Éditorial

Le vrai Winnie l'ourson

L'article suivant fait partie d'une exposition. Les expositions précédentes ne sont pas mises à jour.


Dans cette exposition, l’auteur pour enfants Lindsay Mattick nous transporte au travers des archives de sa famille, qui racontent la vraie histoire de comment une ourse orpheline de White River, en Ontario, est devenue une inspiration pour des millions d’enfants partout au monde. Harry Colebourn, l’arrière‑grand‑père de Lindsay Mattick, est au cœur de cette histoire.

Alors qu’il part pour combattre en Europe lors de la Première Guerre mondiale en 1914, Harry Colebourn achète une bébé ourse noire à un chasseur, à White River. Il la surnomme Winnie en hommage à sa ville natale (Winnipeg) et s’en occupe lors de son séjour à Valcartier, au Québec, où l’Armée canadienne organise ses brigades d’infanterie avant qu’elles ne traversent l’océan jusqu’à la plaine Salisbury, en Angleterre, où les soldats canadiens se forment au combat. Toutefois, lorsque Harry Colebourn, qui sert dans le Corps vétérinaire royal, est appelé au front, il amène Winnie au zoo de Londres afin de garantir sa sécurité. Là, sa bonhomie séduit et fait rêver de nombreux visiteurs, notamment l’auteur A. A. Milne et son fils, Christopher Robin.

Journal de Harry Colebourn

Le fonds documentaire

Mon grand‑père, Fred, le fils de Harry, a vraiment été l’historien de la famille. C’est lui qui a rassemblé ce fonds documentaire. Pour être honnête, tout cela est un peu arrivé par hasard. À la fin des années 1980, un article paru dans le Calgary Herald écrivait que Winnie avait appartenu à un régiment basé à Edmonton. En lisant cela, mon grand‑père s’est exclamé : « Attendez une seconde, les choses ne se sont pas du tout passées comme ça! Ce n’était pas un régiment basé dans l’Ouest, c’était un régiment de Winnipeg, le Fort Garry Horse, et l’ourse dont il est question était celle de mon père. »

À partir de ce moment‑là, il a passé en revue toutes les photographies de son père et ses journaux de guerre pour commencer à documenter l’histoire des rapports entre Harry et l’ourse et, petit à petit, un récit étonnant a commencé à se constituer. Il a vraiment investi beaucoup d’efforts pour rassembler minutieusement ces archives et documenter, en s’appuyant sur des sources primaires, les « relations » de son père.

Le journal de Harry

Journal de Harry Colebourn

La partie la plus importante de cette histoire, ce sont certainement les journaux de Harry, qu’il a tenus pendant toutes les années de guerre. Dans le journal de l’année 1914, année du début de la Première Guerre mondiale, il note, à la date du 24 août : « Ai quitté Port Arthur à 7 h. À bord du train toute la journée. Ai acheté une ourse pour 20 $. » Nous connaissons donc la date exacte, il y a maintenant plus de 100 ans, à laquelle il a acquis Winnie, ce qui, à mes yeux, est proprement incroyable : il est, en effet, très rare de disposer d’un témoignage écrit direct de ce type d’événement.

La première fois que j’ai eu la chance de tenir ce journal dans mes mains, comment dire... j’en ai senti tout le poids! C’est un peu comme si tout avait commencé à cet endroit et à ce moment‑là!

Chaque fois que mon arrière‑grand‑père était en permission, il rendait visite à son oursonne. Mais la deuxième entrée du journal, probablement la plus importante pour cette histoire, c’est lorsqu’il écrit, à la date du 9 décembre 1914 : « Ai amené Winnie au zoo de Londres. » C’est ainsi qu’à cette date, après avoir été ramenée par mon arrière‑grand‑père de White River en Ontario jusqu’à Winnipeg, Winnie a commencé un nouveau périple. Pour moi, ce journal est vraiment le cœur de ce fonds documentaire. Il relate de nombreux événements survenus pendant la guerre qui sont sûrement beaucoup plus importants que l’histoire de Winnie, des événements qui, à ce moment‑là, ont certainement eu, aux yeux de mon arrière‑grand‑père, une portée beaucoup plus cruciale; il est toutefois intéressant de noter que, s’inscrivant dans le cadre du déroulement de la grande Histoire, ces anecdotes sur l’oursonne prennent beaucoup plus de relief.

