Le gouvernement fédéral détient des immigrants pour des raisons administratives d’immigration même s’ils n’ont pas commis de crime en vertu du Code criminel. La détention de migrants est un enjeu qui n’a été que très peu médiatisé au Canada jusqu’à ce que des décès surviennent dans des installations de détention de Vancouver et de Toronto en 2013 et en 2016. Ceci a mis en lumière les conditions de vie de milliers de personnes actuellement détenues. Les immigrants détenus sont souvent isolés du soutien communautaire et n’ont pas accès à des médecins ou des avocats. Les périodes de détention prolongées peuvent exacerber des problèmes de santé mentale existants, comme le trouble de stress post-traumatique (TSPT), qui affecte de nombreux immigrants venant au Canada en provenance de pays déchirés par la guerre. Les défenseurs des droits de la personne font valoir que le système de détention d’immigrants du Canada contrevient aux droits de l’homme (voir Droit international) et qu’une surveillance accrue est nécessaire pour prévenir d’autres décès à l’avenir et réformer le système dans son ensemble.
Définition de détention d’immigrants
La détention d’immigrants s’inscrit dans le cadre du droit administratif. La personne détenue n’a pas commis de crime en vertu du Code criminel du Canada, mais elle est détenue pour des raisons d’immigration.
La détention d’immigrants affecte des milliers de personnes chaque année. Entre 2012 et 2023, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) met en détention 6544 personnes en moyenne chaque année. Les hommes sont disproportionnellement plus susceptibles d’être détenus, et ils représentent environ 76 % de la population entre 2013 et 2014.
Historiquement, les chiffres exacts des migrants détenus et les orientations politiques spécifiques régissant la détention d’immigrants sont difficiles à déterminer. Cependant, en 2010, la détention d’immigrants suscite de nombreux débats au Canada lorsque des centaines de demandeurs d’asile tamouls du Sri Lanka arrivent en Colombie-Britannique à bord du navire MV Sun Sea. Les 492 demandeurs d’asile, dont 63 femmes et 49 enfants, sont tous détenus et certains d’entre eux le sont pendant plusieurs mois, d’autres durant des années, coûtant plusieurs millions de dollars au gouvernement canadien. Ces réfugiés tamouls sont également associés publiquement à des menaces terroristes et au passage de voyageurs clandestins. Ils sont présentés comme des réfugiés « illégitimes ». Toutefois, le système de détermination du statut de réfugié du Canada permet d’établir qu’un bon nombre d’entre eux sont effectivement des réfugiés. En tant que passagers de navires, ils sont à risque de subir des violations des droits de la personne perpétrées par le gouvernement sri-lankais.
Les migrants sont détenus dans des centres de surveillance de l’immigration (CSI) situés à Toronto, à Laval et à Surrey. Des gardes en uniforme patrouillent dans les installations dont les portes sont contrôlées de manière centralisée, avec des barbelés à l’extérieur et des caméras à l’intérieur. Les effets personnels des détenus, comme les téléphones cellulaires et les autres accessoires, sont confisqués à l’entrée. L’accès à l’internet et les appels entrants sont restreints. Les détenus de l’immigration sont soumis à des conditions de vie médiocres, à la surpopulation, à la négligence médicale et à des abus de la part du personnel.
En alternative aux CSI, le Canada utilise, dans un passé récent, des prisons pour la détention des migrants. C’est notamment le cas des provinces qui n’ont pas de CSI. Depuis mars 2024, les provinces ont convenu de mettre fin à cette pratique. Cependant, en avril 2024, le gouvernement fédéral annonce qu’il envisage plutôt d’utiliser les prisons fédérales pour suppléer les CSI. Les immigrants détenus ne sont pas accusés d’un crime. Dans les prisons provinciales, les immigrants détenus vivent avec la population carcérale normale et ils sont traités de la même manière. Ils sont menottés aux pieds et aux mains, ils sont tenus de porter des combinaisons orange, ils sont confinés dans de petits espaces et ont des routines rigides. Ils peuvent même être envoyés en isolement.
Bien qu’il existe des prisons dans la plupart des grandes villes canadiennes, près de 60 % des détentions d’immigrants sont en Ontario, avec 53 % des cas de détention survenant dans la région du Grand Toronto. Les préjugés raciaux et ethniques rendent également de façon disproportionnée certains groupes plus vulnérables au risque de détention, comme les hommes racialisés d’origine africaine. (Voir aussi Racisme systémique au Canada.)
