Histoire de la problématique
L’insécurité alimentaire commence à être considérée comme un problème au Canada au début des années 1980, alors que la récession fait réaliser aux gens partout au pays que certains de leurs concitoyens ont faim. Pour répondre à ce besoin, des programmes caritatifs sont mis sur pied, notamment sous la forme de banques alimentaires, soit des organismes communautaires qui recueillent et redistribuent des denrées alimentaires. Bien qu’initialement prévues comme stratégies d’intervention d’urgence, les banques alimentaires augmentent rapidement en nombre, tout comme leur clientèle.
Mesure de l’insécurité alimentaire
L’augmentation du nombre d’organismes de charité alimentaires mène les chercheurs et les décideurs politiques à trouver des manières de mesurer adéquatement le nombre de Canadiens souffrant d’insécurité alimentaire. Bien que des sondages nationaux réalisés en 1994 et 1996 portent respectivement sur la faim et l’insécurité alimentaire, ce n’est qu’en 2004 que le Canada adopte un questionnaire standardisé, le Module d’enquête sur la sécurité alimentaire des ménages. Depuis son adoption, le suivi régulier de la population est réalisé dans le cadre de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes.
Le Module d’enquête sur la sécurité alimentaire des ménages utilisé au Canada est inspiré de celui créé par le département de l’Agriculture des États-Unis. Il est formé de 18 questions portant sur les 12 derniers mois. Les questions permettent d’évaluer la gravité de la situation des ménages. Elles portent notamment sur la crainte de manquer de nourriture, la baisse de qualité d’aliments consommés, la baisse de quantité d’aliments consommés, le fait d’avoir faim et, finalement, passer une journée complète sans manger, toutes ces situations dérivant de contraintes financières. Les questions évaluent séparément les expériences des adultes et des enfants. Selon les réponses au sondage, les ménages sont classés en quatre catégories : la sécurité alimentaire, définie par l’absence de problèmes d’accès à de la nourriture en raison de contraintes financières; l’insécurité alimentaire marginale, qui implique que les ménages ont eu quelques craintes ou problèmes quant à l’approvisionnement alimentaire au cours des 12 derniers mois; l’insécurité alimentaire modérée, qui signifie que la qualité ou la quantité d’aliments consommés était compromise pour les enfants ou les adultes; finalement, l’insécurité alimentaire grave, caractérisée par un important problème d’accès à la nourriture, y compris un apport alimentaire réduit en raison de manque d’argent.
Les données les plus récentes sur l’ampleur du problème au Canada proviennent de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2017-2018. Selon les résultats du sondage, 12,7 % des ménages souffrent d’insécurité alimentaire : 4 % d’insécurité marginale, 5,7 % d’insécurité modérée et 3 % d’insécurité grave. Ces pourcentages indiquent que l’insécurité alimentaire des ménages touche 4,4 millions de Canadiens, un nombre probablement sous-estimé. En effet, le sondage ne tient pas compte de groupes très vulnérables, comme les Premières Nations vivant dans des réserves ou les itinérants.
Personnes touchées par l’insécurité alimentaire
L’insécurité alimentaire est un grave problème partout au pays, mais c’est au Nunavut que le taux de personnes touchées est le plus élevé. En 2017-2018, 57 % des ménages du Nunavut souffraient d’insécurité alimentaire et 23,7 % d’insécurité alimentaire grave. Les taux d’insécurité alimentaire sont également plus élevés dans les autres territoires et dans les provinces maritimes que dans le centre et l’ouest du Canada. Toutefois, l’insécurité alimentaire touche au moins un ménage sur dix dans tous les territoires et provinces.
La prévalence de l'insécurité alimentaire des ménages au Canada, 2017-2018.
Source : PROOF, Food Insecurity Policy Research.
Le profil type des ménages souffrant d’insécurité alimentaire au Canada en 2017-2018 illustre la corrélation entre l’insécurité alimentaire et les difficultés sociales et économiques. Les personnes les plus à risque sont celles ayant un faible revenu et des actifs limités, comme celles qui sont locataires plutôt que propriétaires. Les ménages autochtones et noirs sont touchés de manière disproportionnée par l’insécurité alimentaire, tout comme les familles ayant des enfants et les ménages ayant recours à l’aide sociale, à l’assurance-emploi ou à des indemnités pour accident du travail. Bien que les risques soient plus élevés pour les ménages recevant un soutien au revenu, environ les deux tiers des ménages en situation d’insécurité alimentaire affirment que le travail représente leur source principale de revenu. Depuis le début du suivi, le profil type des ménages touchés par l’insécurité alimentaire a peu changé et les chiffres ont une tendance à la hausse.
