Lillian Elias (dont le nom Inuvialuktun est Panigavluk), OTN-O, enseignante, activiste linguistique (née en 1943, dans le delta du Mackenzie, dans les Territoires du Nord-Ouest). Influencée par le temps qu’elle a passé dans un pensionnat autochtone, où les administrateurs ont tenté de la dépouiller de force de sa langue et de sa culture, Lillian Elias a passé une grande partie de sa vie à promouvoir et préserver sa langue maternelle, l’inuvialuktun (voir Inuvialuit).
Illustrations par Andrew Qappik, RCA.
Jeunesse
Lillian Elias est née dans le delta du Mackenzie des Territoires du Nord-Ouest en 1943, de l’union de George et Martha Harry. Elle est l’une de 12 enfants. À la maison, la famille parle l’inuvialuktun, la langue des Inuvialuit de l’ouest de l’Arctique canadien (voir Peuples autochtones de l’Arctique au Canada). La famille de Lillian vit de la terre et suit la migration saisonnière des animaux afin de pouvoir chasser plus efficacement. Durant l’été, la famille passe du temps sur l’île Kendall, un endroit qui rappelle encore à Lillian Elias de beaux souvenirs de jeux sur la plage, pendant que les hommes de sa famille vont à la chasse à la baleine.
Lillian Elias : l'historie d'une survivante des pensonnats indiens
Pensionnat autochtone
Lillian Elias raconte qu’au début des années 1950, sa famille est forcée d’envoyer un de ses enfants au pensionnat autochtone afin de continuer à recevoir ses paiements d’allocation familiale. La famille a choisi d’envoyer Lillian.
Elle se souvient qu’elle a environ huit ou neuf ans lorsqu’elle est amenée au Immaculate Conception, le pensionnat autochtone catholique d’Aklavik, dans les Territoires du Nord-Ouest. Avant qu’elle ne quitte le foyer familial, sa grand-mère lui dit de s’assurer de ne pas oublier sa langue. Lillian apprend plus tard que ses parents l’ont choisie parmi ses frères et sœurs parce qu’ils considèrent qu’elle est la plus brave d’entre eux.
La vie au pensionnat n’est pas facile. Lilian se souvient que les élèves ont l’interdiction de porter leurs propres vêtements traditionnels (voir Peuples autochtones de l’Arctique au Canada), qu’ils sont forcés de porter des uniformes assortis, et que durant les froids mois de l’hiver, ils doivent également porter des parkas assortis. Ces vêtements ne gardent pas les enfants au chaud comme l’auraient fait leurs propres tenues faites de peau de caribou (voir La chasse au caribou), que plusieurs d’entre eux auraient portées à la maison.
L’apprentissage en classe est minime. On se sert souvent des enfants pour le travail physique (voir Le travail des enfants), comme le transport du bois qui arrive par barge au sous-sol du pensionnat. Une fois le bois stocké, les enfants doivent charrier de gros morceaux afin d’alimenter le poêle à bois qui chauffe le pensionnat. Lillian se souvient des nombreux enfants écorchés par les bords rugueux du bois.
Selon Lillian, le personnel cherche toujours à donner l’exemple avec les enfants qui ne respectent pas les règles. Si les élèves sont surpris à parler leur langue, ou s’ils refusent de manger la nourriture avariée qui leur est souvent servie, ils sont punis devant leurs camarades de classe. Afin d’éviter d’être battue, Lilian Elias utilise des gestes de la main et des signaux pour communiquer, jusqu’à ce qu’elle soit capable de parler l’anglais.
Parfois, les punitions sont exécutées en privé. Plusieurs des enfants qui fréquentent les pensionnats autochtones sont victimes d’abus sexuels (voir Exploitation sexuelle des enfants). Il est prouvé que ce type de sévices a été commis non seulement par le personnel, mais également par d’autres élèves.
Les religieuses et les prêtres sont reconnus pour tenter de décourager les enfants de vouloir aller visiter leurs familles. À maintes reprises, ils font des commentaires désobligeants sur le mode de vie traditionnel inuit afin que les enfants éprouvent du ressentiment envers leurs familles et leurs cultures. Lilian Elias peut retourner à la maison chaque été, contrairement à certains enfants qui doivent rester au pensionnat à longueur d’année parce qu’ils vivent dans des régions trop éloignées.