La détention des immigrants est également très coûteuse. En 2019-2020, l’ASFC dépense quelque 71,38 millions de dollars en activités liées à la détention d’immigrants.
Cadre législatif
Les articles 54 à 61 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), ainsi que les articles 244 à 250 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR), définissent le fondement législatif de la détention des immigrants au Canada. Le RIPR, le Manuel des politiques en matière de détention d’Immigration, et Réfugiés et Citoyenneté Canada régissent l’administration de la détention d’immigrants par l’ASFC. La LIPR stipule que l’ASFC peut détenir une personne si elle soupçonne que cette personne représente un danger pour le public; elle est peu susceptible de se présenter à un contrôle; elle ne peut pas prouver son identité; ou elle fait partie d’une arrivée irrégulière.
Les migrants peuvent également être détenus s’il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’ils ont commis des violations des droits de la personne dans leur pays d’origine ou qu’ils posent une menace pour la sécurité au Canada. Bien que dans certains cas la détention des migrants puisse paraître justifiée, il existe des cadres internationaux qui régissent l’administration de la détention d’immigrants, et celle-ci est considérée comme une politique de dernier recours. Compte tenu de sa nature discrétionnaire et opaque, la détention d’immigrants est largement critiquée par certains groupes de défense des droits de la personne qui jugent que cette méthode est inefficace, voire contraire aux droits internationaux de la personne. Cela inclut l’administration de la détention des immigrants au Canada, en particulier le manque de surveillance des politiques de l’ASFC et la possibilité de détentions d’une durée indéfinie. Les migrants peuvent être détenus dès leur arrivée au point d’entrée au Canada (par exemple lorsqu’ils présentent une demande d’asile à l’aéroport), au cours de leur procédure d’immigration au Canada, ou ils peuvent être placés en détention s’ils se trouvent au Canada sans statut et sont arrêtés par un agent de l’ASFC.
Une personne détenue a droit à une audience de révision dans les 48 heures suivant sa détention. Malgré cela, de longues périodes de détention peuvent tout de même se produire. Souvent, le fait que les détenus soient isolés des soutiens communautaires et de l’accès à des avocats les rend incapables de se préparer adéquatement à l’examen de leur détention. En tant que système, la détention des immigrants ne demeure que très peu réglementée, et de larges pouvoirs discrétionnaires sont accordés à l’ASFC qui est responsable de son administration.
Problèmes associés à la détention des immigrants
En raison de la nature principalement discrétionnaire du système de détention d’immigrants et de l’absence de surveillance des mécanismes de détention de l’ASFC, de graves problèmes sont soulevés par des groupes de défense des droits des migrants, des avocats et des défenseurs des droits des réfugiés en ce qui concerne le traitement des migrants en détention.
Personnes racialisées et vulnérables en détention
Des périodes de détention prolongées infligent des dommages psychologiques, physiques, émotionnels et sociaux qui durent toute une vie. La détention exacerbe les problèmes de santé mentale avec lesquels de nombreux détenus sont déjà aux prises, par exemple le trouble de stress post-traumatique (TSPT), l’anxiété et les pensées suicidaires. Il n’existe aucune procédure de dépistage officielle pour empêcher la détention de personnes vulnérables, comme les jeunes enfants, les femmes enceintes ou les migrants souffrant de problèmes de santé mentale. On signale souvent que des familles sont séparées, et même des mères qui allaitent sont séparées de leurs bébés.
De plus, si les détenus immigrants présentent certains problèmes de comportement pendant leur détention, comme de l’agressivité ou des symptômes de maladie mentale tels que des idées suicidaires, ils sont souvent transférés dans des prisons provinciales en tant que détenus « à haut risque ». Cela augmente leur isolement et leur incapacité à accéder au soutien de la communauté. Alors qu’ils sont détenus en prisons, il est extrêmement difficile d’obtenir des évaluations psychiatriques et un accès à des médecins. Par conséquent, ceci aggrave les problèmes de santé mentale préexistants et peut donner lieu à la dépression, aux idéations suicidaires et à l’anxiété chez les détenus.
En 2021, un rapport publié par Human Rights Watch et Amnistie internationale révèle que les immigrants racialisés au Canada sont victimes de discrimination raciale et sont confrontés à des défis uniques durant leur incarcération. La détention de détenus immigrants racialisés, plus particulièrement des hommes noirs, est plus susceptible de se produire dans des établissements à sécurité maximale, pendant de plus longues périodes plus longues, et même en isolement. Du fait de leur détention, certains peuvent souffrir de graves conséquences psychologiques.
