J’ai été blessé sept fois au total pendant cette période, et le 3 mai (1953), le jour de mon anniversaire par pure coïncidence, la position que je défendais (pendant la bataille de la Colline 187) a été envahie et j’ai été fait prisonnier et je crois vraiment que c’est l’étoile de sous-lieutenant sur mon épaule qui a empêché qu’on me descende sur le champ. Les chinois pensaient qu’ils avaient capturé le brigadier général américain (du secteur).
Or, à partir de là, j’ai marché avec une jambe cassée et un éclat d’obus qui pendait de ma tête, une épaule cassée, un bras cassé, à travers différents endroits chinois, pour finalement me retrouver dans un coin isolé où j’avais mon propre peloton de gardes chinois dans un petit appentis sur le côté de la maison d’une coréenne.
Ils ont essayé les trucs habituels, bon, je pense que j’appellerais ça des tortures, or même si je pense que j’étais plutôt dans les vapes à ce moment-là, avoir un gars qui jouait du violon de manière monotone dehors alors que j’essayais de dormir un peu, je suppose qu’on appelle ça privation de sommeil de nos jours. Ça a marché pendant un moment, mais (rire). Je me souviens qu’ils m’ont mis en face du peloton d’exécution une fois, c’était leur petite blague. Ce qui, ils voulaient que je creuse ma propre tombe et j’ai dit : « Non, si vous voulez me descendre, allez-y. » Et ils ont répondu : « Bon, non, non, non, tu ne veux pas, si on te descend, tu ne veux pas te retrouver allongé dans une rizière. » Et j’ai dit : « Pourquoi pas ? » Alors pour continuer la journée, on était en quelque sorte, ne savait pas quoi faire après ça alors deux des soldats chinois du peloton d’exécution ont creusé la tombe et puis à la dernière minute, un gars arrive en courant de la colline et dit : « Oh non, ils veulent lui parler là-haut sur la colline. » Bon, je pense que c’était un coup monté, du moins c’est comme ça que je le voyais, et ils ne m’ont jamais descendu.
J’étais courbé au dessus d’une chandelle dans cette petite cellule où ils m’avaient mis, je ne pouvais pas tenir debout dedans, et je suppose que le garde chinois a cru que je faisais quelque chose, une prière ou quelque chose, il parlait un peu anglais, il a ouvert la porte et s’est précipité à l’intérieur et il a dit : « Pas Dieu, pas Dieu ! » J’étais un peu surpris qu’il me crie dessus et j’ai réussi à piger ce qu’il disait. Et, alors j’ai juste continué à faire ce que je faisais, je ne croyais pas qu’il allait faire autre chose, peut-être courir chercher l’interprète ou quelque chose comme ça. Mais ce qu’il a fait c’est de mettre le canon de son arme sur ma tempe et il a appuyé sur la détente. Ça s’est passé tellement vite et j’ai été aussi surpris que lui quand le coup n’est pas parti. Et il m’a regardé, a pris son arme et l’a jetée dans le coin et a couru dehors en hurlant jusqu’en haut de la colline. Quelques minutes plus tard, l’interprète est descendu et a dit : « Que s’est-il passé ? » Alors je lui ai raconté. Et il est allé dans le coin de la cellule et a ramassé le pistolet – je ne l’avais pas touché – il a ouvert le barillet, a sorti la balle, pour sûr, le percuteur avait heurté l’amorce mais la balle n’était pas partie. Ce n’était pas du bluff, il avait simplement eu, vous savez, les soldats font ça en temps de guerre. Il était juste, ce qu’il avait appris, son endoctrinement l’avait conduit à croire certaines choses et il allait régler ça ici et maintenant. Et ma foi, ça n’a pas marché tout simplement. Donc je pense que ça a été la situation la plus inquiétante de toutes.
Finalement, à peu près une semaine avant la fin de la guerre, on m’a emmené dans un camp. Ce n’était pas officiellement un camp, c’était plutôt une zone de rassemblement avec un paquet d’officiers américains et un officier australien, et là j’étais en tellement mauvaise santé que j’étais en train de mourir et on m’a placé dans leur poste sanitaire pendant deux jours. Et ensuite j’ai été entendu par un interprète qui est venu et a dit : « Il faut qu’on vous nettoie, vous partez en Chine. » Et j’ai répondu : « Hein ? » En tout cas, je n’étais pas en situation de faire quoi que ce soit alors je suis parti, ils m’ont emmené à la rivière qui était située près de la zone de rassemblement, et je suis arrivé à la rivière et je me suis lavé et je suis sorti, ils avaient une tenue bleue de commissaire du peuple complète qui m’attendait et une chemise blanche avec ce que j’appelle un « col mao » et une casquette. Et ils m’ont pris mon uniforme en lambeaux et m’ont fait enfiler ce costume de commissaire du peuple chinois. La seule chose qu’ils m’aient laissé, c’était mon foulard régimentaire, que j’ai toujours.
