En 2010, le Projet Mémoire a interviewé Alice Margaret Dalseg (née Kenny), qui a servi dans la British Women’s Land Army durant la Deuxième Guerre mondiale. L’enregistrement (et la transcription) qui suit est un extrait de cette entrevue. Alice Margaret Kenny est née à Newton-le-Willows en Angleterre, le 24 septembre 1926. Elle s’est enrôlée dans la British Women’s Land Army en 1942, et a servi comme ouvrière agricole sur des fermes de la campagne anglaise. Alice a rencontré son premier mari Blythe « Buzz » Boles de l’Aviation royale canadienne, lors d’une danse pour les militaires. Elle a quitté la Land Army en 1944 lorsqu’elle est tombée enceinte, et a immigré au Canada comme épouse de guerre en 1946. Dans son entrevue, Alice nous parle des détails des uniformes et de l’équipement qui lui ont été remis, ainsi que de son expérience de travail sur la ferme de lin. Elle réfléchit à ce qu’était la vie sur ces fermes rurales où elle et d’autres femmes militaires étaient affectées, et sur ce qu’elles faisaient comme loisirs. Alice Margaret Dalseg (née Kenny) est décédée le 27 août 2019 à Perth en Ontario.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
Je me suis enrôlée à 16 ans. Il fallait avoir 17 ans et demi pour intégrer les autres services, mais je ne voulais pas attendre. Je suis donc allée avec un groupe de volontaires à Northampton [Angleterre]. Nous avions reçu nos uniformes avant de quitter Londres et j’étais fière de l’allure qu’ils nous donnaient. Je n’arrêtais pas de m’en vanter! La tenue se composait d’un pantalon d’équitation beige, de bas de golf en laine couleur crème qui allaient jusqu’au genou, de richelieus marron, d’une chemise en tissu filet de couleur crème, d’un chandail en laine avec col en V vert émeraude et d’un manteau fauve qui allait aussi jusqu’au genou; c’était un manteau court et épais typiquement britannique, qu’on appelait aussi affectueusement « protège-derrière ». Nous portions des chapeaux pork pie fauve avec une bande vert foncé et un insigne. Le premier matin, nous sommes sorties et on nous a envoyées sur des vélos. C’étaient de vieilles carcasses qu’on s’amusait à qualifier de restants de la dernière guerre. Puis les vêtements de travail prenaient le relais. Nous portions des salopettes à bavette et à bretelles ainsi que des bottes noires de l’armée. À Londres, on nous avait dit que nous ne travaillerions que des demi-journées pendant la première ou les deux premières semaines, afin de nous habituer. Mais ce n’est pas arrivé ainsi. C’était à la fin du mois d’août ou en septembre, si je ne m’abuse, car c’était près de mon anniversaire. Il faisait anormalement chaud. Notre groupe d’environ six ou huit personnes avait été emmené dans un grand champ jonché de grandes bottes de lin éparpillées sur le sol. La mission était de ramasser les bottes et de les mettre en groupes de quatre ou cinq, l’une par-dessus l’autre. C’était pour qu’elles sèchent. Le lin est comme la ronce : impossible de s’en sortir sans égratignures! Nous avons travaillé jusqu’à environ 17 h, puis nous avons parcouru les cinq kilomètres qui nous séparaient de la caserne, l’entrain du début de la journée presque complètement dissipé. Il fallait ensuite battre le lin. Les filles de l’armée de terre britannique comme moi prenaient généralement place dans le trou poussiéreux entre la pile et la machine. C’est nous qui surveillions la botte quand elle tombait après le battage. Au fond de la goulotte carrée, il y avait quatre crochets auxquels était suspendu un grand sac en toile de jute. Lorsque le sac était plein, il fallait le détacher rapidement des crochets et le remplacer par un sac vide. On fermait ensuite le sac plein à la hâte avec un morceau de ficelle et on le jetait sur une grande pile. Il fallait tout faire ça avant que le sac suivant commence à déborder. C’était le genre de travail que nous devions accomplir. Comme partout dans l’armée, les filles avec plus d’ancienneté n’étaient pas à plaindre. Certaines d’entre elles habitaient même dans les fermes avec les familles d’agriculteurs, bénéficiant de repas cinq étoiles et de tout le confort d’une maison. Le reste de mon équipe et moi devions nous contenter de l’horrible nourriture que nous balançaient quelques femmes de la région qui travaillaient dans la cuisine. On nous avait préparé un nouveau repas composé d’un thermos de thé, de deux sandwichs très secs et d’une minable pomme à cuire pour dessert qu’il fallait inspecter pour s’assurer qu’il n’avait pas de vers dedans! Le déjeuner était du gruau tous les matins et un œuf le dimanche. Le repas du soir était généralement composé d’un plat de viande hachée cuite « deux fois » mélangée à des légumes, comme un pâté chinois complètement dénaturé. Nous nous demandions à voix haute qui avait bien pu déguster le rôti dont les restes avaient été hachés pour créer les aberrations qui nous servaient de repas. Le dimanche après-midi était agréable, nous allions à Market Harborough [une petite ville marchande] et dépensions notre maigre salaire dans tout ce que nous pouvions trouver à manger. Souvent, le soir, nous nous rendions à vélo à la batterie antiaérienne voisine, où nous rejoignions les jeunes garçons dans leur salle commune. Nous dansions au son du gramophone, parlions et buvions du thé. Plus tard dans la soirée, nous rentrions à la maison en nous traînant dans les sombres chemins de campagne. Les gentilshommes poussaient les vélos des filles tandis que nous chantions tous des chansons d’antan sur la guerre, la paix et l’amour.