Prenez note que les sources primaires du Projet Mémoire abordent des témoignages personnels qui reflètent les interprétations de l'orateur. Les témoignages ne reflètent pas nécessairement les opinions du Projet Mémoire ou de Historica Canada.
Transcription
Beaucoup de gens ont eu le mal de mer, mais pas moi, donc j’ai aimé le voyage. Je me suis fait des amis à bord. On était dans une section spéciale parce qu’en ce temps-là on prenait soin des femmes, on ne se mêlait pas aux troupes. Il y avait un garde au bout du corridor où nous dormions. Donc, nous étions complètement séparées, sauf quand nous étions sur le pont où nous pouvions être ensemble, ce qui était agréable.
En tant que femme, nous avions des privilèges. Oui. Il y avait environ quatre différents moments dans la journée pour manger et nous étions en troisième position. On ne nous donnait que deux repas par jour, donc on nous encourageait à prendre des choses à emporter au cours de ces repas pour avoir quelque chose à manger entre. Il y avait un grand panier de petits pains au milieu de la table. Les gens préparaient leur prochain repas au cours du petit-déjeuner ou du dîner, cela dépendait.
Entre les repas nous jouions aux cartes dans le salon, nous marchions sur les ponts ou nous parlions aux amis. Je me souviens que tous mes boutons étaient devenus verts parce que j’aimais bien me tenir sur le pont et regarder par-dessus bord. Les embruns trempaient complètement mon uniforme et tous mes boutons tournaient au vert à cause du sel. J’ai eu des ennuis à cause de ça.
Nous sommes allés à Aldershot [Angleterre] et ça c’était vraiment quelque chose. Nous sommes sortis du bateau et on nous a conduit à Aldershot dans un wagon couvert ou une Jeep. C’était un long voyage et on n’y voyait rien. C’était la nuit mais, de toute façon, tout avait été obscurci. Donc nous avons fait notre première expérience de blackout. Quand nous sommes arrivés là-bas, on nous a conduit dans la salle à manger et on nous a donné à manger – Mon Dieu, c’était un terrible repas – des saucisses et du pain gris et de la margarine qui était absolument atroce. Et on s’est dit bon, on est en zone de guerre et c’est comme ça que les choses vont être à partir de maintenant. Tout était rationné et nous avons mangé quand même parce que nous avions faim.
Notre caserne était, nos matelas étaient en paille, je m’en souviens. Il y avait un fourneau au milieu de la pièce, cette longue, longue pièce et nous passions beaucoup de temps assises autour parce qu’il faisait tellement froid, très froid, on était en novembre. Le recrutement pour aller outre-mer avait commencé en septembre mais il y avait délai après délai parce que les bateaux coulaient les uns après les autres. Un nombre terrible de bateaux a coulé. Et nous n’en savions rien, nous savions juste que notre départ était remis. « Non, vous ne partez pas aujourd’hui, vous partirez la semaine prochaine », puis c’était « non, la semaine suivante ». Nous ne sommes partis de Kitchener où nous étions rassemblés qu’en novembre. Et non, nous n’étions au courant de rien. On nous en a parlé plus tard.
Et même le bateau sur lequel nous étions n’a pas traversé l’océan directement, il est passé par le sud de l’Espagne. Donc, tous les jours il faisait de plus en plus chaud et nous portions de moins en moins de vêtements. Nous ne savions pas pourquoi nous étions dans les tropiques, mais nous voulions échapper aux sous-marins. On ne nous disait rien de tout ça. Nous trouvions que nous faisions un beau voyage.
J’ai eu mon premier travail dans une prison reconvertie où nous recevions des messages du front. Je tapais à la machine des choses comme des certificats de décès et c’était vraiment triste. C’était un endroit où il faisait très froid et l’eau coulait le long des murs, des murs de ciment. De temps en temps, des motos arrivaient et apportaient des nouvelles du front, vous savez, les blessés et les morts et nous devions avertir le parent le plus proche au Canada de ce qui se passait.
Nous étions deux ou trois à trouver que nous ne nous étions pas enrôlés pour faire ce genre de travail. Nous étions des secrétaires hautement qualifiées et nous portions un insigne sur notre bras qui montrait que nous étions des dactylos et des sténographes de haut niveau. Ils nous ont donc transféré à Londres et j’étais au Quartier général. C’est là que j’ai commencé mon vrai travail avec le procureur de l’armée.
Pendant que nous attendions notre affectation, on m’a placé à un endroit où ils vendaient ou donnaient des cigarettes aux gens en permission qui revenaient du front. J’étais assise dans une petite cabine comme une guichetière et je remettais des cigarettes. Voilà, c’était mon travail temporaire pendant que j’attendais l’affectation au Quartier général de l’Armée canadienne (Canadian Military Headquarters).
