Project Mémoire

Clifton Mark Pezim

Ce témoignage fait partie de l’archive du Projet mémoire

L'Institut Historica-Dominion
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Clifton Pezim à North York, Ontario, le 13 mai 2010.
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Clifton Pezim
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Photo prise pendant un entrainement de base à Orillia, Ontario.
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Clifton Pezim (au centre) et des amis en permission à Paris, France. Ils sont photographiés ici dans un hôtel pris par les Forces canadiennes.
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Clifton Pezim à la station RCAF, Leeming, Angleterre, le 13 octobre 1945.
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Clifton Pezim (droite) et un ami à Picadilly Circus, Londres, Angleterre, le 9 avril 1944.
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sortant du tramway, le gros titre à la une des journaux c’était : ARMAGEDDON. C’était ça le gros titre. Et j’ai su que ce n’était qu’une question de temps avant que je me retrouve en uniforme.

Je me souviens du jour où les allemands sont entrés en Pologne ; c’était le 1er septembre 1939. Je me souviens d’être sur le chemin de – je n’avais que 17 ans – Je me souviens que je me rendais au Parc des expositions (à l’exposition canadienne nationale) et en sortant du tramway, le gros titre à la une des journaux c’était : ARMAGEDDON. C’était ça le gros titre. Et j’ai su que ce n’était qu’une question de temps avant que je me retrouve en uniforme.

Et quand j’ai été un peu plus âgé, j’ai essayé de m’engager dans l’armée de l’air mais ils avaient des listes d’attente très longues. J’ai essayé de passer par différents bureaux de recrutement ; je suis allé à Hamilton, je suis allé à Ottawa. Alors j’étais impatient mais comme on n’avait pas les infrastructures à l’époque ; il y avait tellement de volontaires. Alors je suis descendu pour m’engager dans l’armée de terre.

J’étais là-haut à Orillia en Ontario, à un camp d’entrainement élémentaire. – c’est une subdivision maintenant. Mais en tout cas, c’était un hiver sacrément froid et je me souviens du premier dimanche matin où on nous a dit de rompre les rangs, dehors sur la place d’armes pour le service religieux. Et le sergent major a crié, les protestants sur la droite et les catholiques sur la gauche ! Et je reste là debout. Et il a dit, qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? Et j’ai répondu, je ne suis pas protestant, je ne suis pas catholique. Il a dit, alors qu’est-ce que tu es ? J’ai répondu, je suis juif. Il a dit, juif ? À la cuisine. Alors je me suis retrouvé à récurer les casseroles et ainsi de suite.

Le dimanche suivant, la même chose s’est passée à nouveau, les protestants sur la droite, les catholiques sur la gauche… Ils sont allés assister à leurs services respectifs. Et à nouveau, je me retrouve debout tout seul et il a dit, d’accord – je n’arrive pas à me souvenir dans quel ordre – préposé pot de chambre, je suis sûr que vous savez ce que c’est (nettoyage des latrines). Et après deux ou trois dimanches matins à faire ça, alors pour finir j’ai décidé, je vais me convertir. Alors le dimanche suivant j’étais protestant, je suis parti au pas cadencé avec les protestants. Et le dimanche suivant, j’étais catholique et je suis parti avec les catholiques. Et puis le temps passant, il y a eu quelques autres juifs qui ont été envoyés dans le camp et on nous a donné l’autorisation d’organiser notre propre service religieux et un marchand d’Orillia nous a prêté un espace au dessus de son magasin et on descendait au pas là-bas le dimanche matin et on faisait notre propre service juif.

On m’a dit de retour au camp, qu’on était, notre régiment partait cette nuit-là et on nous a équipés avec des vêtements d’été et des uniformes d’été et il était plutôt évident qu’on allait partir pour l’Afrique du Nord. Ce jour-là précisément, un soldat qui occupait le lit à côté du mien est arrivé avec la scarlatine, je crois. Un médecin militaire est venu, l’a mis en quarantaine et a dit, qui est dans le lit à côté du sien ? Et j’ai levé la main et le gars de l’autre côté aussi ; il a dit, mettez ces deux hommes en quarantaine. Alors on m’a mis en quarantaine à l’hôpital et mon régiment est parti cette nuit-là et on m’a laissé là.

Moins de deux jours plus tard, j’ai reçu l’ordre d’aller dans le bureau du commandant et ils avaient mes papiers de transfert. Et si j’avais quitté le district militaire je n’aurais pas pu être transféré. Alors c’était purement et simplement un coup de veine extraordinaire – à cause d’un homme qui est tombé malade – que j’ai fini, en fait j’ai été officiellement libéré de l’armée de terre pour aller dans l’armée de l’air. J’ai été escorté par deux policiers militaires jusqu’à la station de train de Kingston où deux policiers de l’armée de l’air m’ont récupéré et on m’a emmené à Ottawa – et je portais toujours l’uniforme de l’armée de terre - et on m’a fait prêter serment à l’armée de l’air.

