Adeline J. Bowland a servi comme infirmière pendant la Deuxième Guerre mondiale. Veuillez lire et écouter le témoignage d'Adeline Bowland en bas.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
Je m’appelle « Adeline », comme vous l’avez dit, mais personne ne le prononce ainsi. C’est ma grand-mère canadienne-française qui s’appelait Adeline (rires). Je ne corrige jamais personne, mais c’est plutôt intéressant. Il y a une grande différence entre les deux prononciations, mais j’aime bien Adeline, qui me paraît plus juste et plus moderne, enfin je crois...
Bref, je suis née en 1915, ce qui me fait rougir car ça ne me rajeunit pas, un 8 février. Je suis née à Kamloops, en Colombie-Britannique, à l’hôpital Royal Inland, qui est aujourd’hui très imposant mais qui était très petit à l’époque. À 20 ans, je suis allé étudier la profession d’infirmière à l’Hôpital Royal Victoria de Montréal. Puis la guerre a éclaté, et je suis partie outre-mer à 26 ans, je crois.
Là-bas, j’ai travaillé dans un hôpital mais aussi dans quelques autres, puisque que notre unité n’était pas vraiment établie ni rattachée à aucun hôpital en particulier, jusqu’à ce qu’on nous envoie à Horley, près de Maidenhead.
Eh bien, j’ai trouvé que le travail d’infirmière reste plus ou moins le même en temps de guerre ou de paix. Il y avait beaucoup de fractures, et je faisais beaucoup de plâtres orthopédiques. Rien de très passionnant. Le train-train normal, quoi... Puis soudain, tout a basculé le 6 novembre à 18 heures, quand nous avons été torpillés sur la Méditerranée (rires). C’était très impressionnant. Et bien sûr, nous faisions partie d’un convoi et il avançait très lentement. Et justement, nous faisions depuis plusieurs jours des exercices d’évacuation en prévision d’un incident du genre. Nous savions donc où prendre place pour monter calmement à bord des canots de sauvetage… puis nous retrouver en pleine mer (rires).
Il a suffi de quelques minutes pour que tout bascule. Et je me souviens de ma réaction quand nous nous sommes retrouvés au milieu d’une immense masse d’eau à six heures du soir, car c’était une soirée de pleine lune au ciel légèrement nuageux. Ç’aurait pu être très beau et très romantique, mais je me suis plutôt demandé comment on allait nous sortir de là (rires)... Et soudain, un autre bateau a foncé sur nous et c’était un destroyer américain. Nous sommes montés à bord pour y passer la nuit et mettre ensuite le cap sur l’Afrique du Nord, où nous avions un hôpital. Nous y sommes restés un certain temps, puis un bateau français est venu nous chercher pour finalement nous mener à notre véritable destination, qui était l’Italie, à Naples (rires).
Ce qu’il y avait de merveilleux, c’était cet « esprit de corps » qui nous unissait. C’était formidable, vous savez... Et c’est ce qui nous manquait le plus lorsqu’on quittait le service. Ce sentiment et cette chaleur humaine avec les patients, les soldats. Ils avaient une telle discipline militaire qu’ils ne posaient jamais le moindre problème. Le travail, voilà ce qui comptait, et c’était toujours très sérieux. Mais bien sûr, on sortait le soir dans les pubs, mais c’était tout et ça s’arrêtait là. Même si je crois qu’il y avait un peu de flirt entre patients et infirmières. Après tout, on ne peut empêcher cela (rires), quel que soit le rang qu’on occupe. Mais bon, c’était sans conséquences, nous faisions tous la même chose… et c’était la guerre.
Je me suis enrôlée dès que le Canada est entré en guerre, qu’il s’est joint à tout le système. J’ai été appelée à peine deux ou trois semaines plus tard. Alors, on nous faisait nos uniformes à la hâte et nous montions aussitôt à bord d’un navire. Et vous savez, en quelques semaines seulement, je quittais le Canada pour l’Angleterre. Et c’était captivant.
Une fois arrivées en Angleterre, on nous a réparties dans différents hôpitaux jusqu’à on détermine quel serait le nôtre. C’est donc progressivement que nous avons pris conscience de ce qu’était la guerre. Les choses se sont bien déroulées et je n’ai rien remis en question. J’étais heureuse de me rendre aussi utile, car je n’aurais jamais imaginé avoir cette chance en devenant infirmière. Très franchement, y a-t-il plus belle occasion que de servir son pays à la guerre ?
Nous vivions au jour le jour et je ne me suis jamais lamenté de quoi que ce soit. J’acceptais la situation et tout ce qui nous arrivait. Puis on finit par oublier (rires). On apprécie ce que l’on a et on voit les choses sous le meilleur jour possible.
Je me souviens que dès notre arrivée en Angleterre, nous avons dû apprendre à conduire une bicyclette. Chacune avait la sienne, car nous nous déplacions beaucoup et qu’il n’y avait ni voitures ni moyens de transport. Alors nous roulions à bicyclette et le soir, nous pouvions aller au pub (rires). C’était très agréable parce que tout le monde s’y rassemblait. On ne buvait jamais, en fait. C’était pour se retrouver ensemble. Parce que nous étions tout à côté de Force aérienne, de la RAF. Et il y avait bien sûr tous ces garçons (rires)... Mais bon, le pub fermait à 22 heures de toute façon. « C’est fini, messieurs », lançait le serveur. Nous enfourchions alors nos bicyclettes et roulions sur deux kilomètres pour rentrer à l’hôpital et nous mettre au lit. Dès le réveil, nous reprenions notre routine. Le pub était donc un important lieu de rencontre, notre centre social en quelque sorte. C’était la belle vie, ne dirait-on pas ? Ça ressemble assez peu à la guerre, non ?
(Rires) À vrai dire, nous avions des patients gravement blessés, et voilà ce qu’était la guerre pour nous. Mais comme infirmière, le travail est le même partout.