Instruments électroniques
Instruments électroniques. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, la musique pop au Canada, comme d'ailleurs dans la plupart des pays industrialisés, a été de plus en plus dominée par des sonorités d'instruments de musique électroniques. Après la guitare électrique amplifiée de la musique rock and roll des années 1950 et 1960, c'est une série croissante d'appareils électroniques sophistiqués, comme les boîtes de réverbération, les appareils d'effets spéciaux, les synthétiseurs, les échantillonneurs et les boîtes à rythme, qui ont considérablement enrichis la palette sonore de la musique populaire. En effet, alors que la musique électroacoustique d'avant-garde (dont la naissance remonte elle aussi aux années 1950) est demeurée un domaine relativement spécialisé, l'impact des appareils électroniques sur la production de la musique pop a été très important. Au milieu des années 1980, même des artistes canadiens davantage associés aux traditions de la musique country et folklorique comme Anne Murray, Kate et Anna McGarrigle et Leonard Cohen, n'ont pas hésité à recourir aux instruments électroniques en concert et en studio. Alors que le piano acoustique a constitué durant des décennies le fer de lance de l'industrie des instruments de musique, ce sont maintenant les instruments électroniques qui dominent le marché. Ainsi, en 1989, les seuls synthétiseurs et claviers électroniques portatifs ont représenté plus de 20 p. cent des ventes totales d'instruments de musique au Canada (environ 58 200 000 $ par rapport à 38 300 000 $ pour les pianos). Parallèlement, les ventes d'équipements haute-fidélité, comme les amplificateurs, les haut-parleurs, les magnétophones et les pupitres de mixage, se sont élevées à 43 000 000 $ (source : ACIM, Canadian Music Trade, vol. XII, n 4, 1990).
Dès 1945, l'ingénieur Hugh Le Caine travailla à un prototype de synthétiseur qui ne fut cependant jamais commercialisé. En revanche, plusieurs de ses autres inventions électroniques furent installées à l'Université de Toronto où, entre autres, le populaire claviériste John Mills-Cockell s'initia à la composition électroacoustique. Son penchant naturel pour les sonorités électroniques l'incita en concert, avec son groupe rock Syrinx, à faire un usage intensif de synthétiseurs (en particulier ceux produits par les compagnies Moog et ARP aux États-Unis à la fin des années 1960 et au début des années 1970). Il fut ainsi rapidement reconnu au Canada comme un pionnier de la musique populaire électronique. Toutefois, afin de contourner les limitations des premiers synthétiseurs monophoniques, Mills-Cockell imagina diverses solutions, comme des assemblages de plusieurs claviers. De telles utilisations par les musiciens pop des années 1970 amenèrent une demande croissante pour des appareils électroniques plus sophistiqués. Bien que les développements technologiques des studios d'avabt-garde eurent une certaine influence sur la conception d'instruments électroniques populaires, ce sont surtout les besoins des musiciens pop qui ont engendré les conditions nécessaires pour un développement commercial soutenu de la technologie des synthétiseurs.
À la fin des années 1970, polyphonie, sophistication technologique accrue et contrôles numériques suscitèrent le recours aux synthétiseurs et aux boîtes à rythme chez plusieurs musiciens de diverses tendances. Des pianistes bien connus, comme Oscar Peterson dans le domaine du jazz, commencèrent à s'intéresser de près aux nouveaux instruments. Le chanteur populaire Burton Cummings affirma que les boîtes à rythme jouaient un rôle important dans l'écriture de ses chansons. Les développements technologiques des synthétiseurs, des boîtes à rythme et des échantillonneurs (instruments pouvant produire plusieurs sources sonores à partir d'enregistrements numériques d'instruments acoustiques) à la fin des années 1970 et au début des années 1980 furent reliés de près à l'apparition des microordinateurs personnels et à la diminution des coûts des circuits intégrés qui en résultat. Plusieurs firmes japonaises (comme Yamaha, Roland, Korg et Casio) ayant des liens étroits avec des fabricants de microprocesseurs, purent lancer des instruments numériques peu coûteux et envahir le marché ainsi que les milieux de l'éducation musicale, qui voyaient là un moyen d'introduire l'informatique dans leurs programmes de cours. Un des synthétiseurs les plus percutants de cette période fut le DX7 de Yamaha, lancé en 1983. Les sons produits par ce synthétiseur ainsi que par plusieurs modèles analogues devinrent caractéristiques de plusieurs groupes pop, notamment ceux de Luba, Corey Hart et Kim Mitchell, ainsi que Saga, FM, Rush, Manteca et Glass Tiger. D'autres musiciens comme Michel Cusson et les membres du groupe de jazz UZEB sont même allés jusqu'à participer à des ateliers et à des séminaires commandités par des fabricants d'équipements électroniques numériques, pendant les années 1980. Oscar Peterson a également été, par le biais de promotions publicitaires, un fervent partisan de logiciels destinés à la musique. De la sorte, les musiciens pop ont grandement contribué à la popularité des nouvelles technologies musicales.
