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La lutte des chauffeurs de taxi haïtiens contre le racisme des années 1970 et 1980 à Montréal

Les chauffeurs de taxi haïtiens à Montréal ont dû mener des luttes acharnées pour se faire accepter dans l’industrie du taxi. Ils ont dénoncé le racisme qui sévissait dans cette industrie et ont revendiqué leur droit de travailler en tant que chauffeurs de taxi. Leurs luttes portent fruit. Certaines compagnies de taxi sont condamnées à verser des amendes. De plus, les chauffeurs intègrent finalement avec plus de facilité l’industrie du taxi au cours des années 1980. (Voir Racisme anti-Noirs au Canada.)

Contexte

Au cours des années 1970, le nombre de chauffeurs de taxi haïtiens à Montréal augmente de façon importante. Alors qu’on en compte quelques dizaines en 1974, il s’élève entre 300 et 400 en 1978. En 1982, le nombre de chauffeurs haïtiens se situe entre 800 et 1200 ce qui représente 10 % des chauffeurs de taxi montréalais. Cette nouvelle présence nombreuse de chauffeurs noirs crée un certain malaise au sein de l’industrie du taxi et de la population québécoise.

Marqué par une crise économique, le début des années 1980 connaît un taux de chômage important et la concurrence dans l’industrie du taxi est particulièrement élevée. Le contexte est donc difficile : les personnes immigrantes sont considérées comme des « voleuses de jobs ».

Discrimination contre les chauffeurs de taxi noirs

La discrimination à l’égard des chauffeurs de taxi haïtiens remonte, sans doute, à la fin des années 1970. Un article publié dans Le Journal de Montréal (voir Québecor inc.) en 1977 rapporte qu’une compagnie de taxi, Expo de Montréal, refuse d’employer une trentaine de chauffeurs d’origine haïtienne en raison du fait qu’ils sont noirs. (Voir Communautés noires au Canada.)

Des plaintes sont formulées par le public auprès de Transport Canada au cours de la même période concernant les chauffeurs haïtiens. Suite à ces plaintes, un grand nombre de chauffeurs haïtiens sont interdits à l’aéroport de Dorval. En juin 1982, une compagnie de taxi, SOS Taxi, congédie une vingtaine de ces chauffeurs. La raison invoquée porte sur l’insatisfaction de la clientèle à cause d’une trop forte présence de Noirs et du refus de certains chauffeurs blancs de travailler avec des collègues noirs. Ces derniers tiennent d’ailleurs les chauffeurs noirs responsables des difficultés économiques de l’industrie du taxi.

Le militantisme des chauffeurs haïtiens

Pour intégrer l’industrie du taxi, les chauffeurs haïtiens doivent lutter. En 1982, ils fondent un organisme appelé l’Association haïtienne des travailleurs de taxi.

En mars 1983, l’organisme publie ses objectifs qui consistent à défendre les intérêts de ses membres, informer le public, amener le gouvernement à prendre les mesures appropriées et essayer d’atténuer les problèmes qui existent entre les chauffeurs de différentes origines.

Pour intégrer l’industrie du taxi, l’Association lutte sur différents fronts. Elle organise des manifestations et des piquets de grève. En juillet 1982, la Commission des droits de la personne met sur pied une enquête et des audiences publiques et la Ligue des droits et libertés aide les chauffeurs haïtiens à préparer et à déposer leurs témoignages aux audiences. Publié en 1984, l’imposant rapport de la Commission dresse un portrait accablant de la « discrimination systémique » dans l’industrie du taxi.

D’autres organismes communautaires prennent également position. Le Bureau de la Communauté Chrétienne des Haïtiens de Montréal (BCCHM), le Comité régional du Congrès national des femmes noires, la Maison d’Haïti et le Comité de promotion des minorités se lancent dans la campagne de dénonciation du racisme dans l’industrie du taxi.

Ces luttes connaissent un certain succès. En décembre 1984, deux compagnies de taxi sont condamnées à verser une amende maximale de 500$ plus 2 500$ de frais. En mars 1985, un comité de surveillance est créé. Il a pour objectif de lutter contre le racisme dans l’industrie du taxi. Ce comité est soutenu par le ministère du Transport et celui de l’Industrie et du Commerce. Il est également appuyé par le Bureau de taxi de la ville de Montréal, le BCCHM, la Ligue des droits et liberté et des associations des chauffeurs de taxi. Néanmoins, le combat contre le racisme dans le taxi continue jusqu’à la fin des années 1980.