Alex Rezanowich a servi dans l’Artillerie royale canadienne pendant la Deuxième Guerre mondiale. Voici son témoignage.
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Transcription
Je m’appelle Alex Rezanowich. J’étais dans le 1er Régiment de topographie de l’Artillerie royale canadienne. Nous avons servi en Grande-Bretagne, puis nous sommes allés en Italie pour nous retrouver finalement aux Pays-Bas au début de l’année 1945, à la fin de la guerre. Notre régiment, le 1er Régiment de topographie, est venu d’Italie pour participer à l’incursion ultime en Allemagne. Après le jour de la Victoire en Europe, nous nous occupions des prisonniers allemands et les envoyions sur la longue route de retour en Allemagne. Nous avons ensuite appris que le régiment de topographie avait une autre tâche à accomplir avant la fin de la guerre. C’était sur l’île de Texel, où il y avait encore un groupe armé d’Allemands combattant les Russes ou les Géorgiens qui s’étaient rebellés. C’était le 20 mai, environ deux semaines après l’armistice. Ces Géorgiens étaient des prisonniers capturés sur le front de l’Est. Ils ont été tellement maltraités (battus, affamés, etc.) que certains d’entre eux se sont portés volontaires pour rejoindre l’armée en tant que non-combattants. Au début du mois d’avril, les Allemands ont rompu leur promesse et ont voulu envoyer le bataillon géorgien, qui se trouvait d’ailleurs à ce moment-là sur l’île de Texel, pour combattre les Canadiens en progression. Il en a résulté une rébellion au cours de laquelle beaucoup d’Allemands ont péri dans un raid nocturne surprise. Les Allemands ont fait venir des renforts du continent et ont vaincu les rebelles. Les Géorgiens encore en vie ont alors fui en campagne et ont mené une violente guérilla, où aucun des deux camps n’a fait de prisonniers. Lorsque nous sommes arrivés vers le 20 mai, les Allemands et les Géorgiens s’échangeaient encore des tirs. Les Géorgiens ont été aidés par la résistance néerlandaise et les civils néerlandais sur l’île. Nous avions comme mission de rétablir la paix et d’expulser l’armée allemande de Texel dans les plus brefs délais. À notre arrivée, tout s’est bien déroulé. On était très content de nous voir, surtout les Allemands. Le lendemain, les forces allemandes ont été rassemblées et rapidement escortées jusqu’au traversier, puis jusqu’au continent, où un autre de nos groupes les a renvoyées en Allemagne. Les Géorgiens sont alors sortis de leur cachette, très heureux de nous voir. Ils ont été très gentils, nous n’avons eu aucun ennui avec eux. J’ai essayé de parler à certains d’entre eux en langage des signes, notamment, et j’ai eu l’impression qu’ils ne voulaient pas retourner en Russie. La bataille n’avait laissé qu’environ deux cents survivants. Le lendemain, c’était le 22. Des représentants néerlandais sont arrivés du continent, cherchant des fosses communes de civils néerlandais tués par les Allemands. Ils ont mis au jour deux fosses dans notre région, et j’en ai été témoin, mais aucune d’entre elles ne contenait de soldats néerlandais. C’étaient des soldats géorgiens. Nous avons quitté Texel quelques jours plus tard, et voilà! Je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi l’Armée canadienne a attendu jusqu’à la fin du mois de mai pour envoyer le régiment de topographie à Texel : nous étions libres après le jour de la Victoire en Europe, nous ne faisions qu’envoyer des Allemands en Allemagne. Je pourrais ajouter, à titre complémentaire, que nous avons compris que les Russes ne voyaient pas d’un bon œil le retour des prisonniers de guerre, et beaucoup d’entre eux ont été tués, emprisonnés ou envoyés en Sibérie, par exemple. Les Géorgiens n’avaient pas vraiment le goût de rentrer, je suppose. Mais le général Foulkes, commandant du 1er Corps, a écrit une lettre dans laquelle il félicitait les Géorgiens d’avoir tué autant d’Allemands et d’avoir offert une forte résistance, ce qui, selon lui, a grandement aidé l’Armée canadienne dans sa progression vers le nord des Pays-Bas. En 2000, quelques-uns d’entre nous sont retournés à Texel et ont découvert que les Géorgiens se portaient bien et que certains d’entre eux revenaient parfois sur l’île pour voir les tombes de leurs camarades enterrés dans un beau cimetière.