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La bataille de la côte 70 et l’indépendance canadienne

La guerre d’indépendance du Canada a lieu dans le cadre de la Première Guerre mondiale. Contrairement aux États-Unis, le Canada ne lutte pas pour son indépendance contre la mère patrie, mais à ses côtés, d’abord à titre de colonie britannique, puis, à la fin de la guerre, comme allié. Le Canada est redevable aux performances remarquables du Corps canadien et de son premier commandant canadien pour ses gains en autonomie.

Crète de Vimy

La bataille de la crête de Vimy, qui débute le 9 avril 1917, est bien connue des Canadiens. Elle constitue la première action impliquant les quatre divisions du Corps canadien. À l’époque, le Corps est commandé par le lieutenant-général britannique Julian Byng, qui devient plus tard le commandant de la 3e Armée britannique (il occupe aussi le mandat de gouverneur général du Canada dans les années 1920, sous le titre de lord Byng de Vimy).

Le commandant de division sous Julian Byng est le major-général Arthur Currie, qui joue un rôle de premier plan dans la planification de l’action à Vimy. Grâce à sa préparation méticuleuse, les récentes avancées technologiques et un leadership indéfectible, le Corps canadien vainc là où les troupes françaises ont failli deux fois auparavant. Par les temps qui courent, les bonnes nouvelles se font rares. La victoire canadienne à Vimy reçoit donc une attention toute spéciale. Elle revêt depuis pour les Canadiens une importance iconique, parce qu’elle a profondément changé l’attitude du Canada durant la guerre, en plus de préparer la voie pour les étapes à venir.

La victoire, faut-il le préciser, n’est pas canadienne à part entière. En effet, peu nombreux sont les gens qui savent que, sur les 170 000 alliés à Vimy ce jour-là, on ne compte qu’environ 97 000 têtes canadiennes. D’une certaine façon, il s’agit plutôt d’une bataille menée par l’Angleterre, mais soutenue par un stratège et un grand nombre de soldats canadiens.

Refus d’exécuter les ordres

Deux mois après l’assaut de la crête de Vimy, Arthur Currie est nommé aux commandes du Corps canadien. Un mois plus tard, il reçoit l’ordre de conquérir la petite ville industrielle de Lens, un peu au nord de Vimy. Arthur Currie refuse. S’il n’avait été qu’un commandant britannique nouvellement promu, il aurait probablement été promptement renvoyé. Or, c’est tout le contraire qui arrive : le général Byng et le feld-maréchal Haig, commandant des forces armées britanniques sur le front ouest, sont du même avis qu’Arthur Currie, convenant qu’il est préférable de repenser leur stratégie.

La raison de ce regimbement? Après avoir étudié la situation, Arthur Currie arrive à la conclusion que Lens est une véritable zone d’abattage en leur défaveur, parce que surplombée au nord-ouest par l’artillerie allemande. De cette colline, les artilleurs allemands peuvent voir toute la plaine de Douai, bassin minier à l’est de la crête de Vimy. Arthur Currie avance que le fait de conquérir les terrains élevés d’abord constituerait un avantage de taille.

L’idée du Canadien est retenue. Trois jours plus tard, il reçoit de nouveaux ordres : capturer les terrains élevés au nord-ouest de Lens, qu’on nomme éventuellement la côte 70.

Bataille de la côte 70

Entre le 15 et le 18 août 1917, trois divisions du Corps canadien (la quatrième étant en réserve) défont cinq divisions allemandes et prennent possession de la côte 70. Le Corps accuse une perte de 3 500 hommes, sans compter les 2 200 autres tombés au combat lors de la contre-attaque des Allemands. Néanmoins, grâce à leur stratégie de défense intelligente et innovante, les Canadiens tiennent bon. À ce jour, on ignore encore l’ampleur des pertes allemandes, mais on estime que ce chiffre pourrait dépasser les 20 000 têtes.

La bataille n’est pas de tout repos et six Canadiens reçoivent la croix de Victoria pour leurs actions sur la côte 70. À titre comparatif, seulement quatre soldats reçoivent cette récompense pour leur bravoure sur la crête de Vimy. Cette suite de victoires vaut à Arthur Currie un nouveau statut. Son jugement exceptionnel est reconnu par tous et les commandants le traitent avec déférence. Du jour au lendemain, le Corps canadien devient une armée nationale à part entière plutôt qu’une quelconque unité de l’Armée britannique.

Armée nationale

Dans les mois qui suivent, Arthur Currie refuse que ses divisions combattent en sous-effectif, une situation pourtant courante dans les divisions britanniques. Il refuse même que des bataillons canadiens servent de renfort aux unités britanniques qui souffrent, comme toutes les armées alliées d’ailleurs, d’un cruel manque d’hommes.

Le Corps canadien est à l’époque plus imposant et plus puissant que la plupart des armées britanniques, chacune des quatre divisions canadiennes comptant environ 70 % plus d’effectifs que les divisions britanniques. La dernière année de la guerre, Douglas Haig offre encore plus de force aux 156 000 hommes du Corps canadien en plaçant des divisions britanniques additionnelles sous l’autorité d’Arthur Currie.

Véritable moment décisif pour le Corps canadien, la victoire de la côte 70 fait d’Arthur Currie le commandant d’une armée nationale.

L’importante décision qu’Arthur Currie prend et maintient du 7 au 10 juillet 1917, selon laquelle les Canadiens devraient attaquer la côte 70 plutôt qu’assaillir de plein front la ville de Lens, s’est révélée être un tremplin pour l’indépendance du Canada. L’obstination et la sagesse de cet ancien enseignant, gestionnaire d’une entreprise d’assurances et spéculateur en immobilier auraient pu grandement nuire aux intérêts du Canada. Il va sans dire que l’audacieux choix de protéger ses hommes n’aurait sans doute pas été félicité si les événements du 15 au 18 août 1917 ne s’étaient pas soldés en victoire pour les Canadiens. En fin de compte, ce triomphe accélère grandement l’indépendance du Canada.

Arthur Currie et Robert Borden

Les succès du Corps canadien, débutant à la côte 70 et culminant avec la bataille d’Amiens (et, éventuellement, la campagne des Cent Jours), permettent au Canada d’obtenir une reconnaissance d’envergure et un degré d’autonomie sans précédent pour ses forces sur le front ouest.

Cette nouvelle autorité renforce la main du premier ministre Robert Borden à un point tel que, durant les négociations du Traité de Versailles à la fin de la guerre, le Canada est représenté de façon autonome. Tout au long de la guerre, le premier ministre joue un rôle primordial : il ouvre d’abord la voie en exigeant que le Corps canadien ait un rôle distinctif, pour ensuite exploiter les succès d’Arthur Currie et faire avancer la cause de l’indépendance du pays. En cela, les sphères militaire et politique gravitaient en parfaite harmonie.


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