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Investissement étranger

L’investissement étranger au Canada se fait de deux façons : les investissements directs (qui visent la gestion et le contrôle des entreprises), et les placements de portefeuille (motivés par les intérêts et les dividendes et un éventuel gain de capital).
Investissement étranger

L’investissement étranger au Canada se fait de deux façons : les investissements directs (qui visent la gestion et le contrôle des entreprises), et les placements de portefeuille (motivés par les intérêts et les dividendes et un éventuel gain de capital). Dans les deux cas, les sommes en jeu sont considérables, et font en sorte qu’une importante part de l’économie canadienne repose dans les mains d’étrangers. Bien que les investissements directs étrangers continuent à croître jusqu’en 2012, on craint dans certains secteurs que les restrictions fédérales, qui balisent la propriété d’entreprises et de ressources canadiennes par des étrangers, ne découragent les investisseurs étrangers au pays.

Premiers investissements britanniques et américains

L’importante présence étrangère dans l’économie au Canada s’enracine au plus profond de son histoire. À compter du milieu du XIXe siècle jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, les investisseurs britanniques fournissent à cœur joie du capital, principalement sous forme de portefeuille, qui finance des travaux publics ainsi que la construction de canaux, de chemins de fer et d’infrastructures urbaines.

Au même moment, les États-Unis bâtissent une telle économie nationale qu’elle est sur le point de surpasser celle de n’importe quel pays européen. Son réseau ferroviaire lie toutes ses régions et en fait un marché unique d’envergure qui permet la construction de mégaentreprises industrielles rentables. Pour certaines de ces entreprises, il est avantageux d’ouvrir des filiales éloignées, mais plus près des ressources naturelles ou des marchés locaux qui sont mieux desservis par une usine du voisinage. Le chemin de fer, le télégraphe et plus tard, le téléphone, rendent possible et efficace la gestion à distance des activités loin du siège social.

C’est l’épuisement des ressources naturelles aux États-Unis qui poussent les entreprises industrielles américaines à se ravitailler autre part. La première ressource canadienne puisée avidement par les Américains est le bois, surtout au Québec et en Ontario (voir Histoire du commerce du bois). Ainsi arrivent au Canada les ouvriers forestiers américains qui y construisent de grandes scieries pour transformer le bois à vendre aux États-Unis. Il ne s’agit toutefois pas d’entreprises américaines : les propriétaires deviennent éventuellement citoyens canadiens.

Les premières filiales d’importance sont les imprimeries de journaux construites par des papetiers américains. Ces derniers auraient préféré n’acheter que le bois et le transformer dans les papeteries américaines qu’ils possèdent déjà, mais les gouvernements provinciaux, soucieux de créer des emplois et de promouvoir le développement économique, refusent l’exportation des rondins provenant des terrains forestiers qu’ils contrôlent et exigent que les compagnies américaines construisent sur place des usines de papier. En 1929, le Canada fournit environ 65 % des exportations de papier journal à l’international et 90 % de toute sa production est acheminée vers les États-Unis.

Manufacture, détail et exploitation minière

La découverte, à la charnière du XIXe et du XXe siècle, de minéraux de valeur (l’or, le nickel, le zinc et d’autres métaux non-ferreux) crée une industrie minière que les capitaux américains et britanniques ne mettent pas de temps à contrôler. L’or découvert dans les lits des rivières et en dépôt de surface est d’abord extrait par des particuliers à l’aide de méthodes simples et peu coûteuses, puis à grande échelle, à l’aide de méthodes à forte intensité de capital. Des compagnies minières américaines bien établies ouvrent alors des succursales pour mener de telles activités, fournissant les capitaux, les compétences et l’expérience requis. Ces gisements de métaux communs canadiens sont de prime abord exploités et contrôlés par des compagnies minières américaines.

Durant les années 1920, de plus en plus d’entreprises américaines provenant d’autres secteurs industriels commencent à exploiter des succursales au Canada. Pour desservir le marché canadien, des usines de fabrication sont établies, ce qui permet aux entreprises les possédant d’amoindrir le fret et les frais d’importation. Les usines américaines profitent aussi du tarif douanier préférentiel accordé aux produits canadiens importés par les autres pays de l’Empire britannique. Dans les villes canadiennes s’établissent de nombreuses succursales de chaînes d’alimentation et de magasins à grande surface. En 1930, l’investissement direct américain au Canada représente cinq fois celui du Royaume-Uni.

