De 1885 à 1951, la cérémonie autochtone appelée potlatch a été interdite par le gouvernement fédéral du Canada. Pour justifier la prohibition, le gouvernement a invoqué que le potlatch nuisait à l’assimilation des peuples autochtones. Aujourd’hui, cette interdiction est reconnue comme une forme de génocide culturel (voir Génocide et peuples autochtones au Canada). Bien que le potlatch ait été illégal durant toute cette période, l’interdiction n’a été appliquée que sporadiquement. La raison de cet état de fait est que la formulation originale de la loi était trop vague. Par la suite, la loi a été réécrite et le nombre d’accusations a augmenté. En 1922, les agents des Indiens, aidés de la police, ont arrêté les participants d’un potlatch dans la communauté de ʼMimkwa̱mlis. Quarante-cinq personnes ont été appréhendées. L’affaire s’est soldée par des peines d’emprisonnement et la confiscation de plusieurs centaines d’objets cérémoniels de grande valeur.
Le potlatch est une cérémonie traditionnelle des peuples autochtones de la côte nord-ouest de Colombie-Britannique et de l’intérieur de la région subarctique de l’Ouest. La cérémonie a plusieurs fonctions. Elle est vitale pour les structures de gouvernance de certains peuples autochtones. Les spécificités et les rites diffèrent d’une nation autochtone et d’un clan à l’autre, mais la cérémonie tend à coïncider avec des événements importants. Certains potlatchs peuvent durer plusieurs jours. La forme du potlatch peut varier, mais la cérémonie inclut généralement des fêtes, des danses cérémoniales, des chants et du théâtre. Entre autres effets, le potlatch assure une redistribution de la richesse dans la communauté et contribue à renforcer la solidarité au sein de celle-ci, tout en préservant les hiérarchies établies entre les groupes et les personnes.
« Chaque chose importante qui se passait dans la communauté était soulignée par un potlatch ou une fête. C’était aussi pour notre peuple une manière de garder notre mémoire vivante, parce que chaque fois que vous teniez un potlatch, vous invitiez des gens à en être témoins, et ils préservaient l’histoire en se souvenant de ce à quoi ils avaient assisté au potlatch, car il n’y avait pas de langue écrite à cette époque. »
– Bill Cranmer, chef du peuple Kwakwa̱ka̱’wakw du Nord de la Colombie-Britannique
Choc culturel
Pour les premiers colons européens, plusieurs aspects du potlatch peuvent paraître déconcertants. La cérémonie est aussi perçue comme un obstacle aux efforts du gouvernement pour assimiler les peuples autochtones. En particulier, le principe de redistribution de la richesse contredit la valeur capitaliste de l’accumulation d’argent. Les cérémonies de potlatch contribuent à préserver l’indépendance des communautés autochtones et de leurs systèmes politiques. À l’époque, le gouvernement fédéral et les églises essaient de convertir les peuples autochtones au christianisme (voir aussi Pensionnats indiens au Canada). Ces organisations perçoivent les chants et les danses cérémoniales comme incompatibles avec le christianisme.
Interdiction du potlatch
La Loi sur les Indiens est une loi que le gouvernement fédéral utilise pour gouverner et administrer les peuples et les communautés autochtones. Elle est créée en 1876 et remplacée par une version révisée en 1951. La Loi sur les Indiens est centrée sur l’objectif d’assimiler des peuples autochtones. Elle tente d’obtenir ce résultat en interdisant certaines coutumes et traditions et en forçant les jeunes autochtones à fréquenter des pensionnats indiens.
Le gouvernement fédéral décide d’interdire le potlatch dès 1883. Il publie une déclaration qui conduira à modifier la Loi sur les Indiens le 19 avril 1884. Cet amendement devient à son tour une loi le 1er janvier 1885. La déclaration se lit comme suit :
« Tout Indien ou autre personne qui participe ou assiste à une célébration de la fête indienne appelée “potlatch” ou à la danse indienne “tamananawas” est coupable d’un délit, et devrait être passible d’emprisonnement […]. »
La formulation de la Loi est vague. Plusieurs années s’écoulent avant que quiconque soit poursuivi pour avoir participé à un potlatch. La première fois que cela se produit, le juge en chef de la Colombie-Britannique, Matthew Begbie, tranche que la Loi n’est pas applicable, car le terme « potlatch » n’y est pas défini.
