Le 25 décembre 1921, une cérémonie de potlatch s’est déroulée dans le village kwakwa̱ka̱’wakw de ‘Mimkwamlis (également orthographié Memkumlis et aussi connu sous le nom Village Island). À l’époque, les cérémonies de potlatch étaient illégales. Des agents du ministère des Affaires indiennes du gouvernement fédéral (voir Ministères fédéraux des Affaires autochtones et du Nord), de la Gendarmerie royale du Canada et, selon certaines sources, de la police provinciale de la Colombie‑Britannique ont été informés de la tenue de ce potlatch et ont arrêté 45 personnes pour y avoir participé, la moitié d’entre elles ayant été emprisonnées pour des durées de deux à trois mois. Des centaines de précieux objets cérémoniels kwakwa̱ka̱’wakw ont été confisqués, certains ayant été vendus à des collectionneurs et s’étant retrouvés dans des musées, sans le consentement des Kwakwa̱ka̱’wakw. Les arrestations liées au potlatch de ‘Mimkwamlis de 1921 constituent un exemple des abus de la police et du gouvernement dont étaient victimes les Autochtones et illustrent la tentative de génocide culturel des peuples autochtones au Canada (voir Génocide et peuples autochtones au Canada).
Potlatch
Le potlatch est une cérémonie importante pour certains peuples autochtones de la côte du Nord‑Ouest de la Colombie‑Britannique (voir Peuples autochtones de la côte nord‑ouest au Canada). Elle est également pratiquée dans certaines parties de l’intérieur de l’Ouest subarctique. En tant que cérémonie, le potlatch est essentiel aux structures de gouvernance, aux cultures et aux traditions spirituelles de divers peuples autochtones. Il inclut la redistribution de richesses et permet, en outre, l’obtention d’un statut et d’un rang pour des personnes, des groupes de parenté et des clans. Le potlatch offre également une occasion de revendiquer des noms, des pouvoirs et des droits. Ces revendications portent sur des territoires de chasse et de pêche.
Interdiction des potlatchs
Le gouvernement du Canada interdit les potlatchs en 1885, une interdiction qui perdurera jusqu’en 1951, avec, comme explication, que cette mesure contribuera à l’assimilation des peuples autochtones. L’interdiction de cette pratique culturelle autochtone était, à l’époque, considérée comme essentielle pour accélérer ce processus d’assimilation. Le gouvernement souhaite assimiler ces populations au sein de ce qu’on tient alors pour le courant dominant socioculturel au pays, à savoir une société blanche canado‑européenne. L’interdiction du potlatch constitue une réaction punitive contre les cultures, les sociétés, la politique et les traditions autochtones. Les peuples de langue kwak’wala (voir Kwakwaka’wakw) comptent parmi les plus ardents défenseurs du potlatch.
Le potlatch de 1921 de ‘Mimkwamlis
Participer à un potlatch constitue durant cette période une infraction pénale passible d’une peine de six mois d’emprisonnement. La loi s’avère toutefois appliquée de manière inégale en raison d’un libellé initial de l’interdiction considéré comme insuffisamment précis. Les Kwakwa̱ka̱’wakw poursuivent l’organisation des potlatchs en dépit de l’interdiction légale, ce qui conduit finalement à une reformulation de la loi qui devient extrêmement stricte : désormais, des Autochtones qui échangent des cadeaux ou soupent ensemble à Noël peuvent être accusés de participer à un potlatch.
Malgré l’interdiction et la loi révisée, le chef de la Première Nation Namgis, Dan Cranmer, tient un grand potlatch, sur une durée de plusieurs jours, à partir du 25 décembre 1921. Le choix de cette date et de ce lieu peut être expliqué par diverses raisons, l’une d’entre elles étant peut-être que les participants éviteraient ainsi d’être vus par les agents des Indiens locaux probablement en train de célébrer Noël avec leur famille. Il est également important que le potlatch ait lieu près du village de la famille de l’épouse de Dan Cranmer; en effet, ce dernier, séparé de sa femme, doit, entre autres tâches administratives, rendre la dot. Le fils de Dan Cranmer, le chef héréditaire Bill Cranmer, soupçonne que son père voulait également démontrer les similitudes entre un potlatch traditionnel et les diverses traditions associées à Noël, notamment l’échange de cadeaux, les soupers en commun et d’autres festivités connexes. Au dire de tous, ce potlatch, organisé sur plusieurs jours et comprenant l’échange de cadeaux, le règlement de questions financières et des danses, est le plus important jamais vu sur les côtes de Colombie‑Britannique. À l’époque, ce potlatch est considéré par le gouvernement non seulement comme un crime, mais comme un acte de rébellion ouverte.
