Le Théâtre du Rideau Vert
Le Théâtre du Rideau Vert (ce nom est délibérément choisi pour conjurer le sort traditionnellement associé au vert, couleur honnie au théâtre), la plus ancienne compagnie théâtrale professionnelle au Québec (et la deuxième au Canada après le CERCLE MOLIÈRE), est fondé le 30 novembre 1948 par deux femmes. La direction artistique du Théâtre du Rideau Vert est assumée par la comédienne Yvette Brind'Amour jusqu'à son décès, en 1992, puis par le metteur en scène Guillermo de Andrea. Quant à la direction générale et administrative, elle est assurée depuis la fondation par Mercedes Palomino. En 1997, l'acteur Serge Turgeon se joint à l'équipe à titre de directeur général adjoint.
Dès le début, le Rideau Vert connaît des moments difficiles. Malgré un esprit contestataire, la jeune compagnie offre d'abord une image manquant de cohérence. Théâtre de boulevard (comédies légères), comédies dramatiques et distributions éclectiques sont au programme pendant les premières années. La première pièce, Les Innocentes (v.f. de The Children's Hour, de Lillian Hellman), est bien reçue par un public restreint. Puis elle est suivie, en février 1949, par un succès parisien, la comédie légère K.M.X. Labrador de Jacques Deval, qui élargit le public et laisse entrevoir un style plus affirmé. Ces deux premières pièces sont mises en scène par Yvette Brind'Amour.
Le Rideau Vert ne présente que cinq pièces au cours des trois premières saisons mais, en 1950, il propose une première « création canadienne » intitulée Saint-Innocent, écrite par Annie Dubreuil. En fait, il s'agit d'un canular et le véritable titre de la pièce est Maire et Martyr, une comédie intelligente à propos de la vie politique municipale écrite et mise en scène par Loïc Le Gouriadec. L'auteur, d'origine française, également connu sous le pseudonyme de Paul Gury, est l'époux d'Yvette Brind'Amour. À la fois comédien, producteur de spectacles de variétés, auteur de mélodrames et metteur en scène improvisé au service de la compagnie théâtrale, il sait mettre à profit ses multiples talents pour donner au Rideau Vert une crédibilité jusque-là absente. Il affirme être le « parrain » de la compagnie. Quant à la directrice artistique, elle fait une forte impression, en février 1951, dans le rôle-titre d'Ondine, de Giraudoux, mais la pièce, à cause de la faiblesse des moyens et du reste de la distribution, est tout de même considérée comme un échec.
Ni le retour au théâtre de boulevard, avec Sincèrement de Michel Duran, ni une inégale Antigone de Jean Anouilh, où seule brille Yvette Brind'Amour dans le rôle-titre, ne peuvent empêcher l'inévitable : la compagnie doit interrompre ses activités de 1952 à 1956.
Comme le Rideau Vert est sans lieu fixe, ses premières productions sont présentées à Montréal dans divers endroits, comme au Théâtre des Compagnons de saint Laurent, rue Sherbrooke Est, et au Gesù (pour Ondine et Sincèrement, cette dernière dans une version épurée par la censure des jésuites). Toutefois, il frappe un grand coup avec sa première « vraie » création canadienne : Sonnez les matines, de Félix LECLERC, pittoresque comédie populaire mal reçue par la critique, mais qui attire 15 000 spectateurs à l'immense Monument-National, à partir du 16 février 1956. La compagnie joue aussi dans la petite salle de l'Anjou (90 places) avant de s'installer définitivement, en 1960, dans le Stella, rue Saint-Denis. Cette salle, qui a longtemps abrité le cinéma Chanteclerc, est rénovée en 1968 et en 1992, la dernière transformation portant sa capacité à 426 places.
