Lillian Helena Smith, bibliothécaire, enseignante, écrivaine, défenseure de l’alphabétisation (née le 17 mars 1887 à London, en Ontario; décédée le 5 janvier 1983 à Toronto). Lillian Smith a été la première bibliothécaire pour enfants diplômée de l’Empire britannique. Elle a instauré des services pour enfants dans le réseau des bibliothèques de Toronto, établissant des normes que le monde entier a par la suite adoptées. Elle a mis en place un système de classification dédié aux bibliothèques pour enfants, fait la promotion de la lecture dans les écoles et siégé à l’American Library Association ainsi qu’à des associations de bibliothécaires canadiennes. (Voir aussi Littérature enfantine de langue anglaise et Littérature jeunesse de langue française.)
Cet article a été créé en collaboration avec le Museum of Toronto.

Enfance et éducation
Lillian H. Smith grandit à London, en Ontario. Elle est la benjamine de quatre enfants d’immigrants britanniques. Sa mère, Elizabeth Smith (née Rosevear), est organiste et pianiste et son père, John Vipond Smith, est un pasteur méthodiste. Ayant accès à la bibliothèque familiale, elle devient une lectrice passionnée dès son plus jeune âge.
En 1910, fraîchement diplômée du Victoria College de l’Université de Toronto, elle découvre un article sur l’école de formation des bibliothécaires pour enfants de la bibliothèque Carnegie de Pittsburgh, en Pennsylvanie. À l’époque, au Canada, il n’existe pas de formation spécialisée pour les bibliothécaires pour enfants, et il y a peu d’espace consacré aux enfants et aux livres jeunesse dans les bibliothèques. La bibliothèque Carnegie est la première bibliothèque publique américaine à posséder une section réservée aux enfants. C’est aussi la seule à offrir un programme de formation. Elle s’y inscrit et, à la fin de sa formation d’un an, elle obtient un poste à la New York Public Library. Peu de temps après, elle devient responsable de l’espace jeunesse de la succursale de Washington Heights. Sa supérieure est Anne Carroll Moore, une pionnière en matière de bibliothèque pour enfants, qui devient une amie proche.
Elle raconte plus tard qu’elle a réussi à calmer un groupe de garçons bruyants et turbulents dans la salle des enfants de Washington Heights en leur lisant des extraits de Tom Sawyer. Son choix de lecture provoque l’indignation morale d’un collègue conservateur, puisque le héros de cette histoire est un menteur.
Développement des services de bibliothèque pour enfants à Toronto
Lillian Smith est à New York depuis environ un an lorsque George Locke, bibliothécaire en chef de la bibliothèque publique de Toronto, la Toronto Public Library (TPL), la contacte. Il envisage de créer un département consacré aux enfants et lui en propose la direction. Elle retourne à Toronto à l’été 1912 et devient la première directrice de ce service, poste qu’elle occupe pendant 40 ans. Elle est la première bibliothécaire pour enfants de formation professionnelle dans tout l’Empire britannique.
Lillian Smith commence à la bibliothèque centrale (inaugurée en 1909 à l’angle des rues College et St. George), qui dispose d’une petite salle pour les enfants et d’une sélection désorganisée de livres donnés. Elle entreprend rapidement d’enrichir la collection. Au lieu de suivre les directives traditionnelles (celles des églises, par exemple), elle rejette les histoires moralisatrices ou propagandistes pour les enfants. Elle choisit plutôt des livres en fonction de leur « utilité concrète pour développer l’intérêt pour la lecture chez les garçons et les filles ». De tels livres, croit-elle, plairaient aux enfants de tous les milieux sociaux. Ils offriraient surtout aux enfants de « foyers sans livres » un tremplin vers le monde littéraire.
Elle organise aussi des activités pour les jeunes lecteurs, comme l’heure du conte, et offre une formation pour les nouveaux employés. En 1913, elle met sur pied le premier service consacré aux enfants dans la nouvelle succursale Dovercourt de la TPL, qui s’appelle maintenant la succursale Bloor/Gladstone. Des espaces réservés aux enfants sont ensuite aménagés dans d’autres succursales.
Lillian Smith fait la promotion de l’alphabétisation hors des murs de la bibliothèque. Elle travaille avec les enseignants et les parents, visite les salles de classe et collabore avec les écoles pour les aider à créer leur propre bibliothèque. En 1926, elle ouvre la première bibliothèque scolaire au Canada, une autre première.
