Pilotant un Avro Lancaster lors d’un raid sur la ville Stuttgart en Allemagne, Alex Campbell et son équipage ont été abattus par un appareil ennemi. Il nous fait ici le récit de sa dernière mission.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
Le matin du 28 juillet, j’ai regardé le tableau d’affichage dans le mess des officiers. Alphabétiquement ça devait donner Armstrong, Baker, Campbell. Zut alors. C’est à nous. D’un côté, ça fait redescendre la pression, et d’un autre côté le début d’une
journée d’horreur. Votre estomac se tord dans tous les sens et vous avez la gorge sèche, mais vous racontez des blagues tout le temps, des blagues stupides, pour éviter de sombrer.
Et on est descendus voir les armuriers, oui, tout est plein, on a refait le plein de carburant. Il s’agissait d’un long vol, on en a parlé et on s’est dit, bon, pas possible que ce soit Stuttgart ; on avait anéanti cette ville deux nuits plus tôt.
Et on est tous à l’intérieur maintenant, on est assis. Le commandant fait son entrée, et bon, comme on est des gens polis.
On s’est tous rassis et il s’avance et dit : « Et maintenant, voici votre cible, » et ils ont relevé le drap et il y avait une ligne en zigzag qui allait jusqu’à Stuttgart, les grognements. Personnellement, je n’ai pas fait de vol sur
Berlin, mais apparemment c’était très dur pour le moral d’aller à Berlin autant de fois.
Mais en tout cas, on est partis. On a décollé à, officiellement d’après le livre : 21 h 47. C’est à dire dix heures moins le quart, à peu près. Dix heures moins treize exactement. Et comme c’est écrit après dans le script : « On
n’a pas eu de nouvelles de l’avion depuis. » On a volé pendant cinquante minutes là-bas et deux heures. Le pilote allemand qui nous a descendus a noté dans son journal de bord : « Vu, ouvert le feu à 0 h 1 le 29 juillet. »
Ils étaient très efficaces, les Allemands, ont toujours donné cette impression. Et c’est bien le moment où il a ouvert le feu.
Donc, deux heures et quatorze minutes plus tard, on venait juste de dépasser Châteaudun [France] et cinq minutes avant à peu près, j’avais remarqué le ciel en train de s’éclaircir à travers les nuages. Et j’ai dit, vous savez, je pense que ça ne va pas
durer jusqu’à la cible. Ça devait être comme ça jusqu’à environ 80 kilomètres de Stuttgart, la couverture nuageuse. Et ils étaient tous parfaitement entraînés avec les instruments de vol. Vous vous sentez plus en sécurité aussi et ça ne me plaisait pas
trop, mais je n’étais pas vraiment inquiet non plus.
Et j’ai dit que j’allais monter voir quelle était l’épaisseur de ce nuage. Donc j’ai grimpé jusque là-haut, et je me suis retrouvé en plein clair de lune et je suis sûr qu’il y avait deux ou trois autres [Avro] Lancaster sans doute en train de faire
la même chose parce qu’ils étaient en plein dedans eux aussi. Et il y avait tout un groupe, on était plusieurs centaines dans ce nuage. Alors, zut, on va descendre pour voir. Bon sang, il ne fait plus que 500 pieds d’épaisseur maintenant et il n’était
pas très étendu non plus. Et je crois qu’il était minuit moins une, minuit moins deux. C’est parce que, Ben, l’opérateur radio, avait dit : « Message au capitaine. Quitte Monica maintenant, me remets sur la fréquence de la base. »
Il recevait des comptes-rendus météo à l’heure pile et à la demie, et les changements de cap si nécessaire. Et il a quitté son Monica [radar de couverture arrière] et à peine avait-il fait ça que le mitrailleur arrière a crié à pleins poumons :
« Chasseur à bâbord ! » Mais les obus étaient déjà en route. Le Junker 88 [bimoteur allemand], qui était derrière nous en dessous du nuage, nous avait vus. Il a dit qu’il était à une cinquantaine de mètres derrière nous quand
il a ouvert le feu. C’est comme que dans cette pièce, ici. Oh ! Bon sang.
Non, les obus nous ont anéantis immédiatement. J’ai donné l’ordre de se préparer à évacuer l’appareil. Mettre les parachutes. Vous répétez ça très distinctement. Pour vous assurer que la conversation n’a pas été brouillée. La seule personne qui n’avait
pas pu m’entendre c’était le mitrailleur dorsal parce que les obus avaient pulvérisé sa tourelle. Il n’avait pas été touché directement, mais il était couvert d’éclats d’obus et de plexiglas. Et il avait les dessous de bras constellés d’éclats et c’était
douloureux.