Depuis 1960, le Rideau Vert présente de 7 à 10 spectacles par saison et alterne, avec un déroutant éclectisme, les comédies légères parisiennes (de Roussin, de Marcel Achard et de Barillet et Grédy), les drames (de Sartre, d'Anouilh, de Tchekhov, de Garcia Lorca et de Pirandello), les classiques (de Molière, de Marivaux, de Musset ou de Shakespeare), les pièces d'auteurs d'avant-garde (Beckett, Duras, Ionesco). Dans un tel contexte, il n'est pas étonnant que la direction accepte de courir le risque de créer Les Belles-Sœurs, de Michel TREMBLAY, le 28 août 1968. Immense succès populaire, la pièce suscite de fortes réactions et contribue à l'élargissement du public du Rideau Vert, et du théâtre québécois tout entier. C'est aussi au Rideau Vert ou en coproduction avec ce théâtre que Tremblay monte Albertine, en cinq temps (1984), Le Vrai Monde (1987) et Encore une fois, si vous le permettez (1998), tous des succès souvent repris et traduits.
Plusieurs autres auteurs québécois connaissent la faveur du Rideau Vert, dont Françoise LORANGER, Marie-Claire BLAIS, Marcel DUBÉ, Gratien GÉLINAS et surtout Antonine MAILLET qui, depuis La Sagouine (octobre 1972), en devient l'auteure attitrée. Elle y fait jouer presque toutes ses pièces et traduit ou adapte plusieurs œuvres de Shakespeare.
De 1967 à 1978, le Rideau Vert est l'une des premières compagnies professionnelles importantes à s'intéresser au théâtre pour enfants : 12 productions voient le jour au cours des 4 premières saisons. Le coup d'envoi se fait avec l'Oiseau bleu, de Maurice Maeterlinck, pièce reprise chaque année, pendant les vacances de Noël, jusqu'à la saison 1970-1971, au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts. Parmi les œuvres pour enfants produites par le Rideau Vert, notons aussi Alice au pays des merveilles, des contes de Perrault et des frères Grimm, des textes de Roland Lepage et de Marcel Sabourin, sans compter les spectacles des marionnettistes Pierre Régimbald et Nicole Lapointe. Le directeur de la section jeunesse, André Cailloux, accueille les enfants le week-end, mais également pendant la semaine, dans le cadre de matinées scolaires.
Peu de temps après son installation au Stella, le Rideau Vert commence à faire des tournées à l'étranger, phénomène rare parmi les compagnies jouissant d'une activité régulière. Il organise des tournées à Paris, à Moscou, à Leningrad et à Rome, de 1964 à 1969, pour y présenter Une maison... un jour, de Françoise Loranger, le Songe d'une nuit d'été de Shakespeare, l'Heureux Stratagème de Marivaux (notamment au Théâtre des Nations, à l'invitation du ministre de la Culture de France, André Malraux) et Hedda Gabler d'Ibsen, pièce qui reçoit la médaille Premio Roma, à Rome, en 1969. La Sagouine est aussi jouée par l'actrice Viola Léger au Théâtre de la Compagnie Renaud-Barrault, à Paris, en 1976 et, avec deux autres pièces d'Antonine Maillet, au Festival d'Avignon, en 1978.
Par ailleurs, l'actrice française Madeleine Renaud vient à Montréal pour jouer Oh! les beaux jours, de Beckett, en 1967, puis revient avec Claude Dauphin et Michael Lonsdale pour jouer L'Amante anglaise, de Marguerite Duras, en 1972. Le metteur en scène russe I. M. Raevsky, directeur du Théâtre d'Art de Moscou, et l'Italien Giovanni Poli, du Théâtre de l'Avogaria de Venise, viennent aussi y monter Les Trois Sœurs de Tchekhov, en 1966, et Barouf à Chioggia de Goldoni, en 1971.
Sur le plan visuel, l'image de la compagnie doit beaucoup au concepteur de costumes François BARBEAU, qui y livre des travaux éblouissants depuis 1961. Malgré son éclectisme souvent critiqué et son penchant pour des comédies légères qui ont connu du succès à Paris, Londres ou New York, le Rideau Vert a plusieurs grandes réalisations à son actif en plus de pouvoir compter sur un public fidèle au cours des cinquante dernières années.