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Madawaska : région frontalière entre le Canada et les États-Unis, de la colonisation à la division

​Madawaska était une région frontalière englobant une partie du Nouveau-Brunswick, du Bas-Canada et de l’État du Maine, et concentrée le long de la vallée supérieure du fleuve Saint-Jean.

Madawaska était une région frontalière englobant une partie du Nouveau-Brunswick, du Bas-Canada et de l’État du Maine, et concentrée le long de la vallée supérieure du fleuve Saint-Jean. La langue, la religion et les pratiques culturelles des habitants de la région, surtout Acadiens et Canadiens français, sont similaires. Dans les années 1840, Madawaska devient une source de conflits entre les États-Unis et l’Amérique du Nord britannique, car, en raison de l’essor de l’industrie du bois, chacun souhaite contrôler les riches forêts de la région. Même si la région est plus tard divisée entre les États-Unis et le Canada, ses habitants préservent leur patrimoine culturel, font fi des frontières imposées et exercent leurs activités des deux côtés de la frontière.

Qu’est-ce que Madawaska?

Il est complexe de définir Madawaska, car il ne s’agissait ni d’une entité organisée de la société civile ni d’une entité administrative. Il n’existait pas de comté, de canton, d’État ou de colonie uniques à la région entière. Elle se définit plutôt par ses habitants, qui ont en commun la langue, la culture et la religion. Toutefois, du point de vue géographique, Madawaska était une région frontalière englobant une partie du Québec, du Nouveau-Brunswick et du Maine qui se concentrait le long des berges du fleuve Saint-Jean. Plus précisément, elle comprend la partie supérieure de la vallée du fleuve Saint-Jean au Nouveau-Brunswick, le Témiscouata et le sud de Kamouraska, au Québec, et le comté d’Aroostook, dans le Maine. Madawaska signifie « terre des porcs-épics », en langue malécite. Il s’agit du nom que portait une rivière qui se jetait dans le fleuve Saint-Jean où les premiers habitants de la vallée (Autochtones et Européens) se sont installés.

Peuplement de Madawaska

Les premiers habitants du Madawaska sont des Autochtones, qui s’installent sur les berges du fleuve Saint-Jean pour y chasser et pêcher la faune abondante. Toutefois, ceux qui définiront la région et qui lui donneront sa typicité arrivent dans les années qui suivent la Révolution américaine.

Après l’expulsion de 1755 à 1764, de nombreux Acadiens s’installent dans la vallée inférieure du fleuve Saint-Jean (voir Déportation des Acadiens). Toutefois, avec l’arrivée massive de loyalistes dans la région, de nombreux Acadiens envisagent de déménager à nouveau. Non seulement craignent-ils que les loyalistes anglophones et protestants exercent davantage de pression pour les assimiler, mais aussi qu’il ne restera que bien peu de terres pour leurs enfants et leurs petits-enfants. Aussi, puisqu’il est commun à l’époque chez les colons nord-américains de déménager vers des régions où les terres sont abordables et abondantes lorsque leur patrie déborde, il n’en a pas beaucoup fallu pour que les Acadiens migrent vers Madawaska, dans la région supérieure du fleuve. Tout comme les Acadiens, les Canadiens français des régions surpeuplées de la Côte-du-Sud et de Kamouraska arrivent dans la région à la recherche de terres.

Au cours du XIXe siècle, l’industrie du bois prospère fait croître la population de Madawaska. Des habitants de la Nouvelle-Angleterre et d’autres Canadiens français affluent dans la région à la recherche de terres abordables et de travail dans les camps de bûcherons. Peu d’Acadiens migrent vers la région à cette époque. Originaires de la vallée de Kennebec, les Néo-Angleterriens vivent en retrait de la population francophone. Ils s’installent vers l’ouest et se concentrent dans l’industrie du bois. En revanche, les Canadiens français cherchent à s’intégrer à la population francophone d’origine. Toutefois, il subsiste un clivage entre les nouveaux arrivants et les colons d’origine. La plupart de ces immigrants n’ont pas de famille dans la région, ce qui cause certains problèmes. Les nouveaux venus sont perçus avec beaucoup de méfiance. Ils ne peuvent se marier avec des membres des familles établies, et il leur est même interdit d’acheter à crédit au magasin général.