Avantages aux usines américaines

Le krach boursier de 1929 et la Grande crise interrompent presque toute forme d’investissement étranger, une situation qui dure jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Après le conflit, les investissements des États-Unis reprennent leur cours, surtout par l’entremise d’importants projets miniers. Suivant la découverte du puits de pétrole Leduc en Alberta en 1947, des sommes colossales sont investies par les Américains dans l’exploration pétrolière et gazière et la construction de pipelines et de raffineries. La croissance de la population et de ses richesses rend le marché canadien très attrayant pour les entreprises américaines qui, ce faisant, établissent encore plus d’usines de fabrication de biens de consommation. Ne tardent pas à suivre les établissements financiers et de vente au détail, tout comme les fournisseurs d’équipements et de services qui sont nécessaires au bon fonctionnement de l’industrie.

Il apparaît logique de croire que les biens et services fournis aux succursales américaines sont produits par des entreprises canadiennes. Or, il n’en est rien : les entreprises américaines sont très avantagées parce qu’elles disposent de beaucoup plus de capitaux et d’expérience, en plus de réseaux commerciaux bien établis et rentables. Les succursales américaines exploitant les ressources canadiennes profitent de marchés fiables, parce que leur production est entièrement achetée par les sociétés mères aux États-Unis. Beaucoup des produits faits aux É.-U. sont déjà bien connus au Canada, et les filiales canadiennes d’entreprises américaines ont tendance à acheter leurs matériaux et leur équipement directement des sociétés mères ou des fournisseurs américains dont elles sont clientes. Ces avantages font en sorte que les entreprises canadiennes ne peuvent pas concurrencer.

Dans un très petit nombre de cas, les firmes étrangères vendent les droits d’utilisation des technologies qu’elles ont développées aux entreprises canadiennes, afin que les biens et services qui en découlent puissent être produits au Canada.

Bénéfices et coûts de l’investissement américain

En plus d’ouvrir des filiales au Canada, les entreprises américaines font l’acquisition d’entreprises canadiennes bien établies et les intègrent à leur société. Un grand nombre d’entreprises canadiennes sont vendues à des regroupements américains à des prix qui dépassent de beaucoup ce qu’un acheteur canadien aurait pu offrir. Ce faisant, l’investissement direct américain s’élève à plus de 3,4 milliards de dollars en 1950, un montant qui est multiplié par 30 vers la fin de 1995. Une fraction de cette augmentation est imputable à l’inflation, mais elle reflète surtout le fait que de plus en plus d’Américains sont propriétaires d’actifs physiques au Canada.

Bien que les entreprises américaines aient permis la production de produits et services novateurs et la création de nombreux emplois, leur présence au Canada cause des problèmes qui persistent encore de nos jours. Des sommes sans cesse grandissantes d’argent sont remises aux propriétaires américains sous forme de dividendes d’investissement et de contributions des filiales aux frais d’administration, de recherche, de développement des produits et de publicité engagés par leur siège social. Une grande partie de ces paiements doivent être faits en dollars américains. Lorsqu’il n’y a pas d’obligation contractuelle de faire ces versements en devises américaines, les investisseurs qui reçoivent des dollars canadiens veulent les faire convertir en dollars américains. Ainsi, une très grande partie des dollars américains gagnés par les exportations du Canada sert à payer les intérêts et dividendes aux entreprises américaines ainsi que les contributions des filiales canadiennes. L’argent qui reste suffit rarement à payer les importations, ce qui force les Canadiens à emprunter à l’étranger, augmentant le montant d’intérêts qu’ils devront payer aux étrangers à l’avenir.

Les multinationales poursuivent leur exploitation au Canada en suivant leurs propres intérêts, au détriment de ceux du Canada. La recherche et le développement industriels, essentiels à l’innovation industrielle, à la croissance et à la création d’emploi, ne se font généralement pas dans des entreprises canadiennes, mais à même les entreprises américaines. La diminution de la demande d’un produit est comblée par la réduction des effectifs canadiens ou la fermeture complète de la filiale canadienne tout en maintenant les activités de la société mère. La même chose se produit lorsqu’une entreprise internationale trouve des ressources ou de la main-d’œuvre à prix moindre outre-part.

