M. Allison Furlotte est un vétéran de la Guerre de Corée qui fut déployé outre-mer pendant la période suivant l'armistice de 1953. Il servit avec le 4th Battalion, The Canadian Guards.
Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
En 52 je crois, je me suis engagé dans l’armée. Je suis passé à pied près du bureau de recrutement un jour et je regardais les photos dans la vitrine, les chars et les camions et les trucs comme ça. Je n’ai jamais, je ne suis pas passé par là avec l’intention de m’engager quelque part. Mais le sergent était debout dans l’embrasure de la porte et il m’a demandé si c’était quelque chose qui m’intéressait, que je pourrai conduire un de ces engins. Ça m’a bien plu.
En tout cas, il m’a invité à entrer. Et je suis entré. Et il m’a fait passer un entretien et j’ai fini par signer.
En Corée, on patrouillait le long du 38e parallèle [qui sépare la Corée du Nord et la Corée du Sud], avec Jimmy Dickey, il est décédé, il y a déjà longtemps. Et au milieu de la nuit, à deux ou trois heures du matin, une nuit très noire, il y a eu une explosion pas très loin du sentier sécurisé où on devait patrouiller.
Et j’avais sûrement le dos tourné parce que j’ai été blessé à l’arrière de la jambe. Et j’ai eu la jambe vraiment abimée là. Et des zébrures ici, sur le passage des éclats d’obus. Et un docteur m’a dit que j’avais encore deux petites tâches sur la colonne vertébrale là où c’est passé à travers ma sangle.
Et j’ai été projeté dans le champ de mines. Mais je ne me souviens de rien du tout là-bas. C’est arrivé tellement vite.
Et le lendemain quand je ne suis pas rentré, je suppose que quand mon partenaire – je ne me suis pas présenté, parce qu’on avait l’habitude de se croiser. Il a dû faire quelque chose. Et comme je l’ai dit, j’ai été projeté à une huitaine, dizaine de mètres à l’intérieur du champ de mines. Et des années et des années – bien après la guerre, les gars m’ont dit : « Tu devrais faire une demande d’indemnisation ou quelque chose parce que tu as été blessé. »
Et après qu’ils aient réussi à me persuader, j’ai fait une demande, mais on ne m’a rien accordé parce qu’il n’y avait pas de compte-rendu de mon accident. Pas de rapport, rien du tout. Enfin, c’est ce qu’on m’a dit en tout cas.
Alors j’ai laissé tomber pendant quelque temps, les gars m’ont dit que maintenant je devrais insister. Alors j’ai refait une demande et on m’a encore refusé l’indemnité. Et à ce moment-là ils m’ont dit que c’était dommage que je n’aie pas de témoin. Bon, la seule personne qui était dans le coin c’était mon ami qui se trouvait un peu plus loin sur le sentier. Et il est parti depuis longtemps. Il est mort.
Donc à une des conventions, il y avait un orateur qui nous a dit que si on entendait parler de quelqu’un qui avait été blessé; ils aimeraient bien le savoir et tout. Alors j’ai pris le micro et j’ai demandé si quelqu’un avait été témoin de ce qui m’était arrivé, parce que personne ne semblait être au courant. Et ma compagnie n’avait pas de compte-rendu.
Et l’année suivante, ce gars vient me voir en pleurant et il dit oui, il a dit qu’il les avait aidés à me mettre sur le brancard et qu’ils m’avaient transporté en hélicoptère. Et j’étais tellement content, je lui ai demandé s’il accepterait d’écrire une lettre. Et je lui ai donné l’adresse et il savait où adresser la lettre. Et il m’en a fait une copie.
J’ai essayé de la retrouver et je n’ai pas réussi à la trouver. Je voulais l’apporter ce matin.
Et j’ai dit, bon maintenant que j’ai un témoin il ne va plus y avoir aucun problème. Et ils ont refusé encore une fois. Alors j’ai laissé tomber. Je ne me suis plus embêté avec ça. Mais ma jambe me dérange. Je sens des sortes de vibrations et ça m’élance beaucoup.