« L’animal familier »

Il la nourrit vraiment! Je ne sais pas exactement ce qu’il lui donne à manger, mais il porte littéralement la main à la bouche de Winnie. Cette photo témoigne donc de la grande confiance qui existait entre l’homme de la photo et l’ourse. Je ne sais pas exactement à qui appartient ce bras, c’est peut‑être celui de Harry, c’est peut‑être celui d’un autre soldat; mais, le plus marquant, c’est l’espèce d’espièglerie qui émane de cette photo de Winnie. D’ailleurs, on pourrait sans problème imaginer un chien ou un chat sur l’image, des animaux familiers qui dégagent naturellement ce sentiment de confiance et d’espièglerie, à la place d’une ourse.

Harry nourrit Winnie

Harry Colebourn nourrit Winnie

Cette photo de Harry et Winnie était collée à l’intérieur de l’exemplaire de Winnie-the-Pooh dont mon grand‑père, Fred, m’a fait cadeau lorsque j’avais 12 ans. Au dos de la photo, Harry avait écrit : « Moi et l’ourse Winnie. Winnie se trouve maintenant au zoo de Londres, mais, un jour, elle reviendra avec moi au Canada. Amitiés à tous, 'Arry. »

J’aime cette photo et je suis très heureux que nous puissions lire les mots de mon arrière‑grand‑père inscrit au dos montrant combien il aimait sa petite ourse. Pour lui, c’était vraiment un animal familier et il n’y avait aucun doute qu’il la ramènerait chez lui; évidemment, aujourd’hui, nous savons que les choses ne se sont pas passées comme ça. Beaucoup de tendresse émane de cette image où il la nourrit. Son visage semble embelli sous l’emprise d’une véritable affection, c’est ce qui me fait apprécier tout particulièrement cette photo.

Harry Colebourn et Winnie

Cette photo est probablement le cliché le plus connu de Harry et Winnie. C’est une photo d’eux sur la plaine de Salisbury. Il semble être en train de la nourrir. Je pense qu’il s’agit d’une pomme ou de quelque chose de ce genre. Cette photo a été utilisée pour sculpter la statue de Harry et Winnie dont un exemplaire se trouve à Winnipeg et l’autre à Londres. C’est une superbe photo, car, selon moi, elle montre une certaine tendresse dans leurs relations. Il est évidemment très à l’aise avec Winnie. Le fait qu’il l’alimente directement, qu’il s’agisse d’une pomme ou d’autre chose, montre qu’il n’a pas de crainte et qu’il considère que cette bête qu’il a éduquée n’est plus un animal sauvage.

Winnie avec la deuxième brigade d’infanterie canadienne

Winnie avec la 2e Brigade d’infanterie canadienne

Pour distinguer Winnie sur ce cliché, il faut vraiment regarder de plus près. Il s’agit d’une photo de Harry et de son régiment sur laquelle on peut voir l’oursonne, qui semble vraiment minuscule et qui devait donc être très jeune, assis sur les genoux de l’un des soldats qui n’est pas mon arrière‑grand‑père. Bien entendu, nous disposons de toutes ces images emblématiques de Harry et Winnie, mais ce cliché montre bien que le jeune animal entretenait des relations avec de nombreux soldats du régiment de mon arrière‑grand‑père. La voir assise en compagnie d’un autre soldat sur cette photo en dit long, je crois, sur le fait que, comme on peut l’imaginer, Winnie apportait à ces hommes pas mal de joie pendant une période pleine d’incertitudes.

