Il y a 40 ans, le Canada accueillait ses premiers réfugiés en provenance du Viêt Nam, du Cambodge et du Laos. Après le retrait des troupes américaines du Viêt Nam en mars 1973, l’Asie du Sud-Est continentale (l’ancienne Indochine) est laissée à la merci des forces révolutionnaires de la région. Lorsqu’il devient évident que les communistes du Nord vont envahir le Viêt Nam du Sud, un grand nombre de Vietnamiens tentent de fuir le pays. Le Canada en accueille 6 500 en 1975 et en 1976 à titre de réfugiés politiques.
Une deuxième vague afflue à partir de 1979 alors qu’on assiste à l’arrivée d’un groupe de réfugiés sud-vietnamiens ayant souffert des conditions de vie horribles sous le nouveau régime. Touchés par la situation désespérée de centaines de milliers de personnes qui fuient la région en prenant la mer sur des embarcations de fortune menaçant à tout moment de couler, de nombreux Canadiens offrent de parrainer leur voyage jusqu’au pays. Le gouvernement permet alors à un premier contingent de 60 000 réfugiés d’entrer au Canada. Parmi eux se trouvent de nombreux ressortissants du Cambodge et du Laos qui ont fui par terre ou par mer leurs pays désormais sous le joug des Khmers rouges ou du Pathet Lao.
Cet accueil généreux et sans précédent des Canadiens a été récompensé le 13 novembre 1986 par la Médaille Nansen du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). C’est l’unique fois où cet honneur a été décerné à une nation tout entière.
En retour, les Vietnamiens, les Cambodgiens et les Laotiens ont enrichi de diverses manières la société canadienne. Cette exposition souhaite raconter leur histoire et souligner leur contribution tout en portant un regard rétrospectif sur l’histoire complexe du Canada en matière d’accueil des réfugiés.
Quand j’ai vu les premiers bancs de neige à travers le hublot de l’avion à l’aéroport de Mirabel, je me suis aussi sentie dénudée, sinon nue. Malgré mon pull orange à manches courtes acheté au camp de réfugiés en Malaisie avant notre départ pour le Canada, malgré mon chandail de laine brune tricoté à grosses mailles par des Vietnamiennes, j’étais nue. Nous étions plusieurs dans cet avion à nous ruer vers les fenêtres, la bouche entrouverte et l’air ébahi. Après avoir vécu un long séjour dans des lieux sans lumière, un paysage aussi blanc, aussi virginal ne pouvait que nous éblouir, nous aveugler, nous enivrer. ‒ Kim Thúy, Ru (2009)
Qu'est-ce qu'un réfugié?
« Les demandeurs d’asile sont des personnes qui ont franchi une frontière internationale en quête de protection en vertu de la Convention de 1951 des Nations Unies relative au statut des réfugiés (Convention relative au statut des réfugiés), mais dont la demande de statut de réfugié n’a pas encore été déterminée. » (Association internationale d’étude de la migration forcée)
Un réfugié est une personne qui fuit son pays d’origine et qui cherche un refuge à la persécution et au danger. Le Canada a une longue tradition d’accueil de réfugiés et de demandeurs d’asile des quatre coins du monde. Cette histoire n’est toutefois pas homogène et se caractérise par différentes politiques se répercutant sur la manière dont les réfugiés sont traités au Canada et continuant d’affecter des milliers de personnes qui cherchent refuge. Les politiques en matière de réfugiés sont également directement influencées par l’opinion populaire, le gouvernement au pouvoir et les discours dans les médias.
Les premiers groupes de réfugiés
Les Loyalistes de l’Empire Uni sont considérés comme constituant le tout premier contingent de réfugiés du Canada. La plupart d’entre eux ne sont pas des réfugiés selon la définition moderne du terme, mais plutôt des colons britanniques. Parmi eux, on compte cependant d’authentiques réfugiés, en majorité des Quakers, des Mennonites et d’autres anticonformistes qui, craignant d’être persécutés par le nouveau gouvernement américain, préfèrent fuir vers le nord. Avant 1860, des milliers d’ esclaves fugitifs des États-Unis arrivent également au Canada, et la reconnaissance publique du Canada comme terminus du Chemin de fer clandestin lui permet de réaffirmer sa réputation de sanctuaire pour les personnes souhaitant fuir la persécution. On estime à 30 000 le nombre d’Afro-Américains qui viennent au Canada en quête de refuge.