Ensuite ils m’ont emmené auprès du général chinois qui contrôlait le secteur, et il était descendu à la zone de rassemblement, et ils m’ont présenté, il parlait très bien anglais et il a dit : « Non, vous ne partez pas en Chine, vous allez amener un convoi d’ambulances à Panmunjom. Le convoi est sous votre responsabilité, vous êtes le commandant du convoi. » Et j’ai dit : « Bien, mon général. » Je ne savais pas quoi dire. J’ai dit : « Quand est-ce que ça va se passer ? » « Oh, a-t-il dit, là maintenant, l’interprète va vous emmener de l’autre côté à l’endroit où le convoi attend. » Alors je ne savais pas quoi faire d’autre, c’était un général, alors vous savez, je ferais mieux de le saluer. Alors il était surpris mais il a retourné le salut et c’est passé aux nouvelles chinoises. Je ne sais pas s’ils ont aussi montré son salut à lui. Je suis allé en bordure de la colline et il y avait 19 ambulances russes (…), il y avait 90 soldats de l’ONU dedans, tous grièvement blessés, aucun d’entre eux n’avaient été – évidemment aucun d’entre eux n’avait été échangé, même si des deux côtés ils avaient proclamé que le dernier échange avait eu lieu (depuis l’armistice de juillet 1953). Alors je suis descendu et j’ai fait la connaissance du chauffeur de tête qui a dit qu’il était un ex employé d’une banque de Shanghai, son anglais était excellent. Et j’ai dit : « Bon » et il a dit : « Bon, que voulez-vous faire ? » Et j’ai répondu : « Vas-y ». Et nous voilà partis.
On a voyagé jusques tard cette nuit-là et on est allés à Panmunjom, et sommes arrivés à un avant-poste de l’ONU, tenu par un soldat américain, avec une barrière en travers. Il était très surpris de nous voir. Alors il a dit : « Qui êtes-vous ? » Je lui ai dit qui j’étais. Évidemment, je porte, souvenez-vous, le costume bleu et ça le rend très soupçonneux, 19 ambulances russes, toutes conduites par des chinois. Alors il a dit : « Bon, vous allez devoir faire demi-tour et repartir parce que je ne vais pas être remplacé jusqu’à 4 heures de l’après-midi, je n’ai ni radio ni téléphone. » Je suis entré et j’ai dit : « Regarde, je suis un officier, de l’armée canadienne, que tu le crois ou pas, et nous allons passer. Si je retourne là-bas maintenant, je suis sûr qu’ils vont nous descendre et plus de problème. » Donc j’ai dit : « Combien de cartouches dans ton fusil ? » Et il a dit : « Dix. » Et j’ai dit : « Bon, pourquoi n’irais-tu pas au bout. » - il était tellement inflexible sur c qui était de nous laisser passer – « Va jusqu’à la dernière ambulance et descend une dizaine d’hommes, comme ça tu pourras dire que tu n’avais plus de munitions pour défendre le poste. » Et il m’a regardé et il a dit : « Vous êtes dingue. » Et j’ai dit : « c’est vrai, je suis suffisamment dingue pour défoncer ta barrière. »
Mais un jour j’étais garé là-bas à Victoria (Colombie Britannique), ça fait déjà quelques années, et j’ai observé un monsieur asiatique qui sortait d’un restaurant asiatique japonais, et sa tête me disait quelque chose et ça m’a pris deux minutes pour le reconnaître. Voyez, c’était l’interprète que j’ai vu dans l’un des camps (en Corée). Alors je me suis approché par derrière et on avait un surnom pour lui, son nom c’était « Bloody Hands » parce qu’il essayait toujours de dire aux gens que les occidentaux avaient du sang sur les mains et c’était sa phrase d’introduction tout le temps. On n’aurait pas dû faire la guerre contre eux. Et alors il avait hérité de ce surnom. Alors je me suis approché par derrière – et je suis certain qu’il savait que c’était son surnom – et je me suis approché par derrière parce qu’il descendait la rue Blanchard et j’ai dit : « Bloody Hands, qu’est-ce que tu fais ici ? » Bon, je n’ai jamais vu un homme pâlir aussi vite. Il : « Oh non, non. » J’ai dit : « Je suis quasi certain que vous n’êtes pas un immigrant légal et je vais m’occuper de ça. » Et je suis retourné à ma voiture, l’ai suivi lentement dans la rue Blanchard en gardant une distance raisonnable, et puis je suis rentré et j’ai téléphoné aux services de l’immigration. Mais il avait filé entre temps, peu importe où il est allé, je n’ai pas la moindre idée.
Oh mon Dieu, ça devait être dans les années 80. Disons 1981, quelque chose comme ça. Alors ça faisait quoi de 1953 jusqu’à une trentaine d’années plus tard. Mais il n’avait pas tellement changé.