Malgré sa formulation vague et le fait qu’elle soit rapidement jugée inapplicable, la Loi sur les Indiens reste en vigueur. Occasionnellement, des personnes sont accusées en vertu de l’interdiction. Certains représentants du gouvernement ne sont pas convaincus que la coercition soit la meilleure pratique pour encourager l’assimilation. Certains croient que la coutume du potlatch disparaîtra d’elle-même. L’application de la Loi conduit à des situations bizarres, comme des arrestations pour le crime d’avoir dansé. La Loi se révèle une dissuasion peu efficace car de nombreuses communautés autochtones continuent à pratiquer le potlatch en secret.
L’anthropologue germano-américain Franz Boas a passé la plus grande partie de sa carrière à étudier les langues, les cultures et les sociétés autochtones du Canada. Fervent adversaire de l’interdiction du potlatch, il organise et héberge ses propres potlatchs. En outre, il défend les Autochtones qui y participent. Franz Boaz est un opposant bien connu au « racisme scientifique » populaire au 19e siècle et au début du 20e siècle. Ces idées racistes sont à la base des lois canadiennes, comme la Loi sur les Indiens. En 1938, Franz Boaz réalise de nombreux enregistrements du chef kwakwa̱ka̱’wakw Dan Cranmer. Celui-ci a conservé en secret la tradition du potlatch.
Potlatch Cranmer de 1921
Le 25 décembre 1921, le chef Dan Cranmer organise le plus grand potlatch connu sur la côte nord-ouest de la Colombie-Britannique. On rapporte que 300 personnes y participent. Le potlatch se déroule à ʼMimkwa̱mlis (aussi écrit Memkumlis, et connu sous le nom de Village Island). Aidés par la police, les agents des Indiens procèdent à l’arrestation des participants du potlatch et les accusent en vertu de l’interdiction de la cérémonie. Ils envoient un ultimatum à la communauté. Ils demandent que celle-ci renonce à la pratique du potlatch et remette tous les objets cérémoniels utilisés dans la cérémonie. Ceci inclut des masques, des costumes, des coiffures et d’autres objets de cérémonie traditionnels. À peu près la moitié des personnes arrêtées reçoivent des sentences de deux à trois mois d’emprisonnement. L’autre moitié, soit à peu près 20 personnes, échappent à l’emprisonnement après que la communauté ait accepté de remettre les objets cérémoniels.
Le nombre d’objets confisqués est difficile à établir, mais on estime que le total s’élève autour de 600. Certains des objets sont retenus par les agents des Indiens, des policiers et d’autres représentants des autorités ou du gouvernement. D’autres sont vendus à des collectionneurs privés. Le plus grand nombre finiront dans trois musées : le Musée national du Canada à Ottawa (aujourd’hui le Musée canadien de l’histoire), le Musée royal de l’Ontario à Toronto et le National Museum of the American Indian à New York. Certains se retrouvent au Royaume-Uni. À partir des années 1970, le peuple Kwakwa̱ka̱’wakw entreprend des démarches pour récupérer les objets confisqués. Beaucoup d’entre eux sont restitués, mais tous ne sont pas récupérés.
Fin de l’interdiction du potlatch
La Loi sur les Indiens subit une révision majeure en 1951. Cette révision comprend l’abolition de l’interdiction du potlatch. Ce changement est probablement une des conséquences de l’expérience du Canada dans la Deuxième Guerre mondiale, particulièrement dans la mesure où l’eugénisme et le « racisme scientifique » étaient au cœur de l’idéologie nazie. C’est aussi à cette époque que le Canada signe la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU. Les politiques oppressives du Canada à l’égard des peuples autochtones s’accordent mal avec les tendances mondiales du milieu du 20e siècle. Un an plus tard, le chef kwakwa̱ka̱’wakw Mungo Martin organise le premier potlatch « légal » depuis 1885 à Victoria, en Colombie-Britannique. Des membres de la famille Cranmer y assistent. Il faudra plusieurs décennies avant que le potlatch retrouve sa place centrale et soit pratiqué régulièrement par les communautés autochtones.