Les femmes détenues sont confrontées à des difficultés uniques. Des femmes enceintes sont détenues et certaines sont contraintes d’accoucher alors qu’elles sont en détention. Les centres de détention pour immigrants ne disposent pas d’installations adaptées aux besoins de ces femmes et ils sont rarement équipés pour répondre aux besoins de santé les plus fondamentaux de ces femmes. Les femmes détenues peuvent également être confrontées à de la violence sexiste.
Enfants en détention d’immigrants
Selon la loi, les enfants ne sont détenus qu’en dernier recours. Cependant, selon des données de mars 2015 obtenues par le Conseil canadien pour les réfugiés, il y aurait au moins 82 enfants en détention. La détention est extrêmement dommageable pour les enfants. L’accès à des activités d’enrichissement extérieures est très limité, tout comme les soutiens éducatifs. Certains enfants courent également le risque d’être séparés de leur famille. Les enfants nés pendant que leur mère est en détention, qui sont donc citoyens canadiens, ne peuvent techniquement pas être détenus par l’ASFC étant donné que la détention d’immigrants n’est réservée qu’aux non-citoyens. Ces enfants sont donc internés à titre « d’invités » de leurs parents. Par exemple, Alpha Anawa, né en 2013, est détenu depuis sa naissance avec sa mère, Glory Anawa, une demandeuse d’asile du Cameroun arrivée au Canada alors qu’elle était enceinte de trois mois. Bien qu’Alpha soit citoyen canadien de naissance, il demeure dans le centre de rétention des immigrants. En 2015, lui et sa mère sont déportés.
Préoccupations relatives à l’accès à la justice
L’accès à un avocat abordable et de qualité est l’un des principaux facteurs qui déterminent la réussite d’une audience pour mise en libération sous caution. Les détenus font face à de nombreuses difficultés lorsqu’ils tentent de rassembler les preuves à présenter lors de leur contrôle de détention. Ces difficultés sont dues au fait qu’il est très difficile de communiquer avec un avocat. Il n’y a qu’un seul système de communication téléphonique unidirectionnel dans les centres de détention d’immigrants et les prisons, l’accès à l’internet est inexistant, et la disponibilité d’interprètes est extrêmement limitée. De plus, les détenus des prisons provinciales sont souvent géographiquement très éloignés de leurs avocats. Par exemple, le Centre correctionnel du Centre-Est se trouve à Lindsay en Ontario, à trois heures de Toronto, ce qui fait que les avocats doivent se déplacer de Toronto pour aller voir leurs clients. Par conséquent, les détenus de l’immigration sont très isolés, et plusieurs d’entre eux ne sont pas représentés lors de leur audience, ce qui entraîne des périodes de détention prolongées, voire indéfinies.
Détention pour une période indéfinie
Le Canada est l’un des rares pays occidentaux à ne pas imposer de limite de temps à la durée de détention des immigrants. En raison des nombreux problèmes d’accès à la justice auxquels sont confrontés les immigrants détenus, certains d’entre eux risquent d’être détenus pour une durée indéterminée.
Le cas de Michael Mvogo démontre à quel point il est difficile pour les migrants de sortir de détention. Il est condamné en 2006 pour possession d’une petite quantité de cocaïne et il s’avère qu’il voyage avec un faux passeport américain. L’ASFC tente de relier Michael Mvogo aux États-Unis, à Haïti, à la Guinée et ultimement, au Cameroun. Cependant, le Cameroun ne reconnaît pas Michael Mvogo comme un citoyen et refuse de lui délivrer les documents de voyage qui faciliteraient sa déportation du Canada. Il demeure en détention, incluant en isolement, pendant près d’une décennie. Éventuellement, l’ASFC enquête et trouve le certificat de naissance de Michael Mvogo au Cameroun. Il est finalement déporté en 2015.
En 2015, la Cour d’appel de l’Ontario statue, dans l’affaire Chaudhary c. Canada, que les détenus de l’immigration peuvent demander au tribunal d’être libérés de leur détention sur la base du principe de l’habeas corpus. L’habeas corpus protège le droit fondamental des personnes de demander une révision et une libération par l’État. Michael Mvogo et Glory Anawa, la mère camerounaise de l’enfant détenu Alpha Anawa, sont deux des quatre plaignants dans cette affaire. Cette décision démontre qu’il existe un système de contrôle de détention prévu par la loi. Toutefois, ces audiences sont organisées de telle manière qu’il est très difficile pour les détenus de l’immigration d’exercer pleinement leurs droits en vertu de l’habeas corpus, par exemple en rendant difficile l’accès à un avocat.
