La librairie Glad Day Bookshop est la plus ancienne librairie 2SLGBTQ+ au monde. Elle a été la première librairie de ce type au Canada, et a été lancée par l’activiste homosexuel Jearld Moldenhauer en décembre 1970 pour contribuer à bâtir le mouvement naissant de défense des droits des homosexuels à Toronto. À cette époque, les entreprises étaient réticentes à l’idée de vendre une gamme de plus en plus importante de publications favorables aux lesbiennes et aux homosexuels. Selon l’auteur Tim McCaskell, « Glad Day était un projet politique. Il visait à rendre accessibles l’histoire, la culture, l’imagerie et la littérature réprimées qui nous étaient systématiquement refusées. »

Première librairie homosexuelle du Canada
Jearld Moldenhauer commence son entreprise en achetant et en vendant des livres dans un sac à dos lors de réunions et de rassemblements homosexuels, de son domicile du quartier Annex de Toronto et par correspondance. Au fil des ans, le Glad Day Bookshop devient l’une des librairies les plus complètes de son genre au monde.
Architecte du mouvement de libération homosexuelle, Jearld Moldenhauer joue également un rôle clé dans la création de The Body Politic (la principale publication du mouvement pour les droits des homosexuels au Canada), de Toronto Gay Action, de la Gay Alliance Toward Equality et de Canadian Gay Liberation Movement Archives (aujourd’hui appelées ArQuives).
Censure et saisies
Au fil des ans, Glad Day fait face à la censure et à la discrimination, ce qui donne lieu à plusieurs batailles juridiques notables. En mai 1974, le Toronto Star refuse de publier une publicité pour la librairie, affirmant qu’elle a tendance à « faire du prosélytisme en faveur du mouvement homosexuel ». Le journal fait ensuite savoir qu’il reconsidère sa décision si le mot « gai » est remplacé par le mot « homosexuel ». Glad Day refuse et dépose une plainte auprès du Conseil de presse de l’Ontario, un organisme d’arbitrage des médias. Le Conseil conclut que le refus constitue une discrimination. Jearld Moldenhauer dépose alors une plainte auprès de la Commission ontarienne des droits de la personne. Celle-ci statue que sa compétence ne s’étend pas à la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle. Cette décision est prise à une époque où il n’est pas encore illégal au Canada de discriminer des personnes en raison de leur orientation sexuelle. (Voir aussi We Demand.)
En 1982, des accusations d’obscénité sont portées contre le directeur adjoint de Glad Day, Kevin Orr, pour avoir vendu des magazines homosexuels pornographiques. Un juge statue que les représentations de relations sexuelles homosexuelles dans les magazines sont « obscènes et dégoûtantes ». En 1987, Glad Day fait appel de cette décision et obtient gain de cause contre la décision des douanes canadiennes d’interdire et de saisir le livre The Joy of Gay Sex. Le gouvernement est alors contraint de réécrire ses directives pour autoriser les représentations de relations sexuelles anales. Malgré cette victoire, Glad Day continue à faire face à des difficultés. À propos de la décision de 1987, Jearld Moldenhauer écrit plus tard : « Notre succès n’a fait qu’exaspérer davantage les douanes canadiennes, qui ont simplement intensifié leurs attaques contre la librairie. » Il ajoute : « Les autorités étaient déterminées à mettre fin aux activités de Glad Day. »
En 1990, le Globe and Mail rapporte que « les inspecteurs des douanes canadiennes retiennent régulièrement pour évaluation près de 75 % des livres et des magazines expédiés à Glad Day ». C’est également le cas pour d’autres librairies 2SLGBTQ+ du pays, comme Little Sister’s Book and Art Emporium à Vancouver. Par exemple, dans une affaire judiciaire de 1992, le juge statue que le matériel sexuellement explicite pourrait nuire à la communauté. À l’époque, le matériel pornographique hétérosexuel n’a aucune difficulté à traverser la frontière.
Le Globe and Mail rapporte également : « Un récent sondage informel auprès d’une douzaine de libraires canadiens n’a pas permis d’en trouver un qui se souvienne d’avoir reçu un avis de détention; le propriétaire de Glad Day, Jearld Moldenhauer, pourrait tapisser son bureau de ces avis. » L’article ajoute : « Ce que nous avons, c’est une mauvaise loi, mal interprétée et appliquée de manière incohérente par des personnes qui ont des préjugés inhérents et un jugement douteux, au détriment d’une minorité substantielle de la société canadienne. »
Les documents saisis par les douanes canadiennes ne se limitent pas à l’érotisme. Ils comprennent des biographies et des œuvres de fiction, de sociologie, d’histoire et de culture. Même les livres sur la crise du sida sont interdits. Les publications que Glad Day peut importer comportent parfois des sections caviardées. Au milieu des années 1980, par exemple, des publicités pour des condoms, l’un des seuls moyens de protection contre le sida, sont censurées.
Une autre affaire judiciaire datant de 1992 résulte de la saisie de Bad Attitude, un magazine lesbien contenant une histoire érotique fictive. La contestation judiciaire qui en résulte constitue la première tentative d’obtenir une distinction judiciaire entre les normes de la communauté 2SLGBTQ+ et celles de la communauté hétérosexuelle, telles que définies par les juges. Néanmoins, Glad Day est condamné, ce qui déclenche de l’indignation et des protestations.
En faisant référence à l’affaire de Bad Attitude, Jeff Moore, coprésident du Canadian Committee Against Customs Censorship, déclare : « Si nous n’avons pas le droit de nous regarder rire, pleurer et mourir, nous n’avons pas de présent, pas de passé et peut-être pas d’avenir. Sans preuve de notre existence, les enfants des gais et des lesbiennes canadiens grandiront comme nous l’avons fait, isolés de la joie de vivre en tant que gai ou lesbienne et livrés à eux-mêmes pour lutter contre la haine de soi que la majorité leur enseigne. Sans livres, magazines et vidéos, nous ne pouvons pas communiquer entre nous sur nos vies. »
Librairie de Boston
En 1979, Jearld Moldenhauer (qui naît et fait ses études à New York) ouvre une deuxième librairie Glad Day Bookshop à Boston dans le Massachusetts. Jearld Moldenhauer espère qu’une librairie américaine peut avoir un meilleur accès à la littérature homosexuelle et qu’elle ne sera pas soumise au même degré de censure que la librairie canadienne. La librairie de Boston, qui partage des locaux avec deux journaux gais, est incendiée en juillet 1982. Mais la librairie ouvre ensuite à nouveau ses portes et elle joue un rôle important dans la communauté homosexuelle de Boston jusqu’à sa fermeture en 2000.
(Voir aussi Pink Triangle Press; The Body Politic; Culture queer.)