Le Grand lac de l’Ours est situé dans les Territoires du Nord-Ouest. Avec une superficie de 31 328 km2, le Grand lac de l’Ours est le plus grand lac situé entièrement sur le territoire canadien. C’est également le quatrième plus grand lac d’Amérique du Nord et le huitième plus grand lac du monde. Le lac se déverse dans la rivière Great Bear, qui se jette elle-même dans le fleuve Mackenzie. Parmi les autres rivières qui alimentent le lac, on peut citer la Dease, la Camsell et la Johnny Hoe. Le Grand lac de l’Ours est constitué de cinq bras qui portent chacun un nom : Dease, McTavish, McVicar, Keith et Smith. (Voir aussi Les plus grands lacs du Canada.)
Géographie
Le bras Dease se situe au nord du cercle arctique et jouit de la lumière du soleil 24 heures par jour en été. Le Grand lac de l’Ours est à cheval entre le Bouclier canadien et la Plateforme de l’intérieur, ainsi qu’entre la forêt boréale et la toundra (voir aussi Régions géologiques ; Régions forestières). Les rives nord-est du lac sont ornées de falaises abruptes, de nombreuses îles et de baies en forme de fjords. Les rives sud-ouest sont par contre moins accidentées et sont parsemées de boisés denses d’épinettes et de vastes zones de muskeg. Le relief de ce côté-ci du lac est dû aux collines Scented Grass et au mont Grizzly Bear.
Écologie
La pauvreté en éléments nutritifs des terres traversées par les rivières qui alimentent le Grand lac de l’Ours, la faible taille du bassin, le climat froid et la profondeur considérable du lac (452 m à son plus profond) font que ce lac n’abrite qu’un petit nombre de plantes et de poissons.Parmi les grands lacs canadiens, c’est dans le Grand lac de l’Ours que l’on rencontre le plus petit nombre d’espèces de poissons (seulement seize). Les poissons ne se déplaçant pratiquement pas d’une zone à l’autre du lac, les cinq bras abritent chacun des populations spécifiques.
Historique
Le Grand lac de l’Ours est cité dans les légendes Yamoria – d’anciennes histoires dénées mettant en scènes des héros géants, des animaux et des paysages animés. En 1996, le mont Grizzly Bear et les collines Scented Grass (Saoyú et Æehdacho dans la langue des Esclaves) sont déclarés lieu historique national. Saoyú et Æehdacho est le plus grand lieu historique national canadien. Sa raison d’être est de reconnaître l’importance de ces paysages pour l’histoire orale, la culture et l’histoire dénées et de les protéger.
Les terres de la région ont cependant été historiquement utilisées au-delà des limites de cette zone protégée. Les rives nord, par exemple, relient le Grand lac de l’Ours à d’importants territoires de chasse du caribou et du bœuf musqué. Les histoires orales portant sur cette région illustrent les interactions entre les Dénés et les Inuvialuits.
Les embouchures des rivières sur le lac étaient d’importants lieux de pêche. La rivière Johnny Hoe se déverse dans le bras McTavish et fut longtemps le lieu d’une pêche de printemps. Comme sur les rives nord, la pêche sur les rives sud et cette pêche en particulier ont encouragé le contact entre différents peuples autochtones. Les Tlichos (aussi appelé Flancs-de-chien ou plus anciennement Plats-côtés-de-chien) et les T’atsaot’ine (Couteaux-jaunes) pêchaient dans cette zone et entraient parfois en conflit. Les courants présents à l’embouchure de la rivière Great Bear dans le Grand lac de l’Ours empêchent les eaux de geler en surface et permettent ainsi aux pêcheurs d’attraper des ciscos de lac toute l’année – une pratique vieille de plus de 6 000 ans. La qualité de la pêche sur ce site, connu sous le nom de Délįne (« où l’eau coule »), a attiré les marchands et les explorateurs qui sont arrivés dans la région au début du XIXe siècle. La Compagnie du Nord-Ouest établit son poste du Grand lac de l’Ours à Délįne en 1799 et l’explorateur sir John Franklin choisit l’endroit pour y ériger Fort Franklin (qui abriteront ses quartiers d’hiver durant son expédition de 1825-1827). Les hommes de Franklin avaient coutume de se divertir en patinant et en jouant au hockey sur la glace du Grand lac de l’Ours. Ce seront les premiers matchs de ce sport jamais documentés au Canada.
La plupart des noms anglais donnés au lac (Great Bear Lake) et aux éléments du paysage environnant datent de la période de la traite des fourrures. Le nom du lac provient probablement d’une traduction de « lac du grizzly » en langue des Esclaves, par Alexander Mackenzie. Les cinq bras du lac tiennent leur nom des membres de la Compagnie de la Baie d’Hudson qui ont aidé Franklin lors de ses explorations dans le Nord.
Durant la période de la traite des fourrures, la plupart des Autochtones qui vivent autour du Grand lac de l’Ours continuent à se déplacer d’un endroit à l’autre. La piste Idaà, un chemin de portage, relie alors le Grand lac de l’Ours au Grand lac des Esclaves, et on y trouve à l’époque, tout au long de son parcours, plusieurs villages ainsi que des lieux de chasse et de pêche. Ce n’est qu’après 1900 que des Dénés s’installent en plus grand nombre à Délįne. Parmi eux se trouve Ehtseo (grand-père) Ayah, un important prophète déné, né en 1857. En 1921, les Dénés du Sahtu signent le Traité 11 à Tulita (Fort Norman), un lieu qu’ils visitent souvent pour commercer. Le lac est inclus dans son entier dans le territoire limité par le traité.
