Enfance et études
Jeanne Corbin est née en mars 1906 en France dans le village de Cellettes dans le département du Loir-et-Cher. Ses parents, Jean-Baptiste Corbin et Henriette Marguerite Louise Valpré sont propriétaires d’un petit vignoble. Toutefois, en 1911, à la suite de deux années d’intempéries, d’inondations et de très mauvaises récoltes, la famille Corbin décide de quitter la France et de s’établir au Canada. Ils s’embarquent sur le Lake Erie le 1er avril 1912 au Havre et arrivent le 12 avril au port de Saint-Jean au Nouveau-Brunswick. Ils prennent alors le train à destination de Lacombe, en Alberta. La petite famille se dirige ensuite au nord-est d’Edmonton, à Lindbrook (à 10 km du village de Tofield) où une terre de 160 acres leur a été concédée.
On en ignore la raison, mais ce n'est qu'à l'âge de 11 ans, en 1917, que Jeanne Corbin commence l’école primaire dans la petite école anglophone de Lindbrook. Ils sont 10 élèves de la première à la sixième année. En avril 1921, elle termine sa sixième année. Ses parents l'installent ensuite dans une pension à Edmonton où elle entreprend ses études secondaires, d'abord à l'école Westmount puis entre à l’école secondaire Victoria où elle entre en 1924 et obtient son diplôme de 12e année en juin 1926. Elle est alors âgée de 20 ans.
Son entrée dans le Parti communiste du Canada
Jeanne Corbin fréquente les Jeunesses communistes et adhère au Parti communiste du Canada dès l’âge de 18 ans. Edmonton est un terreau fertile pour l’implantation de ce parti. On y retrouve une importante population d’origine ukrainienne et les groupes de gauche se réunissent au sein de l’association Ukrainian Labor-Farmer Temple. Pendant ses études à l’école Victoria, Jeanne Corbin œuvre au sein de l’organisation des Jeunes pionniers qui regroupe les enfants de parents syndicalistes et des membres du Parti. Elle s’affaire également à vendre des abonnements pour le journal communiste The Worker de Toronto. Le 29 novembre 1925, dans la foulée d’une rencontre de Jeanne Corbin avec des jeunes pionniers, le directeur de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), Jos. Ritchie, ouvre un dossier à son nom. Il la qualifie alors de « dangereuse agitatrice communiste ».
En septembre 1926, Jeanne qui veut devenir enseignante s’inscrit à l’École normale de Camrose au sud d’Edmonton. Elle obtient son diplôme d’institutrice à la fin de l’année scolaire. Au cours de l’été 1927, elle travaille comme assistante de la directrice d’un camp de formation communiste au lac Sylvan (voir Sylvan Lake), dans le centre de l’Alberta. Il s’agit d’une école d’été offrant divers cours aux travailleurs et travailleuses en vacances. À la fin de la saison estivale, en dépit des directives de la GRC de ne pas engager cette militante communiste dans les écoles de la province, elle est embauchée comme institutrice à l’école Smoky Lake au nord de Tofield. Cependant, elle est congédiée en septembre 1928 après avoir fait ouvertement de l’éducation socialiste dans sa classe. Elle retourne à Edmonton et travaille à la librairie Labour News Stand qui vend des livres de gauche. Au cours de l’été 1929, elle travaille à l’organisation des femmes sans travail d’Edmonton et milite contre une éventuelle guerre face à l’URSS.
À l’automne 1929, elle quitte Edmonton pour Toronto où le Comité central du Parti communiste l’attend. À son arrivée, elle devient secrétaire pour la Ligue de défense ouvrière qui défend les travailleurs arrêtés lors des grèves ou des manifestations et ce, « quelles que soient leur affiliation politique ou syndicale, leur race, leur couleur ou leur nationalité ». Elle est elle-même arrêtée le 19 octobre 1929 lors d’une manifestation à Queen’s Park (dont elle est la meneuse), mais libérée dans la soirée après avoir payé un cautionnement de 1 000 dollars. La juge Margaret Patterson la condamnera à 30 jours de prison. Après avoir purgé les deux tiers de sa peine à la Ferme industrielle des femmes de Concord, elle est libérée sur ordre de la cour.
En 1930, tout en continuant son travail à la Ligue de défense ouvrière, Jeanne Corbin devient agente commerciale pour le journal The Worker, en remplacement de la militante Beckie Buhay. Les dirigeants du parti lui demandent de faire une tournée à travers le Canada afin de promouvoir le journal. En pleine crise économique, la tâche est difficile. Les chômeurs n’ont pas d’argent. Après plusieurs semaines, elle n’a recueilli que 126 dollars en nouveaux abonnements, 131,50 dollars en renouvellements et 148,68 dollars en dons. Chemin faisant, elle contribue à l’établissement d’une section francophone du Parti communiste de Saint-Boniface, au Manitoba.