Limitations de la propriété étrangère au Canada

La présence de sociétés étrangères géantes qui, parce qu’elles sont financièrement très puissantes et qu’elles répondent à des intérêts internationaux, ne peuvent être amenées ou forcées à modifier le rythme de leurs activités au Canada rend le maintien d’une stabilité économique par le gouvernement canadien compliqué. La loi américaine, qui empêche les entreprises américaines et leurs filiales de commercer avec les pays ennemis, rend impossible le commerce de leurs produits canadiens dans certains pays qui entretiennent pourtant des relations commerciales normales avec le Canada. Les stratégies d’entreprises ont souvent des conséquences similaires; les filiales n’étant conçues de façon générale que pour servir le marché domestique canadien ne possèdent pas les ressources ou le mandat nécessaires pour développer et vendre des produits dans les marchés extérieurs.

Outre ces préoccupations économiques, de nombreux Canadiens (voir Comité pour l’indépendance du Canada et Conseil des Canadiens) voient d’un mauvais œil l’ampleur et le contrôle de la propriété étrangère sur l’économie canadienne pour des raisons nationalistes (voir Nationalisme économique). Dans les années 1960, le gouvernement fédéral réagit en passant une nouvelle loi empêchant les étrangers de posséder des stations de radio et de télévisions (voir Politique culturelle). La loi restreint aussi la possibilité pour les étrangers d’ouvrir des banques, des compagnies d’assurances et d’autres établissements financiers, d’agrandir des entreprises préexistantes et limite aussi l’exploration gazière, pétrolière et minière et l’acquisition de mines d’uranium. En 1973, le gouvernement fédéral met aussi en place l’Agence d’examen de l’investissement étranger (AEIE), qui sélectionne les investissements de non-résidents et n’accepte que les projets profitables pour le Canada.

Le gouvernement fédéral crée aussi la Corporation de développement du Canada en 1971 et Pétro-Canada en 1974 qui mettent à mal l’emprise étrangère sur l’économie en achetant un certain nombre de grandes entreprises étrangères. Le gouvernement du NPD de la Saskatchewan acquiert aussi des entreprises étrangères d’exploitation de la potasse. En 1980, le gouvernement canadien introduit son Programme énergétique national, qui accorde certains privilèges et mesures incitatives financières aux entreprises gérées et détenues par des Canadiens dans les secteurs gazier et pétrolier. L’initiative incite les Canadiens à acquérir plusieurs entreprises étrangères. Le début des années 1980 est marqué par une baisse significative de la proportion d’entreprises minières, pétrolières, gazières et de fabrication contrôlées par des étrangers en comparaison avec une dizaine d’années auparavant.

AEIE critiquée, puis démantelée

Bien que l’AEIE approuve 90 % des offres d’investissement étranger qu’elle reçoit et ne fait pas réellement obstacle à la propriété étrangère, elle est hargneusement critiquée pour ses rejets occasionnels et ses décisions qui se font parfois longuement attendre. Ces critiques poussent les libéraux au pouvoir à assouplir les restrictions. Toutefois, en 1984, l’administration conservatrice nouvellement élue et présidée par le premier ministre Brian Mulroney annonce son désir d’amoindrir en plus les restrictions des obstacles aux investissements étrangers au Canada. La même année, on démantèle l’AEIE et on crée Investissement Canada, une agence qui au contraire accueille chaleureusement les investissements étrangers.

Le gouvernement de Mulroney ne bloque ainsi aucun projet d’investissement étranger sous la Loi sur Investissement Canada, une situation qui se poursuit durant les règnes des libéraux Jean Chrétien et Paul Martin. De 1985 à 2006, les investissements étrangers au Canada montent en flèche et passent d’un montant de 100 milliards à 550 milliards de dollars.

Tout change cependant avec l’arrivée en 2006 du premier ministre conservateur Stephen Harper. En 2008, il utilise la Loi sur Investissement Canada pour empêcher la vente de la division aérospatiale de l’entreprise des technologies de communication britanno-colombienne MacDonald, Dettwiler & Associates (MDA). Cet échange commercial entre MDA à la société américaine Alliant Techsystems. Il s’ensuit un tollé de la population qui croit qu’avec la vente les actifs scientifiques et économiques canadiens sont destinés à l’exil. Il s’agit du premier rejet d’investissement étranger du régime d’Investissement Canada.