Fiche d’enregistrement d’un animal

Il s’agit de la fiche d’enregistrement d’un animal provenant de la Zoological Society of London. Fondamentalement, il s’agit de la fiche remplie par le zoo lorsqu’il entrait en possession d’un nouvel animal. Voici ce qui est inscrit : ours noir; appelé Winnie; il s’agit d’une femelle; vient de White River en Ontario; arrivé le 9 décembre 1914. La fiche ne mentionne pas que l’animal a été acheté par le capitaine Harry Colebourn du Corps vétérinaire royal canadien.

À l’image du journal qui prouve que l’ourse appartenait à mon arrière‑grand‑père qui l’avait achetée d’un chasseur, cette fiche témoigne de la date à laquelle il l’a laissée dans sa nouvelle maison, là où Winnie allait rencontrer toutes sortes de visiteurs, des milliers de visiteurs, parmi lesquels évidemment A.A. Milne et Christopher Robin, qui allaient changer sa destinée.

Synthèse sur les ours noirs

Le fonds documentaire comprend plusieurs photos d’autres soldats en compagnie d’ours noirs. On peut supposer qu’il s’agit de Winnie; toutefois, il est certain que de nombreuses mascottes durant la Première Guerre mondiale étaient des ours noirs qui ont ensuite été donnés au zoo de Londres. Je ne suis donc pas complètement sûr de l’identité de cet ours.

Le fonds documentaire inclut un document de synthèse rédigé par mon grand‑père recensant tous les ours noirs présentés au zoo pendant la première année de la guerre. Winnie est le premier sur la liste et semble avoir été amené au zoo le 9 décembre. La liste mentionne ensuite trois autres ours, en réalité quatre, en succession rapide : un le 9 janvier, un le 8 février et un le 7 mai (à cette date, le zoo a en fait reçu deux ours).

Winnie au zoo de Londres

Winnie au zoo de Londres

Nous avons donc deux photos, dans le fonds documentaire, montrant Winnie au zoo de Londres. Sur l’une d’entre elles, elle se tient debout sur les pattes de derrière, ce qui permet de mieux appréhender les caractéristiques de l’enclos dans lequel elle vivait. La deuxième, qui est évidemment relativement célèbre, je crois d’ailleurs qu’elle appartient aujourd’hui à la BBC, est une photo prise aux environs de 1925 montrant le jeune Christopher Robin avec Winnie qui est âgée, à cette époque‑là, d’environ 11 ans. C’est donc un animal adulte assez imposant, presque aussi grand que le garçon lui‑même, ce qui, encore une fois, est assez remarquable. Christopher se tient à côté de Winnie et semble la nourrir avec quelque friandise. Cette image nous permet de mieux appréhender la façon dont A.A. Milne, témoin de cette relation particulière entre son fils et un animal sauvage, a pu se nourrir, en tant qu’auteur, de la profondeur du lien qui existait entre eux.

Dévoilement de la statue

Ce cliché a été pris le 6 août 1992 lors du dévoilement de la statue de Harry et de Winnie au zoo du parc Assiniboine à Winnipeg. La sculpture a été réalisée par un artiste vivant à Saskatoon, du nom de Bill Epp, qui s’est servi, pour réaliser son œuvre, de cette photo bien connue emblématique de la relation entre Harry et Winnie. J’ai eu la chance de dévoiler cette statue avec mon jeune frère et six cousins.

Mon grand‑père, Fred, a fait d’énormes efforts pour veiller à ce que la relation entre son père et Winnie soit non seulement connue et documentée, mais que leur mémoire soit également honorée. On a véritablement eu vent de cette histoire à la fin des années 1980 et il a fallu plusieurs années pour pouvoir collecter les fonds nécessaires pour construire cette statue à Winnipeg. Une autre sculpture identique se trouve maintenant au zoo de Londres.