L’insécurité alimentaire, un problème de revenu
L’insécurité alimentaire est bien plus que le manque de nourriture. Elle n’est pas liée aux connaissances sur la saine alimentation, le budget alimentaire ou la nourriture locale. En effet, les problèmes d’approvisionnement qui caractérisent l’insécurité alimentaire des ménages révèlent une grande privation matérielle. Les ménages touchés par l’insécurité alimentaire dépensent beaucoup moins que les autres ménages, et ce, pour toutes les catégories de dépenses : logement, vêtements, autres biens essentiels, investissements et dépenses discrétionnaires. Les personnes et les familles souffrant d’insécurité alimentaire sont plus à risque d’avoir un revenu insuffisant ou aléatoire, d’occuper un emploi précaire, de vivre dans un logement peu sûr et inférieur aux normes et de ne pas récupérer leurs médicaments sur ordonnance en raison de leur coût.
Effets de l’insécurité alimentaire sur la santé
L’insécurité alimentaire est un grave problème de santé publique au Canada puisqu’elle est intimement liée à la santé et au bien-être de chacun. Les mères souffrant d’insécurité alimentaire sont tout aussi enclines à allaiter que les autres, mais ne sont pas capables de le faire aussi longtemps, ce qui représente un grave problème pour les familles incapables d’acheter du lait maternisé. Pour les enfants, être exposé à une insécurité alimentaire grave (selon l’échelle des enfants) est lié à un moins bon état de santé et à un risque plus élevé de maladies chroniques plus tard dans la vie, comme l’asthme et la dépression. Les adultes vivant dans des ménages en situation d’insécurité alimentaire sont quant à eux plus à risque de souffrir de problèmes de santé physique et mentale, y compris la dépression et le diabète. La corrélation entre l’insécurité alimentaire et la santé est proportionnelle : plus l’insécurité alimentaire est grave, plus les adultes sont à risque d’avoir de graves problèmes de santé chroniques. L’insécurité alimentaire est également liée à un décès plus précoce chez les Canadiens adultes, soit en moyenne neuf ans plus tôt que pour les adultes en situation de sécurité alimentaire. Compte tenu des conséquences de l’insécurité alimentaire sur la santé, il n’est pas surprenant qu’elle représente un défi immense pour notre système de santé. Par exemple, pendant 12 mois en Ontario, les adultes d’un ménage en insécurité alimentaire grave coûtent en moyenne 2,4 fois plus au système de santé provincial que les personnes en situation de sécurité alimentaire.
Stratégies pour combattre la sécurité alimentaire
Les banques alimentaires ont été la première stratégie adoptée pour gérer l’insécurité alimentaire au Canada et sont encore aujourd’hui notre seule manière directe de lutter contre le problème. Toutefois, tout au plus 1 ménage dans le besoin sur 4 a recours à une banque alimentaire. Y faire appel est un dernier recours généralement utilisé par ceux qui souffrent d’insécurité alimentaire grave, mais même la majorité de ce groupe affirme ne pas les utiliser. De tels organismes ont également une capacité limitée pour répondre aux besoins de leurs usagers. La gestion de l’insécurité alimentaire et des difficultés financières qui s’y rattachent s’appuie donc plus généralement sur des stratégies personnelles, comme la demande d’aide auprès des amis et de la famille ou le non-paiement des factures.
Mesures politiques prometteuses
Le Canada abrite un réseau bien établi de programmes sociaux qui aident les personnes et les familles faisant face à des difficultés financières. Par exemple, il y a l’aide sociale, l’assurance-emploi, les prestations pour enfants et familles ainsi que les pensions de vieillesse. Bien que ces programmes ne soient pas conçus pour protéger les gens contre l’insécurité alimentaire, de plus en plus de données montrent que le montant reçu par l’entremise de ces programmes est un facteur important dans le niveau de sécurité alimentaire d’une personne. Tandis que la plupart des ménages profitant de programmes d’aide sociale vivent dans l’insécurité alimentaire, ceux qui reçoivent une pension enregistrent le plus faible taux au pays, ce qui s’explique en partie par le fait que les pensions offrent un revenu plus adéquat et régulier que l’aide sociale. De plus, une bonification des prestations pour enfants a permis de réduire la gravité de l’insécurité alimentaire chez les familles ayant des enfants. Le problème se manifeste également beaucoup moins chez les adultes à faible revenu dès qu’ils deviennent admissibles aux pensions de vieillesse publiques. De tels résultats incitent à se demander si offrir un revenu de base à tous les Canadiens exposés à l’insécurité alimentaire ne garantirait pas un revenu minimal permettant à chacun de subvenir à tous ses besoins de base, comme l’alimentation.