Décès survenus en détention de l’immigration au Canada
Entre 2000 et 2020, au moins 16 détenus meurent alors qu’ils sont en détention. La majorité de ces décès sont entourés de silence et ils ne sont pas très médiatisés. Par exemple, c’est le cas de Kevon Phillip, originaire de Trinidad, qui meurt en 2010 alors qu’il vit au Canada depuis environ 15 ans et est menacé de déportation. Il est battu à mort par d’autres détenus à la prison provinciale Don.
Le décès de Lucia Vega Jimenez en 2013, à Vancouver en Colombie-Britannique, qui se suicide alors qu’elle est en attente de déportation, met en lumière le désespoir de nombreux détenus. L’ASFC n’annonce son décès qu’après que des groupes communautaires révèlent cette histoire aux médias et exigent une enquête indépendante sur les conditions de détention des immigrants. Deux hommes meurent également en détention au début de 2016, apparemment par suicide : un migrant chilien et un demandeur d’asile burundais qui est en attente de sa déportation. En mai 2016, un autre homme meurt alors qu’il est détenu par l’ASFC dans une prison provinciale.
À la suite de ces décès, le gouvernement fédéral annonce en 2016 qu’il prévoit réviser sa politique de détention de l’immigration.
Résistance en détention
Les détenus immigrants contestent les pratiques de détention pour immigrants. Des grèves de la faim sont utilisées pour protester contre les conditions de détention et pour exiger un meilleur traitement, pour contester les pratiques de détention de durée indéterminée et pour exiger la libération pendant la pandémie de COVID-19.
Alternatives à la détention pour immigrants
En 2017, l’ASFC élabore et met en œuvre un plan de réforme appelé Cadre national en matière de détention liée à l’immigration du Canada. Ce plan a pour objectif de créer un meilleur système de détention. Le gouvernement promet 138 millions de dollars pour améliorer le système de détention, principalement en agrandissant et en rénovant les CSI et en mettant en œuvre des programmes de solutions de rechange à la détention (SRD) qui ne privent pas de liberté. Les programmes SRD varient du dépôt d’une caution (dépôt en espèces) à la technologie de localisation et de surveillance en passant par la déclaration régulière à l’ASFC. Les différentes formes de technologie de localisation comprennent la technologie d’empreinte vocale biométrique pour les rapports téléphoniques et les équipements de surveillance électronique utilisant le GPS ou la radiofréquence. Ces mesures comprennent également des programmes communautaires et une surveillance que l’ASFC effectue en partenariat avec des ONG comme l’Armée du Salut, la Société John Howard et le Programme de cautionnement de Toronto.
Les SRD peuvent être utilisés lorsqu’une personne a été détenue et relâchée dans la communauté. Ils peuvent également être utilisés dans les cas où les individus n’ont pas été détenus dans un CSI ou une prison provinciale. Ces mesures sont critiquées comme étant des mesures punitives qui s’étendent à la communauté. Les SRD peuvent créer une porte tournante qui fait que les immigrants détenus pourraient être arrêtés et détenus à plusieurs reprises.
La détention de l’immigration canadienne est-elle en violation du droit international?
De nombreux médecins, avocats et organismes de défense font appel au Canada pour une réforme du système de détention de l’immigration, car il viole les droits de la personne de certaines des personnes les plus vulnérables au Canada. Des groupes comme Amnistie internationale mettent en lumière les nombreux problèmes du système de détention de l’immigration du Canada lors de l’examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en 2015. Ils soulignent que ce système viole un certain nombre de traités internationaux relatifs aux droits de la personne dont le Canada fait partie, comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention relative aux droits des personnes handicapées, la Convention relative aux droits de l’enfant et les normes issues du droit international coutumier.
Le droit international relatif aux droits de la personne stipule que la détention des immigrants constitue une mesure de dernier recours qui ne doit pas être punitive ou arbitraire, qui doit être appliquée dans le respect des procédures régulières de la loi et qui ne doit pas englober les demandeurs d’asile ou les autres personnes vulnérables.