J’ai dit : « Jonesy, qu’est-ce que tu fabriques ? Ton boulot c’est de descendre l’ennemi, pas de rester assis avec les mains au-dessus du visage ou de la tête comme ça. » Il répond : « C’est justement ce que j’étais en train
de faire. » Il avait les mains en l’air comme ça à cause des projections de plexiglas qui étaient cinglantes. Il avait des coupures sur le visage et les bras.
Le viseur de lance-bombes était le premier à sortir parce qu’il se trouvait à l’avant. Il a ouvert la porte de la trappe d’évacuation et l’a placée dans la tourelle avant. Il avait une tourelle à cet endroit aussi. Il devait la placer là-haut pour qu’elle
ne se coince pas à l’ouverture. Le suivant, c’était Bob Giffen, le copilote. Mais malheureusement, quand il a descendu les deux petites marches, son câble d’ouverture de parachute s’est coincé et son parachute s’est ouvert tout d’un coup, remplissant
le cockpit de soie et de suspente. Les suspentes qui voltigeaient étaient tout emmêlées et le mécanicien de bord a réussi de main de maitre à refermer le parachute et lui remettre sur le dos et il l’a fait descendre et dehors par le trou. Mais malheureusement,
il est mort, son parachute ne fonctionnait pas correctement et le lendemain matin, sur le sol, il était mort.
En tout cas, je suis sorti et je n’allais pas compter un, deux, trois avant de tirer sur le câble d’ouverture du parachute. On doit faire ça afin de s’éloigner de la roue de queue et éviter de d’avoir la tête tranchée, vous savez, parce que votre vitesse
diminue.
Le corps humain tombe à une vitesse limite de chute de 192 km/h. En arrondissant. Alors j’ai ralenti et je n’ai pas compté un, deux, trois. J’ai essayé d’attraper mon câble d’ouverture de parachute. Il n’était pas là, parti. Pas de harnais sur le
torse non plus. Et j’ai pensé : « Ne me dites pas qu’après tout ça je vais, c’est ce qui va m’achever. »
J’ai vu quelque chose scintiller au-dessus et ça a attiré mon regard dans cette direction. Et j’ai vu une tache sombre ; c’était mon parachute qui se balançait. J’ai pensé : « Mon Dieu, je l’ai toujours avec moi. » J’ai fléchi mes
pieds pour l’atteindre et j’ai senti un petit coup par là, et il s’agissait bien de mes sangles de cuisse qui s’étaient enroulées autour de mes chevilles et elles étaient toujours là. Et j’ai récupéré le harnais. J’ai trouvé le câble d’ouverture du parachute
instantanément. J’ai tiré dessus, enfoncé mes doigts dans le harnais et presque immédiatement, le parachute a juste, bang, il s’est ouvert. Avec un grand claquement sur mes chevilles. Je me suis retrouvé la tête en bas et ça m’a donné l’impression d’être
immobile comparé à l’allure où je descendais avant ça.
Et j’ai vu quelque chose que j’ai pris pour un toit. J’ai commencé à pivoter. Je crois que j’avais un peu avancé entre moi et le parachute et j’ai cru voir un toit se profiler en me rapprochant. Alors j’ai tendu le cou. Il fallait porter tout mon poids
sur les épaules. J’allais remonter les genoux pour avoir tout le poids sur les épaules et, vlan, j’ai touché le sol, comme ça, et oui. Je suis étendu là. J’ai vu que ce champ était couvert de chaume, c’était un champ de blé ; je me suis levé et
j’ai regardé alentour. L’avion était en train de brûler pas très loin de là, il y avait des explosions qui provenaient du fuselage pressurisé, et des cylindres à l’intérieur de l’appareil et ainsi de suite.
Et toutes nos bombes étaient encore à bord. Et, en tout cas, j’ai choisi la bonne maison. Il y avait deux maisons à portée de vue. À l’extérieur de l’une d’elles il y avait des hommes et des femmes, mais seulement des femmes à l’extérieur de l’autre.
Bon, je me suis allé dans leur direction. Je sais que je peux sûrement courir plus vite qu’eux s’ils se montrent inamicaux. Mais, non. Et vous savez, il me semble que, je crois que ce sera tout pour aujourd’hui.