Le NCSM Chicoutimi est l’un des quatre sous-marins usagés que le Canada achète de la Grande-Bretagne à la fin desannées 1990. En 2004, lors de son voyage inaugural sous le commandement de laMarine royale canadienne (MRC), un incendie cause des dommages importants, entraînant la mort d’un membre d’équipage. Huit autres personnes sont blessées. Le retour à la navigation du Chicoutimi devra attendre près de 10 ans.
Le Canada se porte acquéreur de sous-marins
Le NCSM Chicoutimi est un sous-marin diesel-électrique, l’un des quatre sous-marins de la classe Upholder commandés par la Marine royale au début des années 1990. En 1994, la Grande-Bretagne les met tous hors service, optant plutôt pour une flotte entièrement propulsée par l’énergie nucléaire.
Le Canada, qui souhaite alors remplacer ses sous-marins vieillissants de la classe Oberon, achète les Upholder d’occasion en 1998 à un coût initial de 750 millions de dollars. Dès le départ, le programmefait l’objet de problèmes et de controverses. Les sous-marins, hors service depuis des annéesau moment où le Canada en fait l’acquisition, nécessitent d’importantstravaux de réparation et de remise en service. En outre,des modifications majeures sont apportées aux tubes lance-torpilles afin de les rendre compatibles avec le système d’armes de la MRC.
Sur fond de flambée des coûts, le premier sous-marin, le NCSM Victoria, est remis en service dans la MRC en2000. La réparation et la remise en service du plus vieux des quatre, le NCSM Chicoutimi, prend également le plus de temps; celui-ci n’est intégré à la MRC que le 2 octobre 2004.
Incendie d’origine électrique
Le 4 octobre 2004, le NCSM Chicoutimi quitte Faslane, en Écosse, à destination d’Halifax, en Nouvelle-Écosse. Le lendemain matin, alors que le sous-marin se déplace à la surfacede l’Atlantique Nord par une mer agitée à environ 110 milles nautiques au nord-ouest de Sligo, en Irlande, un membre de l’équipage découvre un écrou desserré sur l’évent supérieur de la tourelle de commandement. Comme on prépare la première plongée du sous-marin plus tard dans la journée, on ordonne d’effectuer des réparations. Deux options s’offrent à l’équipage pour la réalisation des travaux : opérer le sous-marin de façon « ouverte » avec les écoutilles supérieure et inférieure toutes deux déployées, ou encore fermer la section, ce qui aurait pour effet de confiner les techniciens à l’extérieur du sous-marin en raison de la fermeture de l’écoutille inférieure. Luc Pelletier, commandant du Chicoutimi, décide de laisser les deux écoutilles ouvertes, une décision qui contribue largement à la catastrophe.
Peu après 11 heures, environ 25 minutes après le début du travail de réparation, une vague massive déverse environ 2 000 litres d’eau de mer à l’intérieur du sous-marin. Les membres d’équipage estiment qu’il y a 10 cm (4 po) d’eau dansla cabine du commandant et 5 cm (2 po) sur le pont de la salle de contrôle. Environ deux heures plus tard, un incendie d’origine électrique se déclenche dans lacabine du capitaine et se propage rapidement à une station électrique située au-dessous. En quelques secondes, une épaissefumée noire se répand dans une grande partie du sous-marin.
L’incendie est rapidement maîtrisé, mais neuf membres d’équipage sont incommodés par l’inhalation de fumée. Six d’entre eux sont en mesure de retourner au travail, mais trois subissentdes blessures graves. Le médecin du Chicoutimirecommande de faire évacuer immédiatement par bateau ou hélicoptère les trois blessés graves, décision que le commandant Pelletier juge trop dangereuse en raison des conditions météorologiques et de l’état de la mer.
Chris Saunders
Le lendemain matin, la frégate britannique HMS Montrosearrive sur les lieux. Malgré des vents violents etune mer agitée, le Montrose est en mesure de transférer son médecin sur le Chicoutimi. Après son examen des troissous-mariniers gravement blessés, il demande une évacuation médicale immédiate. Plus tard cet après-midi-là,un hélicoptère est dépêché par la Royal Navy en vue de l’évacuation. Les deux premiers membres de l’équipage sont hissés à bord de l’hélicoptère sans difficulté, mais alorsqu’on prépare l’évacuation du lieutenant Chris Saunders, âgé de 32 ans, un incident se produit – les détails exacts sont expurgés du rapport d’enquête. Chris Saunders est finalement hissé dans l’hélicoptère.Voyantque le sous-marinier a besoin de soins médicaux d’urgence, le commandant de l’hélicoptère met le cap sur Sligo, en Irlande. Chris Saunders est déclaré mort peu après son arrivée à l’hôpital.
