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Isobel Gunn

Isobel Gunn (parfois orthographié Isabel, alias Isabella Gunn, John Fubbister et Mary Fubbister), manœuvre (née le 10 août 1780 à Tankerness, en Écosse; décédée le 7 novembre 1861 à Stromness, en Écosse). Au 19e siècle, Isobel Gunn se déguise en homme pour pouvoir travailler pour la Compagnie de la Baie d’Hudson. Elle se rend à la Terre de Rupert (territoire aujourd’hui incorporé au Canada) pour travailler dans le commerce des fourrures. C’est selon toute vraisemblance la première femme européenne dans l’ouest du Canada.

Contrat avec la Compagnie de la Baie d’Hudson

Isobel Gunn voit le jour en août 1780 ou 1781 dans les Orcades, un archipel situé au large de la côte nord de l’Écosse. À l’époque, la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) est engagée dans le lucratif commerce des fourrures sur la Terre de Rupert , un territoire qui fait aujourd’hui partie du Canada. La CBH recrute régulièrement des ouvriers des Orcades , réputés pour leur ardeur au travail et leur capacité à endurer les conditions rigoureuses du commerce de la fourrure au Canada sauvage.

Isobel Gunn souhaite travailler pour la CBH, pour des raisons qui nous sont inconnues. Selon certaines versions de son histoire, elle aurait suivi un amoureux de l’autre côté de l’Atlantique, tandis que d’autres suggèrent plutôt qu’elle aurait été inspirée par l’expérience de travail de son frère au sein de la CBH. Selon une autre théorie encore, le salaire versé aux manœuvres de la CBH est à l’époque plus attrayant que les conditions de vie et les ressources financières des femmes qui travaillent dans les Orcades. Toutefois, la CBH n’embauche pas de femmes européennes en raison de la nature du travail, ainsi que des attentes sexospécifiques de la société de l’époque. Des règles strictes interdisent la présence de femmes à bord des navires de la CBH.

Si les femmes européennes ne sont pas autorisées à travailler dans le commerce des fourrures, les femmes autochtones, elles, jouent un rôle bien différent. Elles travaillent dans les postes de traite , assumant des tâches telles que le maintien de l’approvisionnement alimentaire, le travail de guides et la fabrication de mocassins , de canots et de raquettes à neige pour les commerçants de fourrures. En outre, les mariages entre commerçants de fourrures européens et femmes autochtones revêtent une grande importance pour l’établissement d’alliances nécessaires à l’épanouissement de cette société.

Ainsi donc, pour réaliser son objectif de travailler pour la CBH, Isobel Gunn décide de se déguiser en homme, se faisant appeler John Fubbister. À l’été 1806, elle signe un contrat de trois ans avec la CBH, pour un salaire de 8 £ par année. Le 29 juin 1806, elle entame la traversée de Stromness, en Écosse, à la Terre de Rupert à bord du Prince of Wales. Certains croient que ses compatriotes connaissent alors peut-être sa vraie identité, mais qu’ils n’en laissent rien savoir, souhaitant protéger leur communauté tissée serré.

Arrivée et travail au Canada

Hudsons Bay Company Ships
Employés à bord du « Prince of Wales » et de l' « Eddystone » troquant avec les Inuits au large des îles Upper Savage, dans le détroit d'Hudson, dans les Territoires du Nord-Ouest. Aquarelle réalisée par Robert Hood (avec la permission des Bibliothèque et Archives Canada/C-40364).

Le Prince of Wales accoste à Moose Factory (aujourd’hui incorporé à l’ Ontario ) en août 1806. De là, Isobel Gunn est envoyée à Fort Albany (quelque 130 km au nord-ouest), tandis que son soi-disant amant se trouve, lui, à Eastmain (rive est de la baie James , qui fait maintenant partie du Québec ). En septembre, le groupe d’Isobel Gunn remonte la rivière Albany jusqu’à Henley House pour y livrer des provisions et des marchandises destinées au commerce, puis revient à la fin du mois avec une cargaison de bois pour la construction de bateaux. On écrit dans l’Albany Journal de 1806-1807 que John Fubbister accomplit des tâches de serviteur, transportant notamment des marchandises à l’intérieur des terres.

En mai et juin 1807, Isobel Gunn prend part à une expédition de 2 900 km à Martin Falls qui a pour but d’acheminer des marchandises et des fournitures aux postes de la CBH. À l’automne, Isobel Gunn se joint à un autre groupe qui se rend jusqu’à la rivière Rouge à Pembina (dans ce qui est aujourd’hui le Dakota du Nord, aux États-Unis) pour y passer l’hiver. On croit qu’Isobel Gunn aurait été la première femme européenne à se trouver dans ce qui est maintenant l’ouest du Canada.