Boys and Girls House
Les salles et services pour enfants de la TPL gagnent en popularité. L’achalandage y double presque entre 1912 et 1920. Le surpeuplement devient un problème, en particulier à la succursale centrale, où les enfants sont souvent refusés en raison du manque d’espace. Cette situation entraîne la création d’une nouvelle succursale exclusivement consacrée aux livres pour enfants. La TPL acquiert une résidence près de la bibliothèque centrale du 40, rue St. George, et, en septembre 1922, y ouvre au public la nouvelle « Boys and Girls House ». C’est la première bibliothèque pour enfants du Commonwealth britannique.
La Boys and Girls House comprend plusieurs salles de lecture et de prêt de livres pour les enfants, des bureaux administratifs et une collection de ressources en bibliothéconomie. En 1928, on y ajoute un théâtre. Lillian Smith encourage son personnel à proposer la lecture de pièces de théâtre, la narration d’histoires, l’art de la marionnette et la danse folklorique. Elle organise des heures du conte, des clubs de lecture, des spectacles de théâtre et de marionnettes, ainsi que des débats. Dès sa première année d’ouverture, la nouvelle bibliothèque est si populaire que la salle de prêt principale ne désemplit pas.
Grâce à son programme innovant et motivant et à ses espaces d’étude pour les professionnels, la Boys and Girls House constitue également une ressource précieuse pour les éducateurs, les bibliothécaires et toute autre personne travaillant avec les enfants. Rapidement, elle devient un centre d’intérêt pour le mouvement des bibliothèques pour enfants et l’étude de la littérature jeunesse. Elle fait la promotion de l’alphabétisation des enfants, non seulement dans la bibliothèque, mais aussi par le biais d’émissions de radio de la CBC. Elle devient l’une des bibliothèques pour enfants les plus réputées au monde.
En 1963, on doit démolir la Boys and Girls House en raison de problèmes structuraux. Un an plus tard, on inaugure un nouveau bâtiment plus grand au même endroit. En 1995, on transfère les collections de la Boys and Girls House dans la nouvelle succursale de la TPL, située sur la rue Collège, qui devient la succursale Lillian H. Smith.
Système de classification des bibliothèques pour enfants
En 1930, Lillian Smith et ses collègues élaborent un système de classification spécifiquement conçu pour les bibliothèques pour enfants, car ils estiment que le système décimal Dewey utilisé par la TPL est inadapté à la littérature enfantine et peu intuitif pour les enfants. Le nouveau système, bientôt connu sous le nom de classification Lillian H. Smith, reflète l’ordre dans lequel les enfants progressent en lecture et se compose de lettres plutôt que de codes numériques.
Ce système est introduit dans les bibliothèques jeunesse de la TPL à l’été 1930 et il s’avère très bénéfique pour l’affluence. On l’utilise jusque dans les années 1990, puis la TPL revient au système Dewey, principalement pour des raisons d’uniformité dans le catalogage. Toutefois, certaines parties du système de Smith sont encore utilisées de nos jours.

Collections Osborne et Lillian H. Smith
En 1934, Lillian Smith reçoit la visite d’Edgar Osborne, bibliothécaire et collectionneur de livres anglais, qui, avec sa femme, possède une collection de livres pour enfants rares et historiques, dont certains datent du 16e siècle. Impressionné par les réalisations de la bibliothécaire à la Boys and Girls House, le couple décide de faire de la TPL un lieu d’accueil permanent pour sa collection. En 1949, après le décès de sa femme, le collectionneur fait don d’environ 2 000 livres au conseil d’administration de la TPL en hommage à son épouse et à Lillian Smith.
La collection Osborne se trouve à la Boys and Girls House, où elle est méticuleusement préservée et continuellement développée. Elle comprend aujourd’hui plus de 80 000 titres. Les plus anciens datent du 14e siècle, tandis que les derniers ont été imprimés en 1910. En 1962, la collection est enrichie d’une sélection distincte de livres pour enfants remarquables et plus récents, publiés après 1910, appelée la collection Lillian H. Smith. Aujourd’hui, les deux collections sont conservées à la succursale Lillian H. Smith de la TPL, où une sélection d’ouvrages est exposée.
