« Nous avions perdu au moins la moitié de notre équipage d’aéronef expérimenté au cours des campagnes précédentes, certains ayant été abattus et d’autres ayant terminé leur service. »
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Transcription
Je suis le Dr Bruce MacKenzie et j’aimerais faire le bref récit de mes quatre années comme pilote de chasseur-bombardier pendant la Deuxième Guerre mondiale. Avant de m’enrôler dans la force aérienne en 1941, je rêvais d’étudier à l’Université de l’Alberta, mais la situation économique m’en a empêché… Puis mes années de guerre m’ont par la suite redonné une seconde chance.. Je suis devenu sergent-pilote dans l’Aviation royale du Canada à 18 ans. À ma retraite, à 23 ans, j’étais capitaine d’aviation avec rang d’officier. J’ai piloté mes premiers chasseurs (des Hawker Hurricane) au large de la côte est de Terre-Neuve. Nous décollions du terrain d’aviation de Torbay, près de St. John’s. Ces appareils étaient équipés de bombes sous-marines de 250 livres, qui étaient chargées sous les ailes, mais aussi de quatre mitrailleuses 303. Nous avions pour tâche de patrouiller la côte à la recherche de sous-marins allemands, car on savait qu’ils naviguaient dans les criques de Terre-Neuve et de l’île du Cap-Breton. Ils coulaient en effet les cargos chargés de minerai de fer qui étaient à quai sur l’île Bell, dans la baie de la Conception. Notre autre tâche consistait à dissuader le cuirassé Tirpitz (qui transportait un avion de repérage) de s’approcher de nos côtes pour y couler des navires alliés. Nous patrouillions à bord d’un monomoteur jusqu’à 100 kilomètres au large de la côte. Pour nous guider, nous n’avions que des compas et notre instinct de navigateurs. Les radios, qui n’étaient pas à « très haute fréquence », nous permettaient uniquement de communiquer entre nous et avec la base. Nous retournions parfois à Torbay, exténués par un vol éprouvant, pour nous retrouver au-dessus d’une piste couverte d’un épais brouillard. Or notre faible portée ne nous permettait pas d’atterrir ailleurs. Ces conditions défavorables et l’insuffisance de notre équipement ont provoqué quelques atterrissages particulièrement angoissants, qui donnaient tout leur sens à l’expression « À la grâce de Dieu ». En janvier 1944, quand les efforts alliés ont renversé le cours du conflit, notre escadron se trouvait en Angleterre et a adopté les fameux chasseurs Spitfire. Au sein de la Deuxième force aérienne tactique, nous pilotions des « chasseurs-bombardiers » transportant sous chaque aile une bombe de 250 livres et une autre de 500 livres sous le fuselage. Sans compter des canons 20 mm et des mitrailleuses 303. Avec cet arsenal, nous avions une mission de soutien rapproché et passions d’une station à l’autre, vivant « sous la tente » en quelque sorte. Avant le Jour J (Opération Overlord) et l’assaut contre l’ennemi qui occupait la Normandie, nous avons aidé à frayer la voie à l’invasion en larguant en piqué des bombes V1 sur différents sites et emplacements de canons antiaériens. Nous avons bombardé les trains ennemis et les véhicules qui approvisionnaient l’ennemi en région côtière. Notre escadron est entré profondément en France pour repérer et détruire les chasseurs et bombardiers nazis. Et toutes ces opérations ont servi à « préparer le terrain » à la fameuse invasion du Jour J. Le jour même de l’invasion, notre escadron avait pour mission de couvrir les atterrissages des unités de l’armée de terre britannique sur les plages de Normandie. Nous avons fait deux sorties ce jour-là, l’une à l’aube et l’autre en fin d’après-midi du 6 janvier 1944. C’était extrêmement pénible d’assister du haut des airs aux lourds bombardements des nombreuses flottes de la Marine. Nous voyons aussi les atterrissages et les féroces combats de chars qui se déroulaient dans l’arrière-pays, près la ville de Caen. Curieusement, aucun chasseur ou bombardier allemand ne s’est pointé dans notre espace aérien. Nous avons assuré une couverture quotidienne jusqu’à l’aménagement d’une bande d’atterrissage sur la tête de plage. Neuf jours après le Jour J (le 15 juin 1944), toute notre unité s’est déplacée pour s’établir sur un terrain appelé B3, tout près des falaises d’Arromanches. Nous étions la première escadre stationnée en sol français et la première à y décoller depuis l’évacuation de Dunkerque. La nuit, des bombardiers allemands survolaient notre site tandis que nous dormions dans des tranchées recouvertes de bâches. Pendant la campagne de Normandie, on a crédité notre escadron d’avoir détruit ou endommagé près de 500 véhicules motorisés ennemis. Sans compter une quarantaine d’avions de chasse allemands, depuis les préparatifs du Jour J jusqu’à la bataille de la poche de Falaise. Nous avons perdu des avions et des hommes sous les tirs antiaériens terrestres et des chasseurs Focke-Wulfe 190. Deux de nos chefs d’escadron ont été abattus et faits prisonniers. Mon propre avion a été rudement touché pendant la bataille de la poche de Falaise, mais j’ai eu la chance de pouvoir atterrir en catastrophe derrière nos lignes. Nous avons continué de couvrir l’armée qui pourchassait les Allemands dans toute la France et la Belgique. Nous étions alors stationnés à Anvers, en Belgique, d’où nous avons participé à l’« Opération Market-Garden » (la bataille d’Arnhem). Nous avions pour mission de garder le pont qui enjambe le Rhin à Nijmegen, de sorte que les avions allemands n’ont pu l’endommager ou le détruire. Cette opération a été suivie d’une accalmie et nous sommes rentrés en Angleterre, à Folkstone. Nous avions perdu au moins la moitié de notre équipage d’aéronef expérimenté au cours des campagnes précédentes, certains ayant été abattus et d’autres ayant terminé leur service. Nos missions consistaient désormais à escorter les bombardiers lourds (Halifax et Lancaster) qui attaquaient les usines de la Vallée de la Ruhr. Ma série de vols opérationnels a pris fin au bout de 131 missions de bombardement, de mitraillage et d’escorte au-dessus de territoires occupés par l’ennemi, toujours sous d’intenses tirs antiaériens. Le Jour de la Victoire en Europe (le 8 mai 1945), je l’ai célébré au milieu de l’Atlantique sur le navire qui nous ramenait au pays. Nous espérions que les U-boats allemands avait été informés de la fin de la guerre ! J’ai été démobilisé à mon arrivée au Canada, puis j’ai entrepris mes études de médecine dentaire à l’Université de l’Alberta grâce à l’allocation aux anciens combattants. J’ai pu réaliser ce rêve que j’avais, mais non sans avoir parcouru un chemin long et éprouvant. Je suis parmi ceux qui ont eu la chance de survivre à cette atrocité, et j’ai toujours été reconnaissant d’avoir eu la possibilité d’étudier et de devenir dentiste spécialisé en pédiatrie.