Isobel Gunn réussit à maintenir son identité secrète en effectuant efficacement son travail et en se comportant en vrai « homme de la Compagnie ». Hugh Heney, qui accompagne le groupe à Pembina, raconte qu’Isobel Gunn « accomplit toutes les tâches aussi bien que le reste des hommes ». Cela contredit la notion européenne de l’époque qui veut que les femmes soient faibles et incapables d’accomplir le travail des hommes.

Découverte

Au cours de l’hiver 1807, Isobel Gunn est basée au poste de la CBH à Pembina. Son groupe vient de passer Noël dans un poste de la Compagnie du Nord-Ouest (CNO) , un concurrent de la CBH. Le 29 décembre, Isobel Gunn ressent un malaise. Elle supplie alors Alexander Henry , un commerçant de fourrures de la CNO, de l’accueillir sous son toit.

Alexander Henry
En 1761, Alexander Henry quitte Montréal pour Michilimackinac, et en 1775, il s'aventure dans l'ouest du pays (avec la permission de la Metropolitan Toronto Reference Library).

C’est chez Alexander Henry qu’Isobel Gunn donne naissance à un fils, révélant au grand jour son vrai sexe, jusque-là dissimulé à ses employeurs. Dans son journal, Alexander Henry raconte comment il a découvert que John Fubbister, manœuvre des Orcades, était en fait une femme :

« La demande du jeune homme m’a d’abord surpris; je l’ai toutefois invité à s’asseoir et à se réchauffer un peu. J’ai regagné ma chambre. Je n’y suis pas resté longtemps, car il a demandé peu après à me parler. Je suis donc descendu le retrouver. À mon grand étonnement, je l’ai trouvé étendu près du foyer, laissant échapper des gémissements de douleur. Il a tendu la main vers moi, m’implorant d’avoir pitié de lui, une pauvre créature impuissante et abandonnée... qui était en fait une malheureuse fille des Orcades en plein accouchement. »

Le père de l’enfant est John Scarth, un autre employé de la CBH parti de Stromness avec le même groupe qu’Isobel Gunn. On ignore si la relation entre John Scarth et Isobel Gunn était de nature consensuelle. Isobel Gunn nomme son fils James Scarth. Après l’accouchement, la rumeur ne tarde pas à se répandre dans les autres postes : l’un des manœuvres de la CBH est en fait une femme. Tous connaissent le secret d’Isobel Gunn, à qui l’on fait dorénavant référence sous le nom de Mary Fubbister.

Son sexe désormais révélé, Isobel Gunn ne peut plus travailler comme manœuvre. Le groupe de Hugh Heney, dont font partie la jeune femme et son fils, retourne à Martin Falls le 28 juin 1808. Là-bas, elle travaille comme blanchisseuse, un travail jugé approprié pour une femme. Elle n’est pas particulièrement douée pour ce type de travail, qu’elle n’apprécie guère. On croit qu’elle aurait également travaillé comme infirmière à la nouvelle école de Fort Albany. En octobre 1808, son fils est baptisé par William Harper, le maître d’école.

Retour en Écosse

Isobel Gunn est congédiée en septembre 1809. Comme les politiques de la CBH ne permettent pas l’emploi de femmes européennes, Isobel Gunn doit rentrer en Écosse. Le 20 septembre 1809, elle monte à bord du Prince of Wales pour rentrer aux Orcades, le même navire qui l’a emmenée au Canada trois ans plus tôt.

À son retour en Écosse, il y a fort à parier que son statut de mère non mariée couvre de honte le reste de sa famille. Dans les Orcades, elle travaille pendant un certain temps à la fabrication de bas et de mitaines, un autre emploi jugé acceptable pour une femme. On sait peu de choses au sujet de sa vie après son retour en Écosse. Certains racontent qu’elle y aurait été vagabonde. Toutefois, selon les données du recensement, Isobel Gunn travaille comme tricoteuse et vit sur la rue principale de Stromness au moment de son décès le 7 novembre 1861, à l’âge de 81 ans.

Importance et héritage

Les aventures d’Isobel Gunn sur la Terre de Rupert , quoique de courte durée, ont été racontées à maintes reprises. Une caricature montrant une blanchisseuse dans la baie d’Hudson , figurant dans une publication destinée aux commerçants de fourrures dans les années 1820, pourrait y faire allusion. Ces dernières années, l’histoire d’Isobel Gunn est plus largement diffusée. En 1999, l’auteure canadienne Audrey Thomas publie le roman historique Isobel Gunn, basé sur cette histoire. Le documentaire The Orkney Lad: The Story of Isabel Gunn, de la réalisatrice canadienne Anne Wheeler , récipiendaire de plusieurs prix, sort en 2001.

Le travail d’Isobel Gunn à la CBH rompt avec les normes sociales et de sexe qui prévalent au sein de la Compagnie et de la société européenne de l’époque. Plus tard au cours du 19e siècle, l’acceptation des femmes européennes au Canada met en évidence le déclin de la traite des fourrures et la montée de la colonisation agraire.