Enseignement, écriture et militantisme
Lillian Smith est une formatrice infatigable auprès des bibliothécaires pour enfants. Elle enseigne non seulement à bibliothèque, mais aussi dans des établissements d’enseignement supérieur. De 1913 à 1952, elle enseigne à la Provincial Library Training School, qui est intégrée à l’Université de Toronto en 1928. Son élève, Sheila Egoff, la première enseignante de littérature enfantine au Canada formée dans les années 1930, se souvient de « la profonde connaissance de la littérature et de l’enthousiasme contagieux de Mme Smith pour le métier de bibliothécaire pour enfants ». Elle décrit son enseignement comme « captivant » et « inspirant ». À la Boys and Girls House, Lillian Smith invite régulièrement d’autres bibliothécaires, des éditeurs et des auteurs de littérature enfantine à participer aux réunions du personnel, notamment sa mentore et amie, Anne Carroll Moore.
Par ses écrits, dont de nombreux articles et deux livres, Lillian Smith jette les bases de la bibliothéconomie jeunesse du 20e siècle. En 1927, elle publie la première (et, en 1940, la seconde) édition de Books for Boys and Girls, un guide de lecture pour les bibliothèques jeunesse devenu une référence dans plusieurs pays anglophones. Son ouvrage critique, The Unreluctant Years, paru en 1953, détaille sa philosophie qui consiste à fournir aux enfants des livres de grande qualité : « uniquement des livres dignes d’eux, des livres empreints d’honnêteté, d’intégrité et de vision, des livres qui leur permettent de grandir ».
Leader charismatique et réseauteuse, Lillian Smith rallie une communauté de bibliothécaires pour enfants et d’autres personnes travaillant avec les enfants. En 1920, elle organise un congrès, le Boys and Girls Work Congress, afin de mettre en contact des organisations de ce domaine avec des conférenciers de New York et de Brooklyn. Elle s’engage également activement dans l’Association des bibliothèques de l’Ontario (ABO), dont les réunions de sa section pour enfants se tiennent pendant un certain temps à la Boys and Girls House. Elle est présidente de l’ABO en 1928-1929, et membre du conseil exécutif de l’American Library Association (ALA) de 1932 à 1936. En 1939, elle contribue à la création de l’Association canadienne des bibliothécaires pour les enfants, précurseur de l’Association canadienne des bibliothèques, créée en 1946.
Héritage
Lillian Smith est une pionnière à plusieurs égards. Première bibliothécaire pour enfants au Canada, elle fonde la première bibliothèque canadienne pour enfants à Toronto. À sa retraite, en 1952, des services de bibliothèque pour enfants sont offerts dans 16 bibliothèques secondaires, 30 écoles, deux maisons d’hébergement pour les nouveaux immigrants et les personnes touchées par la pauvreté, ainsi qu’à l’Hospital for Sick Children. Critique littéraire, elle définit aussi les normes de la littérature jeunesse. Ses recommandations de livres et son guide de lecture pour les bibliothèques pour enfants continuent d’exercer une grande influence aujourd’hui.
La succursale Lillian H. Smith de la TPL, située sur la rue College, qui abrite les collections Lillian H. Smith et Osborne, porte non seulement son nom, mais honore aussi son héritage. Elle perpétue une grande partie des programmes qu’elle a introduits à la Boys and Girls House, comme les heures du conte et les spectacles de marionnettes.
Lillian Smith est convaincue que chaque enfant doit avoir accès à de bons livres, quels que soient ses capacités physiques ou mentales et son origine sociale, ethnique ou culturelle. Cette philosophie inclusive la motive à instaurer des bibliothèques dans des hôpitaux pour enfants, des centres communautaires, des écoles de quartiers défavorisés dépourvues de bibliothèque publique locale et des écoles pour enfants ayant des besoins spéciaux. Selon elle, le rôle d’un bibliothécaire pour enfants devrait être d’offrir « le bon livre, au bon enfant, au bon moment ».
Prix et distinctions
- Prix Clarence Day, American Library Association (1962)
- Collection Lillian H. Smith, collection d’ouvrages, Toronto Public Library (depuis 1962)
- Succursale Lillian H. Smith, succursale qui conserve les collections et le programme du Boys and Girls House, Toronto Public Library (depuis. 1995)