégalités hommes-femmes.
Contexte historique
À la fin des années 1960, le Québec vit une période d’effervescence sociale et politique. Sur le plan politique, cette période donne lieu à un mouvement d’affirmation nationale qui compte une branche radicale, le Front de libération du Québec (FLQ). Celui-ci est influencé par le marxisme et les mouvements internationaux de décolonisation. Plusieurs des militantes qui forment le FLF sont issues de cette mouvance nationaliste radicale.
Au cours de cette décennie, les femmes du Québec s’organisent et plusieurs grandes associations comme la Fédération des femmes du Québec (FFQ) voient le jour. Ces organisations sont à tendance réformiste, et misent sur des changements en faveur des femmes à l’intérieur des structures politiques existantes. Les militantes qui mettent sur pied le FLF sont plus radicales et appellent à une véritable révolution.
À l’origine du FLF se croisent des femmes francophones et anglophones, dont plusieurs proviennent des groupes politiques de gauche proches du mouvement syndical. Mais cette alliance entre francophones et anglophones tombe rapidement alors que le FLF adhère également à un nationalisme révolutionnaire centré sur la libération du Québec du colonialisme anglo-saxon. En effet, durant cette période, d’importantes inégalités et disparités de revenu existent au Québec et déterminent une configuration de classes sociales clivée selon la langue et l’origine ethnique. Les anglophones sont donc vus comme étant le groupe dominant dans l’analyse marxiste qui priorise la lutte des classes.
Pour les militantes du FLF, l’ennemi principal est le système patriarcal qui s’appuie sur le colonialisme des capitalistes britanniques, anglo-canadiens et américains qui contrôlent et exploitent le Québec depuis 200 ans. La lutte des femmes contre le patriarcat s’associe aux luttes indépendantistes et socialistes. C’est ce que le mot d’ordre « Pas de libération des femmes sans libération du Québec. Pas de libération du Québec sans libération des femmes » exprime.
Structure et actions du FLF
Le FLF s’organise en cellules (groupe de membres), chacune adhère aux principes de non-hiérarchie et d’autonomie entière. Les cellules sont en quelque sorte le reflet des préoccupations et des revendications du FLF.
La cellule Avortement offre des ressources aux femmes qui veulent mettre fin à une grossesse non désirée alors que la loi criminalise toujours l’avortement au Canada. La cellule Garderie organise l’une des premières garderies populaires et revendique la mise sur pied d’un réseau de garderies universelles. La cellule Journal met sur pied le journal Québécoises deboutte!. La cellule Les patates collent intervient pour dénoncer le Salon de la femme, un événement annuel accusé de véhiculer le sexisme et de contribuer à l’oppression des femmes.
D’autres efforts du FLF visent à appuyer les ouvrières sur les lignes de piquetage lors de conflits de travail, dans une volonté d’intervenir là où se manifestent les inégalités de classe.
Opération femmes-jurées
L’une des actions les plus importantes du FLF a été la dénonciation de l’interdiction faite aux femmes d’être jurées lors de procès au Québec. En mars 1971, durant le procès de Lise Balcer, accusée d’outrage au tribunal pour avoir refusé de témoigner lors du procès d’un membre du FLQ, sept militantes du FLF occupent le banc des jurés et proclament que « la justice c’est d’la marde! ». Arrêtées pour leur action, les initiatrices de cette action spectaculaire ont dû faire face à des peines de prison. Cependant, à peine trois mois après ce geste d’éclat, la loi sera modifiée permettant ainsi aux femmes du Québec de devenir jurées. En s’attaquant au tribunal, les militantes ont démontré que les valeurs patriarcales sont profondément ancrées dans les institutions judiciaires.
Québécoises deboutte!
Le FLF a son journal, Québécoises deboutte!, dans lequel on communique les idées du groupe. En ouverture du premier numéro, lancé en novembre 1971, les membres du collectif se positionnent par rapport au projet de journal et résument leur analyse des enjeux sociopolitiques. Selon elles, la femme est exploitée et cette exploitation n’est pas due aux différences entre hommes et femmes.
Les auteures se définissent comme un groupe de femmes de tous les âges, avec ou sans enfants. Elles partagent la conviction qu’un journal est essentiel pour pouvoir étudier tous les aspects de l’oppression des femmes et penser aux moyens pour s’unir pour lutter contre celle-ci. Le journal publie des articles-choc qui dénoncent les multiples visages de l’oppression des femmes, dans la domesticité comme dans la sphère publique.
Fin du FLF
Après une courte vie marquée par l’intensité des débats et des actions spectaculaires qui contribuent à changer la société québécoise, les militantes du FLF décident de mettre fin à l’expérience. Certaines d’entre elles souffrent d’épuisement, d’autres aspirent à un mouvement plus structuré.
Néanmoins, des membres de la cellule Avortement sont à l’origine de la mise sur pied du Centre des femmes, en 1972, où se poursuivront par la suite les débats et les luttes amorcées par le FLF. Le Centre des femmes continue de publier le journal Québécoises deboutte! jusqu’en 1974.