Ottawa restreint la vente d’actifs stratégiques

En 2010, le gouvernement Harper impose certaines conditions à l’acquisition de l’entreprise saskatchewannaise Potash Corp. par le géant minier australien BHP Billiton. Ce dernier estime que les conditions sont trop restrictives et retire son offre. À la surprise de plusieurs, les refus de MDA et de Billiton instaurent une tendance des plus belliqueuses pour le futur.

En 2012, Harper approuve les acquisitions de Nexen, producteur pétrolifère de Calgary, par la China National Offshore Oil Corp (CNOOC) pour un montant de 15,1 milliards de dollars et du producteur de gaz naturel Progress Energy Resources par la société d’État malaisienne Petronas pour un montant de 6 milliards de dollars. Toutefois, le même jour, Ottawa annonce aussi des amendements à la Loi sur Investissement Canada et son test sur « l’avantage net pour le Canada ». Ces amendements empêchent toute société d’État étrangère de faire l’acquisition d’entreprises pétrolières et gazières canadiennes. Les acquisitions effectuées par des sociétés d’État ne se feraient « que sur une base exceptionnelle », selon Steven Harper. En d’autres mots, le gouvernement annonce qu’il ne répétera pas le genre d’échanges commerciaux qu’il vient tout juste d’accorder à la CNOOC et à Petronas.

Critique des nouveaux règlements

Les nouveaux règlements s’attirent les foudres des entrepreneurs canadiens, en particulier ceux du secteur énergétique albertain. Ils sont d’avis que les investisseurs étrangers ne voudront jamais investir dans un projet ou une entreprise s’il y a un risque que la transaction ne soit pas acceptée. En effet, les chiffres compilés par la Banque CIBC montrent une réticence dans l’investissement étranger dans les secteurs pétrolier et minier à partir de ce moment. Au quatrième trimestre de 2013, il chutait de 92 % pour passer de 29,2 milliards de dollars au même moment en 2012 à seulement 2,3 milliards. Jim Prentice, ancien ministre du gouvernement Harper, met en garde le Canada contre le fait que les entreprises étrangères investiront ailleurs si l’attitude ne change pas en matière d’investissement étranger au pays : « Nous devons être clairs et spécifier que nous sommes ouverts au commerce, » déclare-t-il aux médias.

La clarification quant aux règles d’acquisition pour les investisseurs de sociétés d’État n’est jamais faite par Steven Harper, qui prétend que l’acceptation ou le refus des transactions appartient entièrement à la discrétion d’Ottawa. Ce serait irréfléchi de la part du Canada d’être « parfaitement clair », dit-il en novembre 2013, lors d’une table ronde donnée devant des étudiants en commerce à Toronto.

Les marchés financiers sont déconcertés une seconde fois en octobre 2013 lorsque le gouvernement fédéral utilise la Loi sur Investissement Canada pour bloquer la vente des divisions Allstream de Telecom Manitoba à la société de capitaux privés de l’Égyptien Naguib Sawrie. Le gouvernement justifie sa décision en citant des raisons de sécurité nationale, mais sans donner plus de détails. Le refus de la transaction d’Allstream devient la preuve pour les critiques du secteur des télécommunications et des marchés financiers que les règlements canadiens étaient devenus résolument impossibles à comprendre ou à prédire. Ils allèguent que le type d’investissement d’étranger qui constitue un avantage net pour le Canada demeure flou. Les marchés financiers déplorent l’incertitude des politiques et certains prédisent que la nouvelle approche du gouvernement découragera les investissements ultérieurs.

Malgré ces prédictions, le « Canada continue à participer activement » aux flux mondiaux et croissants d’investissements étrangers dans les dernières décennies, selon un article de 2013 de l’Institut de recherche en politiques publiques, basé à Montréal. Depuis 1992, les investissements directs étrangers au Canada,exprimés en pourcentage du PIB national, surpassent à la fois les États-Unis et l’entièreté des pays industrialisés du G8. Dans les dernières années, ce pourcentage continue de croître sur une base annuelle. Au total, les investissements directs étrangers au Canada sont passés de 551 milliards de dollars en 2008 à 592 milliards en 2010 et 634 milliards en 2012, selon Statistique Canada. L’apport des États-Unis à ce nombre s’élève à 327 milliards en 2012, soit un peu plus de la moitié du total des investissements directs au Canada.