D’importants changements surviennent au Grand lac de l’Ours en 1930, lorsque des prospecteurs, attirés par les rochers colorés qui jonchent la rive Est, trouvent un gisement riche en pechblende et en argent. La pechblende est un minerai radioactif dense et de couleur sombre. C’est la principale source de radium et d’uranium. La découverte du dépôt est très intéressante, car au début du XXe siècle, le radium est utilisé pour traiter les cancers. Une ruée de prospection s’en suit peu de temps après. En 1934, trois mines sont déjà ouvertes sur les berges du Grand lac de l’Ours. La plus grande – la mine d’Eldorado – est située sur la baie Cameron(renommée plus tard Port Radium), sur les lieux de la découverte initiale du gisement.
Le radium et l’argent seront extraits du bassin du Grand lac de l’Ours jusqu’au début de la Deuxième Guerre mondiale, lorsque la pénurie de main-d’œuvre et la moindre demande forcent la fermeture des mines en 1940. En 1942, le gouvernement canadien rouvre en secret la mine principale d’Eldorado pour en extraire de l’uranium (qui était jusqu’alors considéré comme un déchet et donc éliminé). Une partie de l’uranium fut utilisée pour le projet Manhattan – le programme américain visant à mettre au point des armes nucléaires durant la Deuxième Guerre mondiale. L’extraction de l’uranium s’est poursuivie au Grand lac de l’Ours jusqu’à une nouvelle fermeture de la mine d’Eldorado en 1960. L’argent y a été extrait après la guerre entre 1964 et 1982.
La plupart des mineurs travaillant au Grand lac de l’Ours viennent du Sud du Canada ou de plus loin. Les compagnies minières embauchent les Dénés du Sahtu comme prospecteurs chargés de trouver de nouveaux gisements de minerai. Les Dénés vendent aussi de la viande et du poisson aux personnes qui habitent et qui travaillent à Port Radium, bien qu’un grand nombre des nouveaux venus apprécient pêcher et chasser par eux-mêmes, pour le sport. La pression halieutique exercée par les habitants de Port Radium et la faible productivité biologique du lac font qu’en peu de temps, les stocks de poissons à proximité des exploitations minières sont réduits à néant.
Un relevé des ressources halieutiques du Grand lac de l’Ours, effectué par le gouvernement fédéral entre 1944 et 1945, amène les auteurs du rapport à conclure que le lac est un « désert biologique ». Les autorités déclarent alors la fermeture permanente de la pêche commerciale sur le lac. La pêche domestique exercée par les Dénés locaux et la pêche sportive restent cependant autorisées et les chalets du lac demeurent d’importantes destinations touristiques pour les pêcheurs.
Délįne s’étend le long de Port Radium dans les années 1940 et 1950. Le lieu accueille alors davantage de Dénés, surtout après l’arrêt de l’extraction de l’uranium, en 1960. Avec la prise de conscience croissante des risques associés à l’extraction du radium et de l’uranium à la fin du XXe siècle, l’héritage de ces activités autour du Grand lac de l’Ours sert de catalyseur à l’activisme politique des Dénés de Délįne (les Sahtus). En 1998, plusieurs Sahtus se rendent à Hiroshima pour témoigner leur tristesse à l’idée que de l’uranium extrait des rives du Grand lac de l’Ours a été utilisé comme arme contre des gens vivant si loin. Plus près de chez eux, les Sahtus ont été des chefs de file en matière de protection et de préservation des paysages présentant une importance culturelle autour du Grand lac de l’Ours. Ils ont également effectué des recherches visant à étudier les impacts sanitaires et environnementaux de la mine d’uranium et ont mené des négociations en vue de leur autonomie gouvernementale. Ces négociations ont abouti à l’Entente sur la revendication territoriale globale des Dénés et Métis du Sahtu, finalisée en 1993, qui incorpore le Grand lac de l’Ours et qui met un terme aux préoccupations qu’il restait à résoudre concernant les droits ancestraux et issus de traités qui n’avaient pas été abolis par le Traité no 11 de 1921, comme l’ont démontré les Dénés et les Métis.
Préoccupations environnementales
La pollution toxique héritée des exploitations minières du Grand lac de l’Ours reste un problème environnemental d’actualité. Les refus de broyage riches en uranium, rejetés dans le lac, ont été pour la plupart évacués dans le cadre des activités minières des années 1950, mais des matériaux radioactifs et des métaux lourds persistent dans le lac et plusieurs étangs sur la rive est. Des études récentes ont montré que les métaux lourds s’accumulent dans les tissus des poissons près de Port Radium et y atteignent des concentrations supérieures à celles mesurées ailleurs sur le lac. Des sources naturelles de mercure ont contaminé les poissons de la rivière Johnny Hoe à un niveau qui présente des risques pour la santé humaine. La pêche domestique sur ce lieu, autrefois importante, a donc été essentiellement abandonnée.