J’avais la jambe en bouillie. Mais en tout cas, je me suis réveillé le lendemain, à dix heures par là, onze heures et il y avait beaucoup de mouvement dans l’hôpital de campagne, une grande tente. Et ils avaient l’air d’emballer leurs affaires.
Et une des infirmières est venue jeter un coup d’œil à mes blessures et je lui ai demandé où j’étais. Elle a répondu, je ne me souviens plus si elle a répondu l’hôpital australien ou néo-zélandais. Mais elle a dit qu’ils étaient en train d’emballer leurs affaires, qu’ils s’en allaient. On déménage.
C’était l’époque du cessez-le-feu [après la signature de l’armistice le 27 juillet 1953]. Les gens s’en allaient. Et elle a dit que je ferais mieux d’avertir ma compagnie. J’arrivais à peine à parler tellement j’avais mal. Je ne pouvais pas. Je veux dire comment j’allais faire quelque chose comme ça.
Et une autre s’est présentée et je lui ai fait signe pour qu’elle s’approche. Et je lui ai demandé ce qui allait m’arriver. Bon, elle n’en savait rien. Elle a dit qu’on n’aurait pas dû m’amener là; qu’ils auraient dû m’amener dans mon propre hôpital de campagne
Bon en tout cas, quatre ou cinq heures est arrivé, et avec une civière et une béquille. Ils ont dit qu’ils allaient me donner une petite tente, et qu’on allait me mettre à l’ombre avec un bidon de trois litres d’eau et une boite de craquelins. Ils vont venir te chercher. Il y a des gens qui sont à la recherche de ceux qui manquent à l’appel.
Or, cela se passait pendant le cessez-le-feu. Alors je me suis figuré, et si c’est comme ça, c’est comme ça. Vous êtes un soldat. Vous ne devez pas trop vous plaindre quoiqu’il arrive. Vous suivez le règlement. Donc, ils m’ont mis dans cette petite tente. Et je ne pouvais pas marcher à ce moment-là. Je ne pouvais pas. J’avais trop mal.
Je n’avais rien de cassé ni rien. C’était juste les muscles qui étaient tout déchirés. Et ils ont entouré tout ça de bandages. Et ils m’ont donné des comprimés de quelque chose, je ne sais pas quoi.
Alors la nuit est passée. Et le lendemain matin, j’ai cru entendre des voix. Et j’ai essayé de brailler. Et ensuite, j’ai pensé que je ne devrais peut-être pas. Il se pouvait que ce soit des Nord-coréens, les pilleurs, si vous voyez ce que je veux dire. Quand vous partiez, ils venaient et récupéraient tout ce que vous aviez laissé parce qu’ils étaient tellement démunis.
Et j’ai essayé de brailler, mais j’avais trop mal. Et puis les voix se sont éloignées. La journée est passée. Et puis dans la soirée, je les ai entendues à nouveau, au loin. Alors je me suis trainé hors de cette tente minuscule qu’ils m’avaient donnée. C’était bien pour la journée parce que le soleil était chaud, mais la nuit il faisait froid. J’avais une seule couverture. Et on voyait à travers, et il faisait vraiment froid la nuit.
Alors j’ai rassemblé tout mon courage pour brailler pour de bon. Et les voix se sont éloignées à nouveau, et puis je les ai entendues encore. Et j’ai braillé à nouveau. Ensuite, elles sont devenues plus présentes. Je ne comprenais toujours pas ce qu’ils disaient. Je ne savais pas qui c’était.
Mais ce n’était pas les nôtres. C’était des soldats australiens ou néo-zélandais parce que j’étais dans leur secteur. Ils m’ont préparé et m’ont mis dans un camion et me voilà reparti dans mon unité.
Mais bien sûr, à ce moment-là, pendant quelques jours ils ne m’en ont pas trop demandé; et on me refaisait mes pansements régulièrement. Et je ne comprends pas comment il n’y a pas eu de dossier là-dessus.
