Littérature de langue française, critique et théorie de la
Aucun critique littéraire de langue française au Canada ne semble s'être imposé comme ont pu le faire un Bayle, un Sainte-Beuve ou Barthes en France. Certains ont néanmoins atteint la notoriété aussi bien, sinon davantage, par leur oeuvre critique que par leurs autres écrits. On trouve dans leurs rangs des critiques de la génération d'entre-deux-guerres. Marcel Dugas a écrit des proses critiques en écho à des poèmes en prose. Berthelot Brunet est l'auteur d'histoires des littératures française et canadienne-française qui demeurent plus vivaces que ses pâles romans. Victor Barbeau fait figure de rédacteur unique et d'homme à tout faire dans les Cahiers de Turc parus d'octobre 1921 à mars 1922 et d'octobre 1926 à juillet 1927. Valdombre (pseudonyme de Claude-Henri GRIGNON) fait paraître ses Pamphlets, textes d'une virulence qui relèvent autant de la polémique que de la critique (voir ESSAIS DE LANGUE FRANÇAISE).
C'est aussi pendant cette période que paraissent les oeuvres critiques d'Albert Pelletier, du romancier et journaliste Harry Bernard et du poète Alfred DESROCHERS. Si la liste est brève, ce n'est pas que la critique n'ait pas joué un rôle important, mais bien qu'on l'a toujours considérée, hier comme aujourd'hui, en marge de la littérature. Et c'est là qu'apparaît le paradoxe. En se situant d'emblée du côté de l'idéologie dominante, la critique a contribué à ce que les Québécois voient généralement leur littérature comme un reflet de la société.
La critique a d'abord été le fait de journalistes et de quelques amateurs, qui s'attribuaient la tâche de juger les quelques rares publications selon les normes de la langue française et les règles de la versification classique. C'est ainsi que le premier critique littéraire est Valentin Jautard, un Français, rédacteur de la Gazette littéraire de Montréal, fondée en 1778 par son compatriote Fleury Mesplet. C'est ainsi également que le prolifique Michel Bibaud pratique le genre dans les nombreuses publications qu'il fonde successivement, parmi lesquelles L'Aurore (1816-1819), Le Courrier du Bas-Canada (1819-1820) et La bibliothèque canadienne (1825-1830).
L'abbé Henri-Raymond CASGRAIN est le premier à rendre systématiquement compte des oeuvres en s'appuyant sur une théorie explicite de la littérature. À partir de quelques principes - la littérature doit refléter le « génie » de la nation; « elle sera essentiellement croyante et religieuse » - l'abbé Casgrain entend régenter et orienter la production littéraire. Il fait de la littérature son champ d'apostolat, inaugurant ainsi la tradition, qui va durer près d'un siècle, d'une critique cléricale et moralisatrice.
En ce domaine, personne n'a joui d'un prestige et d'une influence aussi étendus que Camille ROY. Professeur à l'UNIVERSITÉ LAVAL, puis recteur du même établissement, il transpose au Québec les principes de la critique française du XIXe siècle, en particulier la méthode et les postulats de Gustave Lanson, mais plus encore la pensée de Ferdinand Brunetière. Roy croit cependant devoir tempérer ses méthodes en faisant preuve d'indulgence pour une littérature naissante. C'est ainsi qu'il comble d'éloges nombre d'oeuvres médiocres, ne réservant ses foudres que pour servir la défense de la morale catholique et l'idéal de clarté du classicisme français. Malgré de rares oppositions, comme celle du journaliste Jules Fournier, qui lui reproche d'appliquer à des nullités des méthodes mises au point pour l'étude des chefs-d'oeuvre, Camille Roy domine et oriente la perception de la littérature canadienne-française pendant près de 50 ans. Ce prélat a de nombreux disciples, dont Maurice Hébert et les prêtres critiques Albert Dandurand, Émile Chartier, Henri d'Arles, Marc-Antonin Lamarche et Samuel Baillargeon, qui font oeuvre de pédagogues imprégnés de l'idéal du classicisme français et d'une morale rigoriste. De son côté, Louis Dantin, auteur d'une remarquable introduction à la poésie d'Émile NELLIGAN, fait figure d'esthète sensible, nuancé, aux goûts éclectiques, affranchi du carcan des doctrines.
C'est ce contexte d'une littérature et d'une critique étroites qui explique la violence des affrontements que suscite, entre 1918 et 1948, la querelle, maintes fois ranimée sous des formes et des prétextes divers, entre les « terroiristes » et les « exotistes »; les premiers souhaitant une littérature « nationale » s'accomplissant dans une langue « canadienne », les seconds, partisans des normes linguistiques françaises, prônant l'affranchissement de toute préoccupation dite régionale. Ces oppositions se prolongeront d'ailleurs, sous la forme d'un débat sur la langue, au cours des années 60 et 70, autour des oeuvres et des positions critiques de PARTI PRIS et des premières pièces de Michel TREMBLAY.
Après la Deuxième Guerre mondiale, plusieurs critiques de haut niveau ont fait surface, dont Guy Sylvestre, Pierre de Grandpré, Roger Duhamel et Gilles MARCOTTE. Les trois derniers ont été, à divers moments, responsables de la page littéraire du DEVOIR. Depuis le début des années 60, la tradition de la critique journalistique s'est maintenue dans les sections ou les chroniques hebdomadaires de journaux comme LA PRESSE, Le Devoir, Le Droit et dans des revues consacrées à l'actualité littéraire comme Lettres québécoises. Elle a trouvé aussi à s'exprimer parfois à la radio d'État, mais l'accès à la télé lui demeure à peu près complètement fermé, aussi bien à Radio-Québec qu'à la Société Radio-Canada.
C'est surtout la critique universitaire qui connaît un essor incontestable depuis une vingtaine d'années. Cette critique se consacre avant tout aux oeuvres québécoises, tout en gardant un oeil sur la littérature française. S'inspirant des transformations de la critique en France, elle a multiplié et diversifié ses méthodes : analyse thématique, psychocritique, sociocritique, et plus récemment, structuralisme et sémiotique.
Au Québec, les trois principales revues littéraires de type universitaire sont Études françaises (U. de Montréal), Études littéraires (U. Laval) et Voix et images (U. du Québec). Les universités ont aussi produit un large éventail de monographies et d'études d'ensemble, dont la plupart sont publiées dans les collections « Lignes québécoises » (Presses de l'U. de Montréal), « Vie des lettres québécoises » (Presses de l'U. Laval), « Cahiers du CRCCF » (Éditions de l'U. d'Ottawa), « Constantes » et « Littérature » dans la série « Cahiers du Québec » (Éditions HMH).
En dépit d'une tradition plus que séculaire et d'un essor remarquable depuis 1960, il reste encore à écrire une histoire de la critique qui illustrerait son évolution au plan spécifiquement littéraire autant qu'idéologique. D'autant plus que la critique s'interroge aujourd'hui sur son degré de dépendance à l'égard de méthodes qui lui viennent de l'étranger, surtout de la France, et sent le besoin de formuler ses propres théories littéraires et d'inventer ses propres méthodes. C'est peut-être la voie de son avenir.
Voir aussi LITTÉRATURE DE LANGUE FRANÇAISE; ÉDITION DE LANGUE FRANÇAISE.