Au cours de la génération suivante, de la fin des années 1890 au début des années 1900, deux groupes de réfugiés, les Mennonites et les Doukhobors, arrivent de Russie, où ils font l’objet de la persécution du régime tsariste. Le gouvernement canadien étant alors désespérément à la recherche d’agriculteurs pour coloniser l’Ouest, ces groupes sont essentiellement installés dans les provinces des Prairies.
Les politiques d’exclusion
Historiquement, les migrants ne sont pas tous accueillis à bras ouverts dans la société canadienne.Certains groupes sont visés par des exclusions sélectives, notamment sous forme de taxe d’entrée réservée aux immigrants chinois au tournant du siècle ou d’internement des citoyens d’origine japonaise durant la Deuxième Guerre mondiale. Le Canada détourne également des navires de réfugiés, dont les 376 passagers (la plupart sikhs) du SS Komagata Maru auquel on refuse le droit d’accoster à Vancouver en 1914.
Au cours des années 1930, la réputation de terre d’asile pour les opprimés acquise par le Canada est rudement mise à l’épreuve au moment où de nombreux Juifs allemands tentent de gagner n’importe quel pays daignant les recevoir. Les frontières du Canada ne sont toutefois pas ouvertes. La xénophobie et l’antisémitisme étant alors profondément ancrés au Canada, le public n’offre qu’un appui timide à l’entrée des réfugiés, quand il ne s’y s’oppose pas carrément. En fait, il faut attendre la Deuxième Guerre mondiale pour que cette attitude change. L’Europe débordant alors de « personnes déplacées », le Canada se montre beaucoup plus accueillant, surtout en raison de sa croissance économique fulgurante et de son besoin criant de main-d’œuvre. Le Canada se met également à jouer un rôle de plus en plus actif en matière de réinstallation des réfugiés au sein du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).
Changement de cap : les réfugiés de la Guerre froide
En 1956, quelques mois après le soulèvement hongrois contre l’occupation soviétique, le gouvernement canadien succombe à la pression intérieure, exercée principalement par des groupes ethniques et religieux, et annonce son intention d’accepter un grand nombre de réfugiés hongrois. On accueille presque 37 000 d’entre eux. Non seulement ces réfugiés ont des compétences répondant à des besoins criants, mais leur acceptation sur fond de tensions et d’anticommunisme croissants en raison de la guerre froide constitue pour l’Occident une occasion d’embarrasser l’Union soviétique. En 1968, 11 000 Tchèques s’installent au Canada après l’invasion soviétique de leur pays. Ils sont pour la plupart des travailleurs hautement spécialisés qui n’ont aucune peine à s’intégrer à la société canadienne. En 1972, le Canada accepte également 7 000 Ougandais d’origine asiatique, très qualifiés et instruits, qui fuient le régime tristement célèbre d’Idi Amin (voir Afro-Canadiens).
Un groupe de réfugiés plus sujet à polémique est celui des résistants à la guerre américaine au Viêt Nam (surnommés « draft evaders », c’est-à-dire conscrits réfractaires), qui traversent la frontière pour échapper à l’obligation de participer à la guerre du Viêt Nam. Tout aussi controversés sont les Chiliens et autres réfugiés latino-américains exilés du Chili après le coup d’État d’Augusto Pinochet de septembre 1973 qui renverse le gouvernement marxiste de Salvador Allende. Craignant que la plupart de ces réfugiés politiques ne manifestent une idéologie trop à gauche et ne souhaitant pas envenimer ses relations avec les dirigeants américains et les nouveaux chefs chiliens, le gouvernement du Canada n’en accepte qu’un nombre restreint.
Cela constitue un contraste frappant avec l’attitude humanitaire que le Canada adopte à la fin des années 1970 lors de l’exode des réfugiés de la mer vietnamiens.
Des politiques et des lois en évolution
En 1962, un décret du gouvernement canadien abolit officiellement la discrimination dans la sélection des immigrants (voir Politique d'immigration). En avril 1978, la nouvelle Loi sur l’immigration entre en vigueur et établit quatre nouvelles catégories d’immigrants autorisés à venir au Canada : les réfugiés, les familles, les parents aidés et les immigrants indépendants, arrivant au Canada pour des motifs économiques.
