Ancien quartier ouvrier irlandais de Montréal développé au 19e siècle, Griffintown fait l’objet de plusieurs tentatives de revitalisation urbaine à partir des années 1980. Depuis le début des années 2010, de nombreux projets immobiliers s’y sont déployés, non sans semer la controverse.
Sis entre la rue Notre-Dame, la rue McGill et la rue Guy, en longeant le canal Lachine, ce quartier fait partie de l'arrondissement Sud-Ouest et de l'arrondissement Ville-Marie de Montréal.
Historique du quartier
Le quartier s’est développé sur un lopin de terre concédé à Jeanne Mance en 1654 et qui avait pour nom le fief de Nazareth. Ce fief est alors administré par les sœurs de l' Hôtel-Dieu de Montréal. En 1792, Thomas McCord, un marchand protestant originaire d’Irlande du Nord, conclut un bail de 99 ans avec la communauté religieuse. Il espère mettre en valeur la ferme et cultiver la terre, alors connue sous le nom de « Grange des pauvres ». Pris par ses affaires, il doit se rendre en Grande-Bretagne et laisse la gestion du fief à son associé Patrick Langan. Celui-ci le vend illégalement à Mary Griffin, épouse de Robert Griffin, manufacturier de savon, qui entreprend le développement du quartier.
L’apport de l’immigration irlandaise
En 1814, McCord récupère, à l’issue d’une longue bataille juridique, l’arrière-fief de Nazareth. Montréal, qui vient de se départir de ses fortifications (1804), s’étend toutefois et ses faubourgs se multiplient. Sa population accuse une croissance importante, surtout à partir de 1815, grâce à une forte immigration irlandaise. Ces nouveaux arrivants s’installent à Nazareth bientôt renommé Griffintown ou faubourg Sainte-Anne. De zone agricole, Nazareth devient peu à peu une zone résidentielle. Avantagé par sa proximité avec le centre-ville et le canal Lachine, alors principale voie de transport pour le commerce, le faubourg se transforme, dans les décennies suivantes, en un centre industriel et commercial d’importance.
Trois décennies plus tard, une nouvelle vague d’immigration irlandaise rejoint la première. Poussés par la grande famine qui sévit en Irlande en 1847, 500 000 Irlandais se dirigent vers les États-Unis et le Canada. À Montréal, ils s'installent près du port et vivent dans des conditions difficiles et sans eau courante. Les Irlandais de Griffintown participent à la construction du canal Lachine (1821–1825) et son élargissement (1843–1848), puis à celle du pont Victoria (1860) et des voies de chemin de fer du Grand Trunk. En plus de l'immense pauvreté qui les accable, ces immigrants sont victimes des inondations du fleuve et de plusieurs incendies dont le principal, en 1850, jette 500 familles à la rue. Construite en 1854 et administrée par les pères rédemptoristes, l'église St Ann (Sainte-Anne) est le point de rassemblement des ouvriers irlandais.
L’industrialisation de Griffintown
Plusieurs industries s’établissent dans le faubourg au cours du 19ᵉ siècle, dont des minoteries et des fonderies, faisant de Griffintown l'un des pivots de l'industrialisation montréalaise. Le secteur métallurgique augmente de 11 fonderies en 1861 à 20 en 1890, puis à 28 en 1929. Des industries chimiques (surtout les acides, engrais, huiles et peinture) et des usines de textile ouvrent également leurs portes. Griffintown est aussi favorisé par l’industrie brassicole. Les deux brasseries, la Dow et la Williams, devenue l’Imperial vers 1850, sont en pleine expansion. Leur fusion en 1909 donne naissance à la National Breweries et consolide la production dans les deux usines de Griffintown. Le portrait industriel de Griffintown est celui d’un quartier dynamique. Néanmoins, ses habitants continuent de vivre dans un grand dénuement, en plus d’être exposés aux rejets des usines qui entourent et pénètrent les zones résidentielles.
Déclin économique du quartier
Au début du 20e siècle, le quartier connaît un ralentissement économique marqué qui est accentué par la crise économique des années 1930. Montréal vit au ralenti et Griffintown se vide peu à peu. En 1963, l’administration de Jean Drapeau, qui souhaite y créer une zone industrielle, change le zonage. Cette décision porte un véritable coup de grâce sur l’avenir du quartier. Les propriétaires ne peuvent désormais plus reconstruire les immeubles en cas d’incendie ou de démolition. Les écoles ferment les unes après les autres, faute d’enfants qui les fréquentent et l’église Sainte-Anne est démolie en juin 1970. Lorsque l’on débute les travaux pour la construction de l’autoroute Bonaventure (1965), que les activités du canal Lachine cessent (1972) et que presque toutes les usines ferment leurs portes, le quartier Griffintown se meurt. En 1974, il ne compte plus que 546 habitants. Les dernières familles irlandaises partent, de gré ou de force dans les années qui suivent, au rythme des démolitions et des expropriations.
