Le lieutenant-colonel (Jacques) Dextraze (le commandant du 2e Bataillon du Royal 22e Régiment en Corée), peut-être vous le savez, on a été le chercher dans le civil. Pour commencer, c'est un héros de la guerre de 1939-1945. Et il a une histoire très mouvementée de la guerre de 1939-1945. On a été le chercher pour la Guerre de Corée (qui débuta le 25 juin 1950). Puis, on n'a pas vu réellement Dextraze avant qu’on arrive à Fort Lewis (une base militaire dans l’État de Washington aux États-Unis).
Quand on est arrivés à Fort Lewis, il nous a fait subir un entraînement hors de l'ordinaire. Ce fut terrible. Ce fut de la marche. On était mal habillés à l'époque. On avait juste des bottes de cuir, puis on se promenait dans la vase, puis dans l’eau. Il y avait un petit peu de neige, etc. Puis, on couchait à la belle étoile. Mais, par contre, malgré tout ce qu’il nous a fait subir là-bas, c’était pour un but : de nous entraîner vers où l'on s'en allait. Puis, je le comprends aujourd’hui ou bien je l’ai compris depuis longtemps. Mais Seigneur que ça a été dur l'entraînement qu'il nous a fait subir à Fort Lewis.
On a marché, Monsieur, c'est épouvantable! Ce n’est pas racontable. Entre autres, je me souviens d’André Therrien (lieutenant dans le même bataillon et récipiendaire de la Croix Militaire en Corée)… On dormait, on se tenait par la main, entre autres, puis on essayait de dormir jusqu'à ce que les genoux nous plient. Alors, parfois on pouvait dormir 30 secondes. Puis, après ça, c’était au tour de l’autre de dormir un peu lui aussi. On tombait de fatigue puis quand les genoux lui pliaient, on le réveillait. Puis, il marchait encore. André Therrien, entre autres, il a trouvé ça terriblement dur. Mais on l’a tous trouvé dur.
Vous savez, on avait, durant la Guerre de Corée, des gens de la guerre de 1939-1945. On en a eu beaucoup (au 2e Bataillon du Royal 22e Régiment). La plupart des sergents étaient des « ex » de la guerre de 1939-1945, des gens avec de l’expérience. Puis, ils ont tous dit que la Guerre de Corée était pire que la guerre de 1939-1945. Pas sur le côté des pertes, mais sur le côté moral. On a vécu 12 mois dans des tranchées, Monsieur. Des tranchées, dans des trous. Puis, quand il pleuvait, on n'avait rien pour (s’abriter)… L’eau montait jusqu’aux genoux, jusqu'à la taille. Et il fallait attendre. On ne pouvait pas se mettre en dehors de la tranchée, à l’abri, c'était contre les règlements de l’époque. On se faisait tirer par les Chinois et ainsi de suite. Alors, c’était ça la vie, comme avec des rats, puis des souris, puis de la vermine. Dans des tranchées, 12 mois durant, on a été six mois à manger du « cannage » (des rations militaires), c'était épouvantable!
Quand on était sur une position défensive, on a été à peu près six mois là-bas, ça a été continuellement de l’observation. La nuit, c'était des patrouilles. Puis, la majorité du temps, c’était des patrouilles, puis on faisait la garde. Deux heures « on », deux heures « off ». Puis, c'était ainsi toute la nuit. Puis, dans le jour, la garde continuait. Puis, qu'est-ce qu'on faisait aussi? On posait des barbelés additionnels. On plaçait des mines, ou bien on allait faire une autre position défensive sur une autre montagne. On était toujours occupés à faire quelque chose, surtout du barbelé. Si je n'ai pas posé un million de milles de barbelés, je n’en ai pas posé un. Ça a été terrible, le barbelé qu’on a posé. Parce qu’entre l’ennemi et nous autres, quand on est en position défensive, il faut créer des obstacles. Ils appellent ça le « no man's land » (la zone séparant les positions des belligérants). Alors, ce secteur-là, il faut le rendre imperméable, pour faire en sorte que l’ennemi ne puisse pas passer, puis qu’on ne puisse pas passer non plus. C’est-à-dire qu’eux, ils font la même chose de l’autre bord, eh bien, nous autres aussi. Nous autres, dans notre barbelé, il faut faire aussi des passages lorsqu'on va en patrouille et ainsi de suite. Il ne faut pas se tromper dans notre petit passage parce qu’ils sont très étroits, puis mal marqués, pas trop bien remarqués non plus, dû au fait qu'on ne veut pas indiquer à l’ennemi à quelle place il peut passer pour venir nous voir. Un moment donné, il y en a qui se sont trompés. Puis, il y a eu beaucoup de monde qui s’est fait tuer dans des champs de mines par rapport à ça.
Le 24 mars 1952, il est arrivé quelque chose d'assez important dans ma vie. C'est que j'ai été sur une patrouille, on était un groupe, puis ça a été la grosse bataille. Je devais quitter pour le Canada six jours plus tard quand mon temps a été fait, mais on m’a désigné pour aller en patrouille. L'incident qui est arrivé, je vous le lis tel que ma citation (d’attribution de la Médaille Militaire) a été écrite :
(Lecture par M. Cormier de la citation d’attribution de sa Médaille Militaire.)
Attribution de la Médaille militaire au caporal Delphis Cormier, matricule SE800308, du Royal 22e Régiment, 2e Bataillon.
Au cours du 24 mars 1952, le caporal Cormier commande l’arrière-secteur d’une patrouille offensive appartenant au 5e peloton de la compagnie « B » du Royal 22e Régiment. La patrouille comprend 26 hommes, dont les 20 premiers sont dirigés par le commandant de patrouille. Les six autres doivent former une base solide. Alors que les six hommes commandés par le caporal Cormier s'avancent vers leur position de base, sept soldats chinois embusqués fondent sur la base. Un violent corps-à-corps s’ensuit. Trois des hommes de la section du caporal Cormier subissent sur-le-champ des blessures par armes portatives et par éclats de grenade. Le gros de la patrouille se trouve trop loin en avant de la position de base pour porter secours à la section. Le caporal Cormier prend sans tarder les mesures requises pour déloger l'ennemi de son embuscade. Un de ses hommes, gisant blessé sur le sol, est attaqué par un Chinois qui se jette sur lui. Le caporal Cormier s’élance à son tour sur l’assaillant, le repousse, puis fait feu sur lui, le tuant sur le coup. Il s’occupe ensuite du reste de la section : avec un sang-froid et une précision admirable il tire sur les soldats ennemis, en abat un et force les autres à se disperser. Le caporal Cormier s’empresse alors de transporter ses blessés au centre de la section de base et d’organiser le reste de sa section en vue d'une défense efficace. Grâce à son sang-froid et à son agressivité, on a pu conserver la position de base et permettre ainsi au gros de la patrouille, de se replier sans autre incident. En plus d'avoir abattu lui-même deux soldats ennemis, le caporal Cormier a sauvé d’une capture certaine deux de ses hommes blessés. Sa conduite a inspiré les hommes de sa section et de son peloton, tout en offrant un bel exemple de direction audacieuse.
C'est tout, Monsieur.