Je me suis retrouvé affecté au Regina Rifles, qui était la 3ème division, 7ème brigade. On remontait la côte et on a fini en Belgique. On traversait le canal Léopold, qui fait la frontière entre la Belgique et le Hollande. On a traversé avec des bateaux, tôt le matin évidemment, on a traversé avant le lever du jour. On a attaqué et les allemands nous ont eu, on était faits comme des rats, parce qu’on ne pouvait pas se servir du soutien comme on le faisait d’habitude, comme dans le sud de la France, où le terrain est solide, ils utilisaient l’artillerie. Et ils bombardaient juste devant nous. Mais là, ils ne pouvaient pas s’en servir à cause du terrain complètement inondé. Ils ne voulaient pas faire empirer les choses en envoyant des obus là dedans. Alors on a attaqué sans le moindre soutien.
Je me suis approché à 200 mètres peut-être, à 150 mètres, je ne suis pas sûr. Mais en tout cas, notre section, une trentaine d’hommes en tout, on a perdu beaucoup de gens là-bas. Notre officier s’est fait tuer pendant qu’on traversait le canal dans le bateau, ce que je n’ai su qu’après. Mais quand le jour s’est levé, les renforts devaient venir à nous mais ils n’y sont pas arrivés, alors on était coincés là et on ne pouvait pas retourner vers le canal, on ne pouvait pas avancer. Un certain nombre de tués, j’ai découvert ça après un certain nombre. J’ai été blessé juste au lever du jour. Et mon épaule gauche, j’étais allongé évidemment. Quand vous êtes pris dans une attaque comme ça, vous restez allongé pour essayer de vous protéger. Et ça m’a touché en haut de l’épaule et c’est ressorti sous mon bras. Et j’ai saigné – je ne sais pas à quel point c’était près de l’artère mais je suppose que ça saignait beaucoup – mais heureusement, je ne me souviens pas trop de cette journée. J’ai repris connaissance deux fois et j’ai regardé alentour, il ne se passait rien, pas un bruit, rien. Je suppose que je me suis évanoui à nouveau.
En tout cas, à la nuit tombée, j’étais resté allongé toute la journée, je ne sais pas s’ils pensaient que j’étais en train de mourir. Je suppose que j’étais bien parti mais les allemands sont arrivés et tout ce dont je me rappelle, ce gars-là m’a réveillé avec son pied et a hurlé, raus ! Et j’ai en quelque sorte levé les yeux et il a vu que je ne pouvais pas raus, ce qui veut dire se lever. Alors j’étais juste couché là et je suis resté couché là jusqu’à ce que la nuit tombe. Et un jeune soldat allemand qui avait été blessé à la main s’est approché, je crois que c’était sa main gauche qui était blessée, il est venu et on a parlé, ou plutôt on a essayé de parler, on a réussi à communiquer en tout cas, et il m’a aidé à me lever. Et il m’a attrapé dans le dos, derrière le dos par la ceinture avec sa main droite et m’a reconduit, je ne sais pas sur quelle distance on a marché. Je titubais je crois et on s’est retrouvés à la station de premiers secours et là ils se sont occupés de moi, ont pansé ma plaie et on est restés là environ une semaine. Et puis on s’est retrouvés dans des hôpitaux civils à Amsterdam et tous ensemble, ils nous ont ramenés, ils nous ont traités exactement comme les blessés allemands. On nous a ramené à la même allure en train, en voiture etc. Je me suis retrouvé dans le camp de prisonniers allemand, le Stalag XIB, qui était – si tant est qu’on pouvait être sûr – on était près de Essen, qui est une région industrielle en Allemagne.
Dans le camp, la manière dont on a survécu ou la manière dont on vivait, tu t’arrangeais avec un gars que tu appelais ton pote Je ne sais pas d’où ça vient, ça venait du français je suppose, un pote. Et vous faisiez attention l’un sur l’autre. Quand vous receviez un colis de la Croix Rouge, à ce moment-là, on était censés recevoir un colis de la Croix Rouge par semaine. Mais on n’en avait qu’un pour deux. Alors on recevait le colis de la Croix Rouge ce qui nous a vraiment sauvé la vie parce qu’on n’était pas très bien nourris.
Mais avant de nous les donner, le garde allemand avait un pic à glace