J’ai d’abord été envoyé – en même temps que des centaines d’autres – dans un camp d’attente près de Gloucester dans le sud de l’Angleterre. Ensuite j’ai été affecté à une unité de l’armée de l’air à Bournemouth dans le sud, sur la côte sud. Je n’y ai pas passé très longtemps et puis on m’a envoyé à Durham, à l’extérieur de Darlington, qui est là-haut près de, en se rapprochant du bord de l’Écosse. Et j’ai été dans une base de bombardiers là-bas pendant quelques temps, qui faisait partie du Groupe n°6, qui était le groupe des bombardiers canadiens, où j’ai accompli plusieurs genres de tâches avec les équipages au sol, y compris le chargement des bombes dans les bombardiers Lancaster ; je me suis occupé de ça pendant quelques temps. J’étais aussi, au moment du jour J, on prévoyait, ou il y avait cette idée que les allemands allaient planifier une contre-attaque et larguer des parachutistes en Angleterre. Moi, et d’autres on a été affectés à la surveillance de nos avions quand ils rentraient et on dormait sous les ailes et ainsi de suite parce que nous ne savions pas… Les avions étaient disséminés, ils n’étaient pas concentrés au même endroit pour éviter évidemment en case d’attaque.

On scrutait le ciel en permanence ; on m’a donné une mitrailleuse Bren et ainsi de suite mais il n ‘y a pas eu de parachutistes heureusement. On ne le savait pas à ce moment-là mais la Luftwaffe (armée de l’air allemande) avait été décimée jusque-là et il n’en restait quasiment pas, alors. Mais on ne le savait pas, on a découvert ça après coup seulement.

Mais la guerre s’est terminée et ça a donné l’occasion à de grandes réjouissances, le 8 mai 1945. On m’avait donné une permission parce qu’on avait des milliers d’hommes et ils ne savaient pas quoi faire d’eux parce que bien qu’on ait eu beaucoup de victimes, on n’en avait pas eu autant que ce que le commandement avait prévu et donc, il y avait des hommes en trop et on m’a donné une permission. Je suis allé en Irlande et j’étais sur un bateau anglais le jour où la guerre a pris fin, officiellement. Et on était, les U-boot allemands venaient – ceux qui restaient qui n’avaient pas été coulés – on les a pris, ils sont venus avec nous et on a vu leurs kiosques sortir de l’eau, ce qui était un peu effrayant, parce qu’on ne savait pas ce que leurs hurluberlus de commandants allaient décider de faire car ils avaient encore leurs torpilles et ils avaient encore la possibilité de faire des dégâts. Ce qui s’est passé, ça ne s’est pas passé, mais on n’en savait rien.

Et on a pris les équipages des U-boot sur le bateau dans lequel j’étais. Et j’étais, je suis arrivé à Belfast et j’y étais le jour où la guerre a pris fin officiellement. Et j’étais sur une grande place où il y avait des milliers et des milliers d’irlandais, certains d’entre étaient des irlandais du nord, qui fêtaient la fin de la guerre en Europe. On était encore en guerre avec le Japon.

J’ai réussi à aller à, j’avais encore un peu de temps avec ma permission, je suis parti et je suis descendu à – je devais porter des vêtements civils, je devais me rendre dans le sud de l’Irlande parce qu’ils étaient neutres pendant la guerre. Ils étaient, je ne dirais pas qu’ils étaient pour les allemands mais ils étaient anti anglais et bien sûr ça durait depuis, on sait ce qui s’est passé ces dernières années en Irlande.

Je me souviens bien de voir ; une des premières choses dont je me souviens c’est de voir le drapeau des nazis flottant à l’ambassade d’Allemagne à Dublin et je me souviens du président de l’Irlande, De Valera, aller à l’ambassade d’Allemagne pour signer un registre de condoléances parce qu’Adolf Hitler était mort.

Je me souviens bien de la nuit où on a entendu parler… On ne savait pas ce qu’était une bombe atomique et on a entendu parler de cette énorme nouvelle bombe qui avait explosée au dessus du Japon. Et les japonais avaient capitulé et le jour de la Victoire au Japon, qui est je crois le 15 août (1945), je me souviens que sur le terrain d’aviation où je me trouvais, la base, l’aérodrome sur lequel j’étais, ce dont je me souviens c’est de la fête de tous les diables parce que ça voulait dire que la guerre était officiellement terminée. Et ça a été une nuit de folie. Les gars prenaient des avions et faisaient le tour en volant et l’alcool coulait à flots et c’était vraiment fou.

Bon, j’étais évidemment très heureux qu’on ait gagné la guerre, parce qu’il y a eu des moments où ça avait l’air d’aller plutôt mal. J’étais très heureux quand je suis enfin rentrer chez moi, après avoir été loin pendant plusieurs années sans avoir vu ma famille. Et je me souviens, je me souviens encore de ma mère traversant en courant la foule au Parc des expositions quand on est arrivés, on nous a emmenés là à bord des trains de troupes depuis Montréal. Et quand je suis arrivé chez moi à la maison ce soir-là, ils avaient mis des drapeaux, elle avait toutes sortes de drapeaux qui pendaient sur le devant de la maison, vous auriez pu croire que le Général Eisenhower lui-même était rentré chez lui. Et alors c’est un souvenir très heureux.

J’ai des souvenirs très mélangés au sujet de la guerre, évidemment. On a traversé des moments difficiles, on a eu de bons moments. Mais au fond, on n’avait pas vraiment le choix. On faisait ce qu’on nous disait de faire. Et ce n’est pas comme aujourd’hui, où vous pouvez, vous allez là-bas, ils rentrent chez eux en permission et ainsi de suite. Vous vous engagiez et vous vous engagiez pour toute la durée de la guerre. C’était soit vous rentriez chez vous, soit vous finissiez dans une boite et voilà. Heureusement, je suis rentré chez moi mais nombre de mes amis ne sont pas rentrés. Et ça… Je suis toujours très… Je pense à eux très souvent.