Après avoir entendu parler de cette cérémonie, l’agent des Indiens William Halliday décide d’intervenir, arrêtant plus de 45 participants, avec l’aide du sergent Donald Angerman et d’autres policiers, au début de l’année 1922, après la fin du potlatch. Malgré l’utilisation courante de l’expression « raid de ‘Mimkwamlis de 1921 », aucune arrestation n’est effectuée pendant les quatre à cinq jours que dure le potlatch. La police détient les personnes arrêtées dans une école locale, pendant plusieurs jours, avant de les faire monter dans des camions et de les conduire à la prison d’Oakalla, à Burnaby, en Colombie‑Britannique, à une distance considérable de leur lieu de résidence sur la côte du Nord‑Ouest. Les procès prennent fin en avril 1922, après que les personnes arrêtées ont été accusées de divers crimes, notamment la pratique de la danse et la réception de cadeaux, environ la moitié d’entre elles étant condamnées à des peines de deux et trois mois de prison.
L’autre moitié des accusés, soit environ 20 personnes, se voient offrir la possibilité d’échapper à la prison s’ils acceptent de ne plus jamais participer à un potlatch et de se séparer des objets cérémoniels. On ne sait pas exactement combien d’objets sont alors remis à la police. Cependant, selon des renseignements contemporains, on estime que les agents gouvernementaux auraient confisqué environ 600 articles.
Les objets confisqués sont d’abord entreposés à la salle paroissiale de l’église anglicane d’Alert Bay et y sont exposés pendant un certain temps, les visiteurs devant payer des frais d’entrée pour pouvoir les voir, plusieurs de ces articles étant d’ailleurs photographiés. William Halliday s’arrange également pour vendre 33 objets au collectionneur George Heye de New York, soutenant avoir ainsi collecté des fonds pour les peuples autochtones dont il est responsable. Toutefois, ses supérieurs le réprimandent par la suite, décrivant ses agissements comme injustifiés. D’autres artefacts sont acheminés vers différents musées, au Royaume‑Uni, aux États‑Unis et ailleurs au Canada, certains d’entre eux étant détournés, au cours du processus, par des policiers, des représentants des musées et des agents gouvernementaux responsables de la gestion de la collection pendant son transfert.
Après ces nombreuses arrestations et la confiscation d’objets culturels, on pense que la Première Nation Namgis a cessé de pratiquer les potlatchs. Cependant, d’autres communautés Kwakwa̱ka’wakw, plus éloignées, continuent de pratiquer ces cérémonies en secret.
Restitution
L’interdiction des potlatchs est levée, par le biais d’une révision de la Loi sur les Indiens, en 1951. Après cela, les Kwakwa̱ka̱’wakw se mobilisent pour convaincre les différents musées et organismes gouvernementaux de leur restituer les objets confisqués. Ce processus débute dans les années 1950 et 1960, sous réserve toutefois qu’un nouveau musée soit construit pour abriter ces artefacts. La société culturelle U’mista est créée à cet effet. Le processus de recherche et d’obtention du retour des précieux objets cérémoniels du potlatch s’est poursuivi jusqu’au 21e siècle. Des objets ont été rendus par le Musée national de l’Homme (aujourd’hui le Musée canadien de l’histoire), par le Musée royal de l’Ontario, par le National Museum of the American Indian (une institution Smithsonian) et par le British Museum. Le Centre culturel U’mista à Alert Bay, en Colombie‑Britannique, abrite maintenant la collection Potlatch. Cependant, il reste encore un nombre indéterminé d’objets manquants. La Société culturelle U’mista poursuit sa recherche des articles restants.