« J’ai été réveillé une nuit par un bruit tonitruant. Ma couchette était immergée. Avions-nous été torpillés ? Le navire inclinait fortement à tribord et des torrents d’eau entraient par notre porte cabine »
Pour le témoignage complet de M. Little, veuillez consulter en bas.
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Transcription
Je m’appelle Bruce Little. J’ai servi cinq ans pendant la Deuxième Guerre mondiale, au Canada, en Grande-Bretagne et en Italie. Puis j’ai eu la curieuse idée de m’enrôler aussi pour la Guerre de Corée, où j’ai servi trois ans. Dans l’armée, j’ai commencé dans l’artillerie avant de passer à l’infanterie, puis au bataillon blindé à la fin de la guerre. En Corée, j’étais technicien en électricité. En route vers l’Angleterre en février 1941, notre navire a été arraisonné à Warwick Castle, Halifax. Nous avons attendu 17 jours dans le port et changé trois fois de cargaison. Au dernier chargement visant à remplir la septième soute de munitions, nous en sommes venus à croire que c’était interdit pour un transporteur de troupes. Le mois de février est terrible pour traverser l’Atlantique Nord. La météo est généralement atroce. J’ai eu le mal de mer pendant les trois premiers jours, au point de ne pouvoir monter sur le pont ni avaler un repas. Quand j’ai finalement refait surface, des vagues hautes comme des montagnes secouaient tout le navire. Après une accalmie de quelques jours, nous avons été attaqués par des sous-marins allemands. Les destroyers et les corvettes sillonnaient la mer dans tous les sens en lâchant des dizaines de grenades sous-marines. Plusieurs hommes de notre convoi ont sombré. Et nous tentions de nous rassurer sur leur sort en nous disant qu’on ne pouvait survivre plus de cinq minutes dans ces eaux glaciales. Une bien mince consolation. J’ai été réveillé une nuit par un bruit tonitruant. Ma couchette était immergée. Avions-nous été torpillés ? Le navire inclinait fortement à tribord et des torrents d’eau entraient par notre porte cabine. Deux marins ont forcé leur chemin jusqu’à l’écoutille pour refermer le hublot. Je les entendais vitupérer: « Ces imbéciles de soldats... Incapables de fermer un hublot correctement. » L’eau cessa d’entrer. Le navire flottait toujours. J’étais trempé jusqu’aux os mais vivant. Deux ans plus tard, nous étions en route vers l’Italie à bord d’un vaisseau américain. Il y avait tant de monde que nous ne mangions que deux fois par jour, mais les repas étaient délicieux. Le voyage n’a cependant pas été une partie de plaisir. Une fois engagés dans la Méditerranée, une escadrille de Junkers 88 allemands nous a bombardés juste avant le coucher du soleil. Une torpille aérienne a explosé d’un côté du bateau, nous ratant de très près, puis une série de bombes a touché l’eau de l’autre côté, provoquant un geyser aussi spectaculaire que le « Old Faithfull ». L’atmosphère grondait du bruit assourdissant des bombes et des tirs de riposte. Mitraillettes, canons « Pom-Pom » et artillerie antiaérienne se sont joints au concert pour repousser les attaquants. Bouche bée, nous contemplions le spectacle quand l’officier du bord nous a ordonné de nous réfugier en cale. Nous n’avons rien vu du reste de la bataille. Un avion ennemi a été abattu et trois de nos bateaux ont coulé, dont l’un transportait un détachement canadien d’hôpital de campagne. À son bord, les infirmières militaires ont été rudement secouées avant le naufrage, mais toutes ont pu être rescapées. C’est du moins ce qu’on nous a dit après coup. J’ai été chauffeur et mécanicien pendant la plus grande partie de la guerre. J’avais suivi une formation sur les camions et les tanks. En 1944, on m’a délégué au Royal Canadian Regiment pour conduire une nouvelle arme secrète : le Weasel. Ce véhicule chenillé de la taille d’une jeep était aussi amphibie, ce qui avait une importance cruciale puisque les Allemands avaient inondé un vaste secteur que le régiment devait traverser. Et comme il n’y avait que deux Weasel pour tout le régiment, nous faisions sans cesse la navette pour transporter rations et munitions. Nous transportions aussi nos blessés et nos morts, aidant même l’aumônier à creuser pour ceux-ci des sépultures temporaires. Le Weasel avait une empreinte très légère, de manière à pouvoir rouler sur les mines d’impact sans les faire exploser. C’est du moins ce que disaient les experts. Nous transportions même des équipes d’éclaireurs à travers ce no man’s land, qui ressemblait plus à un lac qu’à un champ de bataille. Parmi les fonctions clés de ce véhicule génial, il y avait un petit bouton rouge derrière le siège du conducteur. Le Weasel était une arme secrète, rappelez-vous, et il ne devait à aucun prix tomber aux mains de l’ennemi. En appuyant sur ce bouton, on déclenchait trois livres de puissants explosifs, capables de désintégrer en mille miettes le véhicule et tout le monde à son bord. Je me croisais les doigts chaque fois que nous étions attaqués, de crainte qu’un tir ne déclenche cette charge. Ces moments comptent parmi les plus saisissants et les plus mémorables de ma carrière militaire.