Éditorial

Les jardins de la Victoire

L'article suivant fait partie d'une exposition. Les expositions précédentes ne sont pas mises à jour.


Au cours de la Première et de la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement canadien encourage les citoyens à cultiver des potagers sur les terrains résidentiels et dans les espaces publics. Ces parcelles, connues sous le nom de « jardins de la Victoire », font en quelque sorte partie d’une initiative de mobilisation matérielle : plus les Canadiens cultivent de légumes, plus ils allègent la charge des trains et des camions de transport, qui peuvent transporter autre chose que des aliments. En 1944, c’est environ 209 200 jardins de la Victoire qui sont ainsi cultivés d’un bout à l’autre du pays.

Cette exposition s’appuie sur les recherches réalisées par Ian Mosby, auteur de Food Will Win the War et de l’article de l’Encyclopédie canadienne sur les jardins de la Victoire. Elle raconte l’histoire de Canadiens qui, armés de pioches et truelles, ont contribué à l’effort de guerre.

Le jardinier inexpérimenté

On retrouve surtout les jardins de la Victoire en ville. Les gouvernements, s’inquiétant de l’ignorance des citadins quant à la culture des légumes – on soupçonne que bon nombre d’entre eux ne pourraient distinguer une carotte d’un panais –, publient des brochures éducatives sur le sujet. Par exemple, le ministère de l’Agriculture de la Nouvelle-Écosse publie Gardening for Vim and Vitamins (Jardinage, énergie et vitamines) en 1943, tandis que le gouvernement de l’Ontario diffuse un ouvrage intitulé A Vegetable Garden for Every Home (À chaque foyer son potager) pendant la Première Guerre mondiale. Ces documents, renfermant une multitude de conseils sur l’ensemencement, la transplantation et l’arrosage, servent également à alimenter la propagande de guerre. « En ces temps incertains, alors que l’énergie de chacun est consacrée à la cause de la justice et du droit, proclame-t-on en première page de la brochure de l’Ontario, il revient aux citoyens de nos villes et villages de veiller à notre approvisionnement en légumes. »

Les brochures contiennent notamment une liste des types de légumes suggérés pour les jardins à la maison. Entre autres :

Hommes, à vos pioches!

Office national du film du Canada, 1943 (en anglais seulement)

Symbolisme

Prévus à l’origine comme une activité productive visant à accroître la quantité d’aliments disponibles en temps de guerre, les jardins de la Victoire joueront plutôt un rôle symbolique et patriotique encore plus fort. « Du point de vue moral, écrit Mosby, les jardins de la Victoire associent un travail domestique sain et familier à l’effort de guerre au sens large; tous les membres de la famille sont impliqués, et leurs efforts sont bien visibles à tous les amis et voisins. »

Entre les deux guerres mondiales, on fait également la promotion du jardinage communautaire au cours de la Crise économique mondiale. Surnommés « jardins d’appoint », ces potagers sont plus nombreux que pendant la Deuxième Guerre mondiale, quelques années plus tard. En 1943, par exemple, les terrains publics de Toronto réservés aux jardins de la Victoire ne représentent que 50 % de tous les terrains cultivés pour les jardins d’appoint, tandis qu’à Québec, ils représentent plutôt 25 % du total. Comme c’est le cas pour les jardins de la Victoire, les jardins d’appoint jouent un rôle à la fois pratique et symbolique. Ces jardins, en donnant aux chômeurs un sentiment d’accomplissement, remontent le moral de la population tout en atténuant les pénuries alimentaires. La crainte d’une famine, toutefois, est beaucoup plus vive pendant la crise économique qu’au cours de la Deuxième Guerre mondiale; c’est peut-être pour cette raison que les efforts de jardinage communautaire sont plus intenses durant les années 1930.

Au XXIe siècle, certains observateurs affirment que le mouvement locavore, à la hausse depuis le début des années 2000, s’inspire de certains aspects des jardins d’appoint et des jardins de la Victoire. Pour plusieurs, des épinards Victoria plantés dans une cour arrière ou une vigne de pois Little Marvel perchée au sommet d’une tour d’habitation constituent autant de manières de rapprocher la production alimentaire du domicile, tout en appuyant les pratiques agricoles locales et durables.