Vie quotidienne

Bien qu’ils proviennent de différentes régions, les habitants de Madawaska ont de nombreux points en commun. D’abord, elle est principalement francophone et catholique, car la majorité est d’origine acadienne ou canadienne-française. L’agriculture est au cœur de la vie des Madawaskayens. Les colons pratiquent non seulement une agriculture de subsistance, mais font aussi le commerce des produits agricoles, qu’ils échangent dans les commerces locaux pour d’autres marchandises qu’ils ne cultivent pas. Les agriculteurs de Madawaska cultivent le blé, l’orge, l’avoine, la pomme de terre et même le tabac. De plus, ils élèvent les vaches et les chevaux. Ils sont par ailleurs réputés pour la qualité de leurs chevaux.

Bien que située en retrait des principaux centres de commerce d’Amérique du Nord, Madawaska n’est pas isolée. La région est située le long d’une importante route, connue sous le nom de « sentier du Grand-Portage » (portage du Témiscouata). Ainsi, les Madawaskayens importent et utilisent de nombreuses marchandises qui ne sont pas cultivées dans la région. Ils ont accès aux mêmes produits de luxe offerts dans les régions plus peuplées, comme le chocolat, les épices, la bière, le whiskey, le thé et le café. Les familles madawaskayennes sont nombreuses, tout comme la plupart des familles canadiennes-françaises. Certaines comptent jusqu’à 14 enfants. Le mariage est une nécessité économique, car le mari et la femme sont essentiels au bon fonctionnement d’une ferme.

Économie

Avant l’arrivée des colons francophones, l’activité économique de la région repose sur la traite des fourrures. Après leur arrivée, la région est reconnue pour sa grande production de blé. Ils en produisent bien au-delà de leurs besoins, ce qui leur permet de l’exporter. Toutefois, au milieu des années 1830, la production de blé amorce son déclin, en raison d’une série de mauvaises récoltes, des longs hivers et de la compétition de l’ouest.

Alors que l’industrie du blé décline, l’industrie du bois prend la relève. Les vastes forêts de pin qui couvrent Madawaska sont si riches qu’elles sont à l’origine d’années de tension entre les États-Unis et l’Amérique du Nord britannique. Au début, les colons ne peuvent abattre des arbres sur leurs terres que s’ils obtiennent une concession du gouvernement. Ainsi, les Madawaskayens vendent le bois de leurs terres pour compléter les revenus qu’ils tirent de la vente de leurs récoltes. Bon nombre de familles gagnent bien leur vie en combinant l’exploitation forestière à l’agriculture. Au milieu des années 1830, l’industrie du bois est en plein essor, alors que les bûcherons employés par l’industrie de la coupe à grande échelle et du sciage affluent dans la région. De nombreux camps de bûcherons ouvrent leurs portes dans la région, attirant des travailleurs originaires de la vallée supérieure du fleuve Saint-Jean, du Bas-Canada et de la Nouvelle-Angleterre.

Territoire contesté

Le territoire de Madawaska fait l’objet de disputes. En effet, au cours de son histoire, trois entités le revendiquent : le Nouveau-Brunswick, le Québec et les États-Unis. À partir de la fin des années 1790, la Province de Québec et le Nouveau-Brunswick revendiquent la région, et, pour une brève période, tous deux exercent simultanément leur autorité sur la région. En plus de revendiquer le territoire de Madawaska sur une carte de la province en 1790, les autorités québécoises offrent des concessions aux colons qui envisagent de s’y établir. Les autorités néo-brunswickoises offrent le même type de concessions. Bien entendu, cette situation pose de nombreux problèmes. Les commerçants contestent régulièrement leurs licences entre eux, ce qui dégénère en guerres intestines assorties de nombreuses poursuites judiciaires entre commerçants. En 1830, la Grande-Bretagne tranche le litige : elle cède au Bas-Canada (Québec) les terres à l’ouest de la rivière Madawaska et le reste, soit la majorité du territoire, au Nouveau-Brunswick.

Les choses se compliquent à l’arrivée des bûcherons américains. Les riches et vastes forêts de la région ne passent pas inaperçues. En 1810, des bûcherons originaires du sud du Maine s’installent le long du fleuve Saint-Jean et de la rivière Aroostook. Un litige éclate à propos de ces terres, car le parti qui possède les terres contrôle la forêt. Un des bûcherons, John Baker, est au centre d’un événement singulier. Le 4 juillet 1827, John Baker déclare l’indépendance de la « République de Madawaska » et espère que ses habitants seront invités à se joindre aux États-Unis. La plupart des francophones ignorent cette déclaration, mais le gouvernement britannique de Fredericton porte contre lui une accusation de sédition.