J’ai quelqu’un qui a travaillé la question. Je ne me souviens plus de son nom. Et il a écrit à l’ambassadeur d’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Mais l’histoire, et il a dit : « S’ils étaient occupés à plier bagage, ils n’ont pas eu le temps de remplir des papiers. Ils vous ont soigné et se sont occupés de vous du mieux qu’ils pouvaient. » Et moi j’étais tout à fait satisfait de la manière dont ils s’occupaient de moi. Mais il ne m’est jamais venu à l’idée que j’aurais à rechercher des documents ou des renseignements.
Donc voilà, c’était mon histoire. Et ensuite, on est rentrés au pays.
J’adore la musique. J’ai commencé à jouer de la guitare quand j’avais quatre ou cinq ou six ans. Et mes grands frères eux aussi avaient des guitares. Et je grattais tout le temps ma guitare.
Mon père jouait du violon. Et ma mère avait une très belle voix. Donc tout le monde faisait de la musique dans ma famille.
Alors j’ai pensé emporter quelque chose comme un mélodica ou une guitare ou – mais c’était trop encombrant. Mais j’avais une mandoline. Et j’ai pensé qu’elle tiendrait dans mon sac militaire. Alors j’ai fourré la mandoline dans le sac et je pensais que quand j’allais la reprendre elle serait cassée, mais non. Elle n’était pas cassée.
Quand tout était calme, les gars me faisaient chanter et jouer de la guitare. Et un gars jouait des percussions sur un seau aussi. Ça sonnait bien. Et on prenait une bière ou deux et on chantait pendant plusieurs heures.
Et ça a continué comme ça. Et bien sûr, vu l’humidité, en dormant à l’extérieur, et des trucs comme ça, elle a commencé à partir en morceaux. Et je l’ai jetée dans les bois en pensant que je ne la reverrai jamais. Mais bon sang! deux semaines plus tard, voilà un gars qui se présente avec ma mandoline dans les mains. Il me dit que j’ai dû la perdre. Ils m’ont dit que c’était la tienne.
Je ne l’ai pas contredit. Je l’ai juste reprise. Mais elle partait en petits morceaux.
Alors quand les gars ont vu que j’avais retrouvé ma mandoline, ils ont voulu qu’on chante. Et elle avait encore les cordes. Mais elle sonnait faux. Vous ne pouviez pas […]. Comme je l’ai dit, elle tombait en morceaux.
Mais après quelques bières, ça n’avait plus d’importance qu’elle sonne juste ou pas. J’ai gratté cet instrument pendant un moment et quelques jours plus tard […] alors je l’ai jetée à nouveau, aussi loin que je pouvais l’envoyer.
Et bon sang de bonsoir, elle m’est revenue. Alors là, j’ai dit, c’est marrant. Je l’ai juste mise dans mon sac et elle est restée dedans. Et sur le bateau, je me suis dit, pourquoi est-ce que je la rapporte chez moi? Mais sur le bateau, ils ne jetaient pas les ordures par-dessus bord avant d’être à six jours au large, je pense. Alors il y avait des boites et des boites à ce moment-là sur le bateau. Alors je l’ai mise là-bas et je l’ai posé sur la boite. Et quelqu’un va peut-être la jeter par-dessus bord ou elle va passer par-dessus bord avec le reste des affaires.
Et bon sang, l’après-midi même, ce grand gaillard de couleur vient me voir et je comprenais à peine ce qu’il racontait. Et il m’a dit que quelqu’un lui avait dit, tu as perdu une […]? J’ai répondu oui. Quelqu’un m’a dit qu’elle était à toi. Il a cru que je l’avais peut-être oubliée là-bas. Elle était déglinguée.
Je l’ai juste prise et j’ai remercié le gars. Il était trop grand pour que je discute. Et je l’ai refourguée dans mon sac. Elle s’est retrouvée chez moi pendue dans mon atelier. Elle n’est pas belle à voir.
Elle ne voulait pas se séparer de moi. Elle semblait revenir encore et encore. Comme le chat qui revient. Les gars se moquent à cause de ça. Ils ont dit bon sang, tu as encore récupéré ta mandoline. Impossible de m’en débarrasser.