Lors d’une visite à la maison, Lillian Elias demande à ses parents si elle peut rester avec eux au lieu de retourner au pensionnat. Ne connaissant pas l’étendue des sévices que Lillian et ses camarades de classe subissent au pensionnat, et étant donné le peu d’options qu’elle a pour poursuivre ses études, les parents de Lillian l’encouragent à y retourner. Ils veulent s’assurer qu’elle puisse apprendre à lire et écrire.
Résistance
Au fil des années, Lillian Elias remarque qu’un fossé grandit entre les jeunes placés dans les pensionnats autochtones et les Aînés des communautés. En raison du temps passé aux pensionnats, les élèves perdent le contact avec leur langue et leur culture, et lorsqu’ils retournent à la maison, ils sont incapables de communiquer avec leurs Aînés.
Se souvenant des paroles de sa grand-mère au sujet de la préservation de sa langue, Lilian Elias affirme qu’elle a décidé de se battre pour la conserver, peu importe ce qui arriverait au pensionnat. Elle dit qu’à un moment donné, une religieuse l’a surprise en train de pratiquer sa langue et l’a punie. Malgré cela, elle continue à parler sa langue chaque fois qu’elle en a l’occasion.
Après cinq ans passés à Immaculate Conception, Lillian retourne à la maison, dans sa communauté.
Préservation de la langue
Éventuellement, Lillian Elias commence à travailler comme traductrice. Au départ, elle fait la traduction pour ses grands-parents lors de leurs visites chez le médecin, ou lorsqu’ils doivent traiter avec des agences gouvernementales qui n’offrent des services qu’en anglais. Elle commence rapidement à faire de plus en plus de traduction pour les personnes de sa communauté, ce qui lui permet de maintenir ses connaissances de l’inuvialuktun malgré ses expériences vécues au pensionnat autochtone.
Lillian Elias devient enseignante. Elle s’assure d’inclure des leçons d’inuvialuktun dans son programme d’études. Le temps plutôt restreint qu’elle passe avec ses élèves n’est pas suffisant pour que ceux-ci puissent maîtriser parfaitement la langue, mais cela crée néanmoins une base de connaissances suffisante sur laquelle ils peuvent s’appuyer.
« Je n’aime pas dire que ma langue est en train de mourir. Je dis toujours qu’elle dort, mais qu’elle reviendra, » raconte Lillian Elias à Reneltta Arluk, dans Dene A Journey, 2014.
Plusieurs des parents de ses élèves sont des survivants des pensionnats autochtones tout comme elle, et Lillian Elias sait qu’ils ont peut-être de la difficulté à parler à leurs enfants, ou à communiquer avec eux. Elle tente d’aider ses élèves à renouer avec leur culture de plusieurs manières différentes, sachant qu’un bon nombre d’entre eux n’ont pas la possibilité de le faire à la maison.
Selon Lillian Elias, la meilleure façon de renouer avec la culture est de retourner sur la terre. En plus d’enseigner l’inuvialuktun en classe, Lillian Elias emmène ses élèves à son camp durant l’été. Elle amène les enfants au camp de sa famille, où elle-même a passé du temps alors qu’elle grandissait dans le delta du Mackenzie. Là-bas, Lillian Elias et les jeunes vivent de la terre et passent du temps à apprendre l’histoire de la région, sa végétation, et la manière dont les plantes sont traditionnellement utilisées comme remèdes (voir Médecine traditionnelle des Premières Nations au Canada).
Lillian Elias établit des liens solides avec ses élèves grâce à son attention et son soutien. À travers ses leçons, elle leur inculque l’importance du respect de soi et de la culture. En raison des relations qu’elle noue en tant qu’enseignante, plusieurs de ses anciens élèves continuent à lui rendre visite, longtemps après avoir terminé l’école.
Le dévouement de Lillian Elias pour la revitalisation de la langue demeure aussi fort que jamais. Dans une entrevue pour We Were So Far Away de la Legacy of Hope Foundation, Lillian Elias déclare : « Je dis toujours que votre culture, votre langue, vos traditions… si vous avez ces trois-là, vous vous sentez bien dans votre peau. »
Cercle des survivants
En 2022, le gouvernement fédéral crée le Comité consultatif national sur les enfants disparus des pensionnats et les sépultures non marquées. Ce comité vise à soutenir les communautés autochtones qui cherchent à retrouver les enfants disparus des pensionnats autochtones. Dans le cadre de ce processus, le Cercle des survivants offre des conseils au Comité consultatif national. Lillian Elias est membre du Cercle des survivants.
Prix
- Prix du Cercle du ministre pour la culture (2012)
- Médaille du jubilé de diamant de la reine Elizabeth II (2012)
- Ordre des Territoires du Nord-Ouest (2018)