Il s’agit là d’un incident isolé, mais les tensions subsistent dans la région. La vente de permis et de terres aux bûcherons rapporte aux gouvernements. Ni le Maine ni le Nouveau-Brunswick ne veulent donc se départir de la précieuse matière première. Pour éviter les nouveaux problèmes, Londres et Washington conviennent de partager le territoire contesté. Ce n’est toutefois pas suffisant pour le Maine, qui revendique toute la région. En 1831, l’État constitue la région en canton. En 1839, le différend est près de dégénérer en guerre, la guerre d’Aroostook. Craignant que les « provinciaux » du Nouveau-Brunswick s’introduisent sur le territoire du Maine pour y exploiter la forêt de façon illicite, le gouverneur du Maine, John Fairfield, envoie Rufus McIntyre à la tête d’un groupe armé responsable de bloquer les intrus. Or, le groupe est capturé par des bûcherons et rendu aux autorités du Nouveau-Brunswick, qui l’accusent d’envahir la colonie. Les autorités néo-brunswickoises ripostent en plaçant des troupes le long du fleuve Saint-Jean. Aussi, les deux camps construisent des blockhaus et des stations militaires.

Le traité Webster-Ashburton vient enfin régler le différend en 1842. En conséquence, la région contestée est séparée au fleuve Saint-Jean, qui sert de frontière. Le Maine prend le contrôle de la vallée d’Aroostook et jouit de pleins droits de navigation sur le fleuve. Ainsi, les Madawaskayens vivant au nord du fleuve demeurent des Britanniques, alors que ceux vivant au sud deviennent des citoyens américains. La région frontalière est désormais délimitée.

Faire fi des frontières

La région est désormais sous la gouverne des Américains et des Britanniques, mais à l’échelle locale, la situation demeure quasi inchangée. Des deux côtés du fleuve, le français reste la langue de communication, malgré les pressions exercées par le gouvernement du Maine pour américaniser ses nouveaux résidents francophones. Il en sera ainsi pour plusieurs générations, et pour quelques-uns encore aujourd’hui. De nombreuses familles américaines continuent aussi d’envoyer leurs enfants à l’école du côté néo-brunswickois. Des deux côtés, on pratique le catholicisme. Fait intéressant : les Madawaskayens américains vont célébrer l’eucharistie à l’église Saint-Basile, au Nouveau-Brunswick et, jusque dans les années 1860, sont rattachés au diocèse de Fredericton. Lors de la création du diocèse de Portland, en 1859, qui aurait dû desservir le côté américain de la vallée, les évêques de Portland et de Saint-Jean, et l’archevêque de Halifax s’entendent pour dire que la vallée ne devrait pas être divisée. Ils soutiennent que les habitants de la région s’y opposent et que la séparation risquerait de compromettre le caractère francophone de la région du Maine. En fin de compte, ce sont les Madawaskayens américains qui ont eux-mêmes demandé à être rattachés au diocèse de Portland, car ils avancent qu’il est trop difficile de traverser la rivière en hiver, ce qui force bon nombre d’habitants à rater la messe.

La frontière change aussi la donne du point de vue des affaires. Par exemple, alors que l’économie de la consommation prend son essor, les consommateurs se promènent entre le Nouveau-Brunswick et le Maine pour acquérir des marchandises. John Emmerson, magasinier et intermédiaire établi à Edmundston, au Nouveau-Brunswick, continue d’approvisionner en marchandises les propriétaires de magasins des deux côtés de la frontière. Cette « contrebande » préoccupe John Costello, l’un des marchands locaux, qui se plaint du fait que les contrebandiers traversent régulièrement le fleuve pour apporter dans le Maine des produits comme l’alcool, le thé et le tabac. L’industrie forestière fait aussi fi des frontières, car les hommes du Maine, de la Nouvelle-Angleterre, du Nouveau-Brunswick et du Bas-Canada continuent d’affluer dans la région pour travailler dans les camps de bûcherons et dans les scieries des deux côtés de la frontière. Des bûcherons du Maine envoient souvent leur bois dans les scieries du Nouveau-Brunswick pour la transformation, et d’autres achètent des scieries situées du côté nord du fleuve. L’inverse est aussi vrai.