Nous devions avoir des coupons de rationnement lorsque nous allions en permission et quand je suis allée voir ma grande-tante, mon amie et moi – j’avais emmené une amie avec moi à ce moment-là - on est allées dans un magasin pour faire des courses. On avait droit à un quart de livre de ragoût de bœuf, un oeuf et du beurre mais rien ne pouvait être emballé, donc nous étions dans le bus en tenant notre oeuf comme ça et personne ne semblait trouver ça étrange parce que tout le monde comprenait ce qui se passait. La viande enveloppée dans du papier de viande nous l’avions dans notre sacoche. Mais nous voilà, dans le bus en route pour voir ma tante, tenant chacune un œuf dans la main. Et cet œuf allait être notre petit-déjeuner.
Elle vivait dans cette belle maison à Southend, absolument magnifique. On s’est dit que c’était bien, vraiment mieux que la caserne. Elle nous a fait le ragoût pour le dîner et nous en avons eu assez pour elle aussi. Nous nous sommes fait l’œuf au petit-déjeuner. Nous avons augmenté ses rations.
Pendant que nous étions à Londres, chaque jour c’était l’aventure parce que pendant la nuit, des fusées volaient au-dessus de nous. D’abord, il y avait les bombes volantes [missiles allemands V1 propulsés par un moteur à réaction] et c’était effrayant parce que vous regardiez par la fenêtre comme je le faisais un matin, je regardais par la fenêtre de la salle de bain et j’ai vu cette petite bombe volante au-dessus de moi et je me suis dit, j’espère qu’elle va continuer son chemin. Mais ce qui se passait c’est que quand elles s’arrêtaient, tout le monde était en alerte parce qu’elles tombaient à un angle, graduellement. Elles descendaient et elles s’arrêtaient. Les gens directement en-dessous n’avaient rien à craindre mais les gens qui habitaient plus loin devaient faire attention à ne pas être touchés. Je n’en ai jamais entendu une s’arrêter.
Il m’est arrivé une aventure avec celles qui sont arrivées après, les longues fusées, j’ai oublié comment elles s’appelaient, c’était les V2, oui [les fuséesV-2 étaient des missiles balistiques à longue portée mises au point par l’Allemagne nazie]. Parce qu’elles étaient mortelles. Et elles causaient énormément de dégâts. Je me souviens d’un matin où j’étais dans la salle de bain en train de me brosser les dents et il y a eu un fracas épouvantable. Il y en avait une qui était tombée très près de chez nous, près de Marble Arch et nous étions juste de l’autre côté de Marble Arch à Notting Hill. Je me suis retrouvée sur le trottoir avec ma brosse à dents. J’avais dû courir sans penser. J’ai couru avec tous les autres gens et j’avais ma brosse à dent avec du dentifrice qui coulait sur mon visage.
[00:08:38] Une autre fois nous étions dans l’église, St Martin-in-the-Fields, qui se trouve à Trafalgar Square, et une V2 a plongé sur Marble Arch qui, à vol d’oiseau, n’était pas si loin de là où nous étions. Tout s’est arrêté dans l’église. Nous étions en train de chanter un hymne et tout s’est arrêté pendant environ 30 secondes. On a attendu, rien ne s’est passé et on a continué à chanter. C’est comme ça que c’était. On s’adaptait à ce qui se passait et si on était en sécurité on était en sécurité, c’est la seule chose qui comptait.
Une autre fois, j’étais assise à mon bureau et cette fois-là j’étais près de Regent’s Park. Je me suis retrouvée avec ma tête qui avait cogné contre un mur à cause d’une explosion. Les fenêtres étaient ouvertes et je suis tombée à un endroit qui s’appelait Swiss Cottage, près de Regent’s Park et ma tête a cogné le mur. Mais quand c’était fini, c’était fini, on continuait, je n’étais pas blessée. Mais vous ne saviez jamais ce qui allait se passer à cause des bombes volantes, peu importe où vous étiez.
Nous pouvions voir par la fenêtre la foule autour du marchand de journaux, les journaux qui se vendaient comme des petits pains. Nous avons quitté notre poste, nous sommes allés dans la rue et nous sommes montés jusqu’à Piccadilly Circus. J’ai souvent vu des photos de soldats et de gens à Piccadilly Circus et je regarde toujours si je peux me voir parce que j’étais là-bas, en train de tourner et de crier, survoltée parce qu’une partie de la guerre était terminée.