Le remorquage du Chicoutimi commence le 7 octobre. Il est de retour àFaslane le 10 octobre.Des dommages importants au système électrique du sous-marin sont causés par l’incendie.
Commission d’enquête
Une commission d’enquête officielle est immédiatement convoquée pour faire la lumière sur la tragédie. Alors que l’enquête permet de déterminer que l’incendie a été causé par des facteurs humains, techniques et opérationnels, la commission exonère le commandant et l’équipage de toute responsabilité.
Selon la commission, « une importante infiltration d’eau dans le sous-marin a provoqué une succession d’événements dont on ne pouvait prévoir les répercussions, entraînant des conséquences tragiques dont personne ne peut être tenu responsable ».Elle conclut que l’incendie a été causé par un arc dans les principaux câbles électriques immergés dans lacabine du commandant.
Le rapport d’enquête déclare que la décision du commandant Pelletier de faire fonctionner le sous-marin avec les écoutilles supérieure et inférieure ouvertes dans « des conditions marginales » a été « un facteur déterminant » dans la chaîne des événements qui ont conduit à l’incendie. Malgré tout, l’enquêteconclut quesa décision était raisonnable en regard des circonstances. Elle conclut cependantque « cet incident met en lumière la nécessité d’établir de rigoureuses consignes d’opération permanentes concernant le fonctionnement de la tourelle de commandement et les mesures de contrôle des infiltrations dans la salle des commandes ».
L’enquête appuie également la décision de Luc Pelletier de retarder l’évacuation de Chris Saunders et des deux autres membres d’équipage gravement blessés. Compte tenu de l’état de la mer, de la tombée de la nuit et de l’épuisement des membres d’équipage, les enquêteurs conviennent qu’une tentative d’évacuation prématurée aurait entraîné un risque inacceptable pour tous. Un témoignage médical indique que même si le lieutenant Saunders avait été immédiatement évacué du sous-marin, « son pronostic n’aurait peut‑être pas été différent ».
Selon les preuves recueillies lors de l’enquête, Chris Saunders travaillait près du compartiment électrique, l’endroit oùl’incendie s’est déclaré. Enveloppé par l’épaissefumée et incapable de trouver un masque à oxygène, il serait parvenu à se rendre à la salle de contrôle. Alors que l’équipagelutte pour éteindre le feu, Chris Saunders est retrouvé inconscient sur le sol.
L’enquête détermine que la mort de Chris Saunders a été causée par des complications liées à l’inhalation de fumée et de gaz chauds lors de l’incendie.
Problèmes du programme de sous-marins
L’incendie cause des dommages importants au Chicoutimi. Le sous-marin est d’abord expédié à Halifax, puis à Esquimalt, en Colombie-Britannique. Les réparations sont retardées et il faut attendre jusqu’en septembre 2014, presque dix ans après l’incendie, avant que le bateausoit apte à effectuer des essais en mer. Le coûtdes réparations est estimé à 125 millions de dollars.
Le Chicoutimi est représentatif des problèmes qu’a connus le programme canadien de sous-marins de classe Victoria depuis l’acquisition des quatre sous-marins d’occasion.
Le système électrique du NCSM Victoria est détruit alors qu’il est relié à une alimentation électrique inadaptée au port, mettant le sous-marin hors service pendant sept ans.
Peu de temps après la prise de possession du NCSM Corner Brook, un problème dans le fonctionnement du lance-leurres cause de graves dégâts d’eau. Enjuin 2011, le sous-marin frappe le fond marin pendant un exercice d’entraînement, causant d’importants dommages à la coque.
Le coût de réparation et d’entretien des quatre sous-marins fait l’objet de controverses. En 2008, le gouvernement fédéral approuve une enveloppe allant jusqu’à 1,5 milliard de dollars pour l’entretien des sous-marins, soit le double du prix d’achat initial.
En février 2015, la MRC annonce que la flotte sous-marine est « opérationnelle », ce qui signifie que trois des quatre sous-marins sontdisponibles pour la réalisation d’opérations navales. C’est une première pour la marine depuis l’achat des quatre sous-marins en 1998.