Albert Salomon Charest a servi dans l'armée pendant la Deuxième Guerre mondiale. Veuillez lire et écouter le témoignage d'Albert Charest ci-dessous.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
Je suis né dans une famille pauvre. À dix ans j'ai commencé à travailler, aller arracher des patates avec mon petit frère. On ramassait des patates pour faire vivre la famille l'hiver. Mon père était mort et puis ma mère était prise avec cinq enfants.
Elle était obligée d'aller quêter auprès du curé pour avoir du soutien pour l'hiver.
Un de mes amis m'a demandé si je voulais m'enrôler. « Qu’est-ce que tu me racontes là? Ça n'a pas de bon sens. Pour s’enrôler, il faut avoir au moins dix-huit ans, moi je n’ai pas dix-huit ans encore. […] » Il dit qu’on va être nourri, et pour certain
on va être couchés. – On y va!
Quand on a pris le Monte Cassino, c’était désastreux aussi. Pour moi, ça m'a touché terriblement. Ils ont débâti, à peu près – on ne dit pas qu’une ville était là. Ils ont tout démoli le village, il y avait plusieurs personnes, c'était un gros village,
j’ai des photos de tout ça, c’est un gros village. […] Le lendemain matin ils ont commencé de bonne heure à nettoyer tout ça, il fallait qu’ils passent, les autres là. Il fallait enlever la "gang" sur la montagne. Les Allemands étaient tous faits prisonniers
dans ce coin-là C’est la troisième fois qu’on s’y prenait pour passer là. On n'était pas capable de passer. Ils étaient là. Ils nous voyaient passer et "bang!", ils nous "shootaient". Là où on avait réussi à y aller, il y avait des experts qui y sont
allés par en arrière, puis ils les ont pincés. On est venu à bout de monter et on les a eus. Le lendemain matin, après qu’on a pu passer avec des camions, on a sorti nos camions, environ soixante-dix camions, et on est parti.
Nous avons passé dans le village. Moi, j'étais le premier avec le sergent. Le sergent était mieux qu'un major. C'était un sergent extraordinaire. Je n’en ai jamais vu comme ça. Il était fin ce sergent-là. Un père pour moi. À chaque fois que j'en parle
ça me touche.
Il y avait un petit gars – il y avait un trou là, et un petit gars qui était debout dans le trou. Le sergent dit: « Arrête Albert. » . Ça fait que j’ai arrêté, on a arrêté le convoi, le sergent est allé voir le petit gars: « Est-tu seul? ». Il a dit
« Oui, mes parents sont tous morts. J'ai dit « Ça n'a pas de sens! » Je lui ai dit « Veux-tu embarquer avec nous autres? » Le petit gars a dit: « Je vais embarquer certain. Je n'ai pas de soutien, je n’ai rien. » Le sergent l'a invité à venir avec nous
et il a accepté. Il a embarqué avec nous autres, il a assis dans une Jeep, on l’amenait. On l’a pris comme un petit soldat. On l’habillait comme un petit soldat et on le traînait avec nous autres. Une journée il partait avec un camion et le lendemain
il partait avec un autre. Il est devenu notre petit frère. C’est touchant.
On a eu un moment de repos à Ortona. On a eu un, deux ou trois mois de repos. Ortona ça été une grosse bataille. On a perdu beaucoup, beaucoup de monde là. Ortona c’est une grosse ville, quelque chose de chic et de riche. [Les Allemands] ont démoli
ça par terre, comme ça. Pour moi, c'était plus facile en Hollande. C'était plus facile parce que le transport était plus facile pour nous autres. On était toujours en arrière des lignes. On faisait du ravitaillement. On allait en Allemagne, on allait
faire le ravitaillement en Allemagne. Ensuite, on faisait le transport avec des camions. Là où ils [les Allemands] brisaient les ponts, on les réparait et on passait là-dessus et on faisait du transport. On amenait des troupes, du manger, et des munitions.
En Hollande ça été moins dur qu'en Italie ou qu'en France.
Si jamais vous allez en Hollande, vous allez vous sentir mieux que chez vous. C'est vrai ce que je vous dis là. On était accueilli là les uns et les autres, ce n’est pas possible à quel point l’on peut être accueilli comme dans ce pays-là. Les Canadiens
français pour eux autres sont des dieux c'est eux qui leurs ont sauvé la vie. Je me rappelle à Amsterdam, les Allemands étaient salauds, ils étaient cochons au bout. Ils avaient crucifié neuf personnes au pied d'un grand monument – si vous êtes allé
à Amsterdam, le grand monument qui est là par-devant lequel ils font des grandes cérémonies, il y a un gros monument là – ils les avaient crucifiés, ils les ont tués, ces gens-là, devant des milliers de personnes. Des écœurants.
J'ai vu pire que ça encore. J'ai vu une mère de famille en Italie avec ses trois petits enfants. Il avait une meule de foin, pour ces petits ânes, ces chèvres. Elle n'avait que ça pour l’hiver. Ils [les Allemands] ont pris la madame, ils l’ont attachée
auprès de ça, et puis les trois petits enfants avec elle, et ils ont mis le feu à la madame et ils sont partis en volant les animaux. Ça c'est les Allemands ça! C'est vrai ce que je vous dis là, je ne suis pas menteur.
J'ai vu des pauvres femmes. Le matin elles s'en venaient lorsqu'on déjeunait. C'était défendu pour nous autres de leur donner ce qu’il nous restait, des toasts. On prenait nos restes et il fallait les jeter à la poubelle au lieu de leur donner.
Les mesdames avaient deux petits bébés à côté d’eux autres, des enfants de deux ou trois ans. Pauvre elles. Elles étaient mal habillées, elles mettaient ce qu’elles pouvaient. Elles venaient nous voir avec des petites chaudières pour recueillir quelque
chose pour faire manger leurs petits enfants. Moi je ne me gênais pas, des fois je me privais d’une toast et je laissais tomber ça dans la petite chaudière. Je me suis fait prendre quelques fois, mais j’ai dit: « Écoutez une minute, là. Ce sont
des êtres humains comme nous autres. Nous allions jeter tous ce surplus, alors qu'on pourrait les aider à manger et survivre. Si vous avez une punition à me donner je suis prêt à la prendre. Ça va être moins pire que de ne rien faire. »
Ils voyaient ce que c'est la guerre à la télévision, mais la guerre à la télévision c'est une bébelle. C'est un jeu, c'est un jeu qu'ils font là. C'est de la comédie.