La ville décide de renommer le quartier Faubourg-des-Récollets, effaçant en quelque sorte, par le biais de la toponymie, près de 200 ans de son héritage irlandais.
Des projets de revitalisation urbaine
Au milieu des années 1980, différents projets sont menés afin de revitaliser le quartier. La Ville de Montréal y achète plusieurs terrains et tente d'y aménager un nouveau quartier appelé alors le Quartier des Écluses. Cependant, la conjoncture économique et l'effondrement du marché immobilier au début des années 1990 fait que le projet meure dans l'œuf.
L’implantation en 1996 de l’École de technologie supérieure (ÉTS), une composante de l’Université du Québec, semble donner un nouveau souffle à la revitalisation du secteur. En 1997, la ville décide de miser sur les nouvelles technologies et favorise le développement de la Cité du Multimédia. Le gouvernement du Québec intervient en offrant des subventions pour la création d'emplois, encourageant ainsi plusieurs entreprises à s’établir à Griffintown. En 2003, à la suite des nombreuses critiques, le gouvernement libéral de Jean Charest décide d'abolir ces subventions et vend à un investisseur privé tous les immeubles de la Cité (2004). En 2004, la compagnie UbiSoft s’installe dans Griffintown.
En 2005, on propose de déménager le Casino de Montréal près du bassin Peel au cœur même de Griffintown. La population s'y objecte et le projet est abandonné.
En 2007, afin de faire revivre ce quartier historique, Gérald Tremblay, maire de Montréal, s'allie à la Société du Havre et projette la transformation de l'autoroute Bonaventure en boulevard urbain. Dans le cadre de cette transformation, on prévoit la construction de résidences universitaires, des tours à logements et à bureaux et même une ligne de tramway. Les promoteurs immobiliers flairent la bonne affaire et en 2010, on apprend de Benoît Dorais, maire de l'arrondissement du Sud-Ouest, que plusieurs entrepreneurs veulent construire 23 projets immobiliers, soit 6 500 logements.
Le projet District Griffin prévoit plusieurs phases, mais déjà, le 30 août 2010, Devimco annonce la construction de la première phase avec un investissement de 475 millions de dollars. Celle-ci comprend quatre tours de 1 375 logements, des commerces et un hôtel. Depuis, plusieurs projets immobiliers, tels que Bassin du Havre et Le Canal, ont été annoncés et prennent forme.
Controverses
Ce projet de revitalisation et de développement immobilier n’est pas sans controverses. Si les premiers projets ont pour soucis de conserver, de convertir des bâtiments industriels ou encore de construire des habitations de quelques étages qui s’intègrent à celles existantes, on assiste ces derniers temps à une « hyperdensification » du secteur. La démolition de plusieurs édifices, voire de secteurs entiers pour faire place à de nouveaux bâtiments, ainsi que la construction de tours à condominium de plus de 20 étages, ont suscité de vives critiques auprès de l’administration montréalaise qu’on accuse d’un manque de vision en ce qui a trait à sa planification urbaine. Qui plus est, les consultations publiques ont été menées seulement à partir de 2012, soit plusieurs mois après que la ville ait donné son accord aux projets immobiliers.
L’héritage irlandais de Griffintown
La commémoration de Griffintown et de la communauté irlandaise qui l’a habité, est relativement récente, mise à part la création d’un parc dans les années 1990 par la ville de Montréal à l’endroit où se trouvait l’ancienne église Sainte-Anne.
En 2003, Richard Burman a réalisé un documentaire intitulé Ghosts of Griffintown dans lequel il raconte l’histoire de Mary Gallagher, une prostituée assassinée en 1879. Selon la légende, celle-ci reviendrait, tous les sept ans hanter la rue William à la recherche de sa tête. En utilisant le prétexte de la légende, le documentaire explore l'histoire du quartier. Sounding Griffintown, une promenade guidée disponible en baladodiffusion et développée par Lisa Gasior en 2007, a permis aux montréalais et aux visiteurs de découvrir de manière originale l’histoire de la transformation du paysage urbain (et sonore) du quartier.
En 2013, un mouvement citoyen a également demandé la préservation du Horse Palace, l’une des plus anciennes écuries qui subsistent à Montréal. Construite en 1862, cette écurie urbaine est toujours en activité et utilisée par les caléchiers du Vieux-Montréal. Bien qu’en ruine, elle constitue l’un des derniers éléments urbains marquant l'installation des immigrants irlandais dans ce secteur du sud-ouest de l'île. En 2014, une campagne de financement a permis d’amasser 60 000 $ afin de mettre en valeur le site et de reconstruire les écuries, trop fragiles pour être rénovées. La préservation du lieu et de sa vocation équestre permettra de souligner le passé historique du quartier tout en le gardant vivant et ouvert aux visiteurs.