La Loi sur l’immigration est également modifiée afin de supprimer toute mention explicite de nationalités privilégiées pour les migrants. Cette loi adopte aussi la définition englobante de réfugiés de la Convention de 1951 des Nations Unies relative au statut des réfugiés ainsi que de son Protocole de 1967, qui constituent les principaux instruments juridiques internationaux relatifs à la protection des réfugiés. L’article 1 de la Convention définit un réfugié comme une personne qui, en raison d’une crainte fondée d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, est incapable de retourner dans son pays d’origine.
Les réfugiés de l’Asie du Sud-Est
Le 30 avril 1975, Saïgon, capitale du Viêt Nam du Sud, tombe aux mains des forces communistes, marquant du coup la fin de la guerre du Viêt Nam . Dès la fin de l’année, les territoires de l’ancienne Indochine sont gouvernés par des régimes totalitaires et communistes. Ainsi, le 17 avril 1975, les Khmers rouges s’emparent de la capitale Phnom Pehn et d’autres villes, assurant leur domination sur l’ensemble du Cambodge. De leur côté, les communistes révolutionnaires du Pathet Lao, qui ont pris le pouvoir plus tôt en début d’année, abolissent la monarchie le 2 décembre 1975 et proclament la République démocratique populaire du Laos.
Au Viêt Nam et au Laos, les anciens cadres civils et militaires sont envoyés dans des camps de travail et leurs familles se voient refuser l’accès à l’emploi et l’éducation. Au Cambodge, les Khmers rouges dirigés par l’idéologue Pol Pot abolissent la propriété privée et forcent la majorité de la population à vivre à la campagne dans des camps de travail, en plus de persécuter les minorités ethniques et religieuses. Fin 1978, un conflit armé éclate entre le Viêt Nam et le Cambodge, ajoutant à la détresse des populations.
Le contexte politique, la détérioration rapide des conditions de vie et la violation des droits de la personne dans ces pays vont déclencher un mouvement migratoire sans précédent dans cette région du globe. Ainsi, à la suite de l’invasion vietnamienne, plusieurs milliers de personnes quittent à pied le Cambodge et rejoignent la Thaïlande. Dès la fin de 1978, l’exode des Vietnamiens et des Chinois du Viêt Nam prend des proportions dramatiques, alors que plusieurs milliers d’entre eux quittent le pays sur des bateaux de fortune en empruntant la mer de Chine. Les boat people ‒ ou réfugiés de la mer ‒ qui survivent à cette traversée risquée sont accueillis dans des camps du HCR en Malaisie, aux Philippines, en Indonésie et à Hong Kong.
L’accueil du Canada
Touché par le sort de ces exilés, le Canada réagit rapidement et joue un rôle majeur sur la scène internationale. En juillet 1979, le HCR organise à Genève une réunion pour l’accueil des réfugiés de l’Asie du Sud-Est à laquelle assiste le gouvernement canadien. Celui-ci, alors dirigé par le premier ministre Joe Clark, annonce qu’il accueillera 50 000 réfugiés. Dès lors, le Canada nolise 76 vols afin de transporter 15 800 réfugiés avant la fin de l’année 1979. En avril 1980, le pays revoit sa cible d’accueil et annonce qu’il acceptera 10 000 réfugiés supplémentaires, portant le nombre de réfugiés à 60 000 pour l’année 1979-1980.
Plus de 50 % de ces réfugiés viennent au Canada grâce à un tout nouveau programme de parrainage privé mis sur pied par le gouvernement. C’est donc en bonne partie grâce aux efforts des familles canadiennes, des communautés religieuses, des organismes de bienfaisance et des organisations non gouvernementales qu’ils ont pu refaire leur vie en sol canadien. En 1985, le Canada compte plus de 98 000 réfugiés du Vietnam, du Cambodge et du Laos, ce qui en fait l'un des cinq premiers pays sur le plan de l'admission des réfugiés de l’Asie du Sud-Est.
En chiffre
De 1981 à 1986, bon nombre d’Asiatiques du Sud-Est continuent d’arriver en tant que réfugiés politiques ou comme immigrants de catégorie désignée : 24 000 du Viêt Nam, 3 400 du Laos et 8 900 du Cambodge. À la fin de 1986, le Canada compte 130 000 Indochinois, dont 95 % sont des immigrants ou des réfugiés récents : 100 000 viennent du Viêt Nam, 14 000 du Cambodge et 15 000 du Laos. Les efforts déployés par les Canadiens originaires du Sud-Est asiatique pour réunir leur famille, au cours de la période allant de 1987 à 1996, contribuent à accroître la population immigrante de 50 %.