Jeanne Corbin responsable du deuxième district du Parti à Montréal
En 1930, pour la remercier de son travail, le Parti communiste nomme Jeanne Corbin organisatrice du parti pour le deuxième district à Montréal. Elle doit convaincre les Canadiens français d’adhérer au Parti communiste. Elle a aussi comme mandat d’épauler ses collègues, les camarades francophones, qui sont peu nombreux au sein de l’organisation du parti. Pendant deux ans, elle cumule plusieurs fonctions, notamment celle relative à l’organisation syndicale. En février 1931, aux côtés d’Edmond Simard, Fred Rose, Don Chalmers, Tom Miller et des Jeunesses communistes, elle va diriger la grève de la Bruck Silk Mills, à Cowansville, et prêter ses talents d’organisatrice syndicale aux grévistes . Ces employés de l’industrie du textile débraient à la suite d’une réduction de leur salaire de 25 %. Par ailleurs, c’est principalement à Montréal que Jeanne Corbin travaille à l’organisation syndicale. Ainsi, elle tente avec beaucoup de difficultés de former un syndicat pour les travailleuses de l’aiguille. La situation financière du deuxième district et le manque d’effectifs nuisent à son efficacité. Dans le contexte de la crise économique, il est très difficile de mobiliser les ouvrières de cette industrie.
Lors de son séjour à Montréal, où elle cumule des tâches de traduction et de distribution de tracts et de brochures pour le parti, Jeanne Corbin poursuit son travail au Worker et dirige, à partir d’avril 1931, le journal francophone L’Ouvrier canadien pour lequel elle rédige quelques articles sous le pseudonyme de Jeanne Harvey. Elle tente alors de remettre sur pied ce journal qui a connu plus d’une fois des difficultés financières. Mais, après cinq numéros le journal disparaît en octobre 1931.
À Timmins et en Abitibi
En décembre 1932, le Comité central du parti demande à Jeanne Corbin de revenir à Toronto pour ensuite l’envoyer à Timmins, dans le Nord de l’Ontario, à titre de secrétaire de la Ligue de défense ouvrière. Cette région est un terreau fertile pour le parti, car le Nord de l’Ontario et la région québécoise voisine de l'Abitibi sont alors le théâtre des combats que mènent différents syndicats industriels. Les luttes se déroulent dans une région dont l’économie repose sur l’exploitation des ressources naturelles par une main-d’œuvre aux origines pluriethniques (des Canadiens français, des Canadiens d’origine britannique , finlandaise, ukrainienne ou polonaise), de langues et de cultures diverses. Francophone, ayant grandi parmi les immigrants de l’Ouest canadien, elle est la personne toute désignée pour cette fonction, qu’elle exercera pendant dix ans. Elle travaillera à l’organisation des travailleurs de cette région minière et forestière du Nord de l’Ontario et de l’Abitibi puisqu’elle est une des rares francophones dans le parti.
En décembre 1933, Jeanne appuie la grève des bûcherons de Rouyn en Abitibi, contre la Canadian International Paper (CIP). La police l’arrête le 11 décembre pour avoir, lors d’un discours au Temple du travail ukrainien « provoqué, excité et conseillé » les bûcherons afin qu’ils participent le lendemain à un attroupement illégal. Le juge Tardif la condamne et fixe son cautionnement à 1 000 dollars. Elle est accusée le 13 décembre d’avoir provoqué l’émeute qui a éclaté lors de cet événement et on exige une nouvelle caution de 2 500 dollars. La Ligue de défense ouvrière paie les cautions et elle est libérée en attendant son procès qui a lieu le 1er décembre 1934. Entre-temps, elle continue son travail. Elle est condamnée à trois mois de prison et purge sa peine à la prison de Ville-Marie en Abitibi.
À sa sortie de prison, Jeanne Corbin retourne à Timmins où elle poursuit son travail auprès du parti comme secrétaire de la Ligue de défense ouvrière du quatrième district. À partir de 1937, elle est la secrétaire du gérant de la Coopérative ouvrière de Timmins et loge au second étage du magasin. Elle s’occupe des approvisionnements, de l’inventaire et des achats.
En septembre 1939, son état de santé se détériore et elle consulte un médecin qui ne trouve rien d’alarmant. Elle souffre pourtant de douleurs abdominales, de migraines et de saignements de nez et ses amies du Parti, entre autres Annie Buller, Beckie Buhay, Isobel Ewen et Helen Burpee craignent le pire. Elle est probablement déjà atteinte de tuberculose. En novembre 1942, elle est hospitalisée au sanatorium Queen Alexandra à London, en Ontario, où l’on découvre que ses deux poumons sont atteints. Pendant 18 mois, elle se bat contre la maladie tout en continuant de s’informer de l’actualité politique. Elle lit de nombreux journaux et revues et écoute la radio. Elle reçoit la visite de quelques amis et correspond avec ses plus fidèles camarades.
Le 7 mai 1944, elle décède dans sa chambre en présence de l’infirmière. Elle est enterrée au cimetière Park Lawn de Toronto et une cinquantaine de personnes assistent à ses funérailles, parmi lesquelles les militants Tim Buck et Annie Buller. Seul un numéro, le 4427, gravé sur une petite pierre, marque l’emplacement de sa tombe.