Le rôle des échantillonneurs en concert et dans les sessions d'enregistrement a également été important durant les années 1980. Leur inégalable capacité de reproduire les timbres des instruments traditionnels a permis l'économie de musiciens dans plusieurs enregistrements commerciaux, à un point tel que les échantillonneurs ont été blâmés, à tort ou à raison, d'accroître le chômage des musiciens et de diminuer les affiliations aux guildes de musiciens. En revanche, les échantillonneurs ont inspiré des créations originales dans la musique populaire. Des groupes pop ou rock comme The Box, de Montréal, se caractérisent par des sonorités uniques, hybrides entre les timbres instrumentaux traditionnels et les sons numérisés. D'autres encore ont utilisé les échantillonneurs pour enregistrer des fragments de musique préenregistrée dans le but de créer des collages sonores originaux, bien qu'un tel usage ait été perçu dans l'industrie du disque comme une entorse aux règles admises du droit d'auteur. Ainsi, John Oswald, un artiste expérimental canadien, a été poursuivi par la CRIA dans un retentissant procès pour avoir enfreint la législation du droit d'auteur, à cause de ses créations faisant appel à des extraits numérisés de chansons populaires des années 1980.
Mais le développement technologique musical sans doute le plus significatif des années 1980 est le protocole MIDI (Musical Instrument Digital Interface / Interface numérique des instruments de musique), qui permet la connexion d'instruments numériques entre eux et avec un microordinateur, dans le but d'obtenir des systèmes de production musicale complets. La synthèse sonore, l'échantillonnage et l'enregistrement conventionnel peuvent désormais être intégrés, grâce au protocole MIDI, à des séquenceurs numériques. Ces dispositifs permettent l'enregistrement sur plusieurs pistes des sources sonores requises dans la pièce (un peu à la manière des cylindres de pianos pneumatiques qui reproduisaient le jeu des interprètes), de sorte qu'ils puissent au besoin être corrigés, manipulés et orchestrés, de manière électronique. Un musicien de Vancouver impliqué dans la production de musique commerciale et de musiques de film, Ralph Dyck, a été un pionnier dans la conception de séquenceurs. Dyck construisit son premier modèle en 1972 pour ses propres besoins, attirant ainsi l'attention des fabricants. En 1977, la compagnie Roland lança le MC-8 MicroComposer basé sur les concepts de Ralph Dyck. Cet appareil fut produit jusqu'en 1982 avant d'être déclassé par les séquenceurs MIDI.
À partir du milieu de la décennie 1980, les séquenceurs MIDI ont été assidûment utilisés par plusieurs musiciens comme outil de préproduction et pour l'enregistrement de bandes de démonstration. De même, les séquenceurs ont servi à des musiciens, comme Corey Hart, pour reproduire en concert la qualité sonore de leurs enregistrements, ou encore comme Jane Child pour la production entière de sa musique de danse, ainsi qu'à Maestro Fresh Wes et d'autres musiciens de style rap, qui les ont utilisés avec des boîtes à rythme et des échantillonneurs.
Le protocole MIDI constitue un exemple de renversement du flux commercial habituel des milieux expérimentaux à la diffusion de masse. Apparue en 1983 dans la musique pop, la technologie MIDI fut ensuite adoptée par plusieurs jeunes compositeurs de musique contemporaine comme moyen de renouvellement du concert par la musique électroacoustique.
Les instruments numériques ont également eu un impact important dans les domaines du théâtre, du cinéma et de la télévision. Les partitions pour la musique de scène de plusieurs pièces de théâtre, comme Three Men on a Horse, de Gary Kulesha ou encore celle pour le théâtre musical comme Nelligan, d'André Gagnon recouraient uniquement à des synthétiseurs. De même, la trame musicale d'une des plus populaires émissions des années 1980 sur le réseau CTV, Night Heat, provenait de synthétiseurs et d'échantillonneurs. Bien qu'aucune donnée précise n'existe sur la question, plusieurs observateurs estiment qu'en 1990 au moins 50 p. cent de la musique du cinéma ou de la télévision était produite à l'aide de moyens électroniques.
Ces développements technologiques et musicaux ont été accompagnés par une importante adaptation de l'industrie des instruments de musique au Canada. Vers la fin des années 1980, quelques compagnies canadiennes ont tenté de percer le compétitif marché des instruments numériques. Ainsi, en 1988, la compagnie Anatek Microcircuits de Vancouver a développé des liens étroits avec les fournisseurs de circuits intégrés destinés à l'industrie des prothèses auditives et d'autres marchés spécialisés; elle a lancé, sous le nom de « Pocket Products », une série d'accessoires pour des synthétiseurs MIDI et des systèmes de musique assistée par ordinateur, produits innovateurs et couronnés de succès. La même année, la compagnie Pixel Publishing, reliée aux distributeurs de logiciels de musique, fit une entrée remarquée dans le marché informatique avec un produit d'une conception originale, pour l'archivage de données musicales, connu sous le nom de « Super Librarian ».
Toutefois, à la fin des années 1980, plusieurs observateurs de l'industrie musicale ont remarqué que l'apparente révolution qui avait secoué le monde de la musique semblait être terminée. La tourmente d'innovations technologiques qui a caractérisé la dernière moitié des années 1980 est entrée dans une accalmie, soulignée d'ailleurs par la chute des ventes de claviers électroniques. Plusieurs musiciens pop, lassés des sonorités typées des instruments électroniques ont amorcé un retour à des instruments plus traditionnels. Mais bien que des groupes comme The Box ait fait mention de leurs tentatives en studio pour éviter la haute technologie musicale, il est clair que leur conception d'un son vivant a été grandement influencée par leurs expériences antérieures avec des instruments électroniques et que ces technologies sont devenues, directement ou non, un facteur permanent de leur unique approche du son musical.