Lors de l’Enquête nationale sur les ménages de 2011, 220 425 personnes se sont déclarées d’origine ethnique vietnamienne, 34 340 d’origine cambodgienne (ou khmère) et 22 090 d’origine laotienne. À ce nombre, il faut ajouter quelques dizaines de milliers de Canadiens s’étant déclarés d’origine chinoise, mais provenant en réalité du Viêt Nam, du Cambodge et du Laos. Comme 91 % de la population née à l’étranger, les immigrants de l’Asie du Sud-Est se sont largement installés dans les régions métropolitaines et les communautés urbaines du pays.
Dans leurs mots : le début d’une nouvelle vie
J’étais étourdie autant par tous ces sons étrangers qui nous accueillaient que par la taille de la sculpture de glace qui veillait sur une table couverte de canapés, de hors-d’œuvre, de bouchées, les uns plus colorés que les autres. Je ne reconnaissais aucun de ces plats, pourtant je savais que c’était un lieu de délices, un pays de rêve. (…) Je n’avais plus de points de repère, plus d’outils pour pouvoir rêver, pour pouvoir me projeter dans le futur, pour pouvoir vivre le présent, dans le présent. – Extrait de Ru par Kim Thúy (2009)
À leur arrivée au Canada, les réfugiés de l’Asie du Sud-Est n’ont pas terminé leur périple. Si les plus éduqués maîtrisent le français ou l’anglais, la plupart d’entre eux doivent faire l’apprentissage d’une nouvelle langue en plus d’apprivoiser de nouveaux codes culturels. Cette intégration à la société canadienne ne se fait pas sans difficultés. Les témoignages livrés par différents orateurs de Passages Canada le montrent bien.
Ainsi, pour Minh Tan, les difficultés d’une traversée vers la Malaisie, suivies par des conditions de vie pénibles dans un camp de réfugiés, ont été récompensées par tout un univers de possibilités en sol canadien. Dans le cas de Tu Nguyen, parrainée par son père à l’âge adulte, l’immigration a eu pour conséquence la perte de son statut de journaliste et la nécessité de rebâtir sa carrière à partir de zéro. Aujourd’hui, elle semble avoir trouvé sa voie alors qu’elle accompagne de jeunes immigrants dans leur intégration à la société canadienne. Quant à Vilien Chen, elle témoigne de la difficulté à faire face à l’étiquette de « réfugiés de la mer » et du temps qu’il lui a fallu pour trouver la force de renouer avec son passé familial.
Tu Nguyen
Le Canada m’a choisie. Je suis venue au pays grâce au parrainage de mon père, lui-même arrivé avec les milliers de réfugiés de la mer vietnamiens ayant échappé au gouvernement communiste dans les années 1980.
Je me souviens de mon arrivée à l’aéroport de Calgary. C’était une nuit de novembre, froide et enneigée. La neige et le calme ne m’ont pas semblé aussi beaux et poétiques que j’avais pu l’imaginer alors que j’étais encore au Viêt Nam. J’ai presque éclaté en sanglots lorsque le douanier m’a posé quelques questions. Je n’avais aucune idée de ce qu’il me disait. Puis j’ai observé quelques signaux en anglais autour de moi. Je n’en comprenais pas le sens. C’est à ce moment que je me suis rendu compte que ma vie ne serait plus jamais pareille. Alors que depuis dix ans j’avais réussi à faire ma marque comme journaliste et écrivaine au Viêt Nam, je n’étais personne au Canada.
Les premières années, tous les emplois que j’ai occupés étaient reliés aux travaux manuels. J’ai été nounou, femme de ménage, ouvrière dans une usine, et j’en passe. Je me souviens d’avoir pleuré la nuit en me demandant si le fait de quitter mon pays n’avait pas été la pire des erreurs et si j’allais survivre dans ce nouveau pays.
Oui, je suis passée par toute la gamme des défis et des remises en question qui sont le lot d’un nouvel arrivant qui tente de réussir dans une culture étrangère si différente de la sienne. Depuis dix ans, je me considère privilégiée d’avoir pu m’impliquer au sein de la Calgary Foundation for Youth. Ce travail est rempli de défis, mais tellement gratifiant. Il m’a donné la chance de rencontrer des centaines de jeunes étudiants immigrés venant de tous les coins du monde. Plusieurs d’entre eux, arrivés au Canada avec une maigre connaissance de l’anglais et peu d’expérience de vie, risquaient particulièrement de décrocher de leurs études. Ils devaient aussi faire face au racisme à l’école, que ce soit à des gestes racistes ou à des commentaires négatifs sur leur culture. Nous avons été capables, grâce à différents programmes après les heures de cours, de les garder loin des gangs de rues et de la drogue. Mais surtout, nous les avons aidés à poursuivre leurs études. Je suis toujours très touchée d’apprendre que j’ai pu faire la différence dans la vie de jeunes immigrés qui avaient simplement besoin de quelqu’un à leurs côtés à un moment difficile de leur vie.
Cela fait maintenant 12 ans que je suis au Canada. Je ne sais pas à quel moment j’ai commencé à sentir que ce pays était mon nouveau chez-moi. Il m’arrive parfois encore de me réveiller la nuit et de ressentir de la mélancolie. J’ai l’impression d’entendre des vagues se briser sur le rivage de ma terre natale. Mon passé revient me hanter. Mon enfance dans un petit village pauvre, avec le rêve de posséder une poupée Barbie qui puisse ouvrir et fermer les yeux. Toutes ces nuits passées dans un abri à dormir avec le bruit des bombes et des canons et avec le sentiment que la terre tremble…
Écrire me manque et j’espère qu’un jour, je pourrai écrire sur la vie des nouveaux immigrants au Canada.
Vilien Chen
J’aimerais pouvoir vous raconter mes premiers moments au Canada, mais je n’en ai gardé aucun souvenir. C’était à l’été 1979. J’avais trois ans. Mes parents m’ont toujours demandé de ne pas dire aux gens que nous étions des réfugiés du Viêt Nam. Ils croyaient que les Chinois nous regarderaient avec mépris s’ils le savaient. Ils tenaient également à ce que je sache qu’ils n’avaient pas accepté d’aide financière du gouvernement. C’était important pour eux.
Encore aujourd’hui, le mot « réfugié » a un sens péjoratif pour moi. On m’a enseigné à ne pas trop parler de mon passé. Aux gens qui me demandaient où j’étais née, je répondais que j’avais grandi au Canada. C’était important que je ne discute pas du passé de ma famille, probablement parce que les gens auraient deviné d’où on venait. Et cela aurait attiré la honte sur nous.
Il y a 10 ans, j’ai terminé mes études. Mes parents ont alors décidé d’aller au Viêt Nam, et ils m’ont demandé si je voulais les accompagner. « Ce serait l’occasion pour toi de voir l’endroit où tu es née », m’ont-ils dit. Je n’en voyais pas l’intérêt et je n’en avais pas envie. Je préférais rester avec mes amis. Ce voyage aurait pu être un cadeau pour l’obtention de mon diplôme. Je me souviens qu’à l’époque, mon grand-père me demandait sans cesse si j’avais du temps. Il souhaitait m’amener à Hokkien, d’où viennent mes ancêtres. Je n’ai pas eu la chance d’y aller en sa compagnie.
Cet été, 10 ans exactement après leur première visite au Viêt Nam, ma mère et mon père ont eu envie d’y retourner. Cette fois, j’ai vraiment souhaité y aller aussi. J’ai senti que c’était le bon moment. Dès le premier coup d’œil à la maison de mon grand-père, j’ai compris que ce n’était plus chez nous. Mon père pense que le gouvernement a loué l’endroit. Alors que j’étais devant l’immeuble bleu pâle et gris, il y avait un jeune enfant assis sur le balcon du dernier étage et j’ai pensé : « Si mes parents ne s’étaient pas réfugiés au Canada, ma vie et mon avenir auraient probablement été semblables à ceux de cet enfant ».
13 novembre 1986 : la Médaille Nansen
En 1986, en reconnaissance de sa contribution exceptionnelle à la protection des réfugiés, le Canada reçoit la Médaille Nansen décernée par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Cette distinction est acceptée au nom du peuple du Canada par la gouverneure générale Jeanne Sauvé. La Médaille est conservée à Rideau Hall.
En 2015, le Parlement canadien adopte la Loi sur la Journée du Parcours vers la liberté. Depuis, le 30 avril est consacré à la commémoration nationale de l’exode des réfugiés vietnamiens et de leur accueil au Canada après la chute de Saïgon et la fin de la guerre du Viêt Nam.
Remerciements
L’Encyclopédie canadienne aimerait remercier Passages Canada, le Haut Commissariat aux Nations Unies pour les réfugiés ainsi que la Société d’histoire de l’immigration au Canada pour avoir permis l’utilisation des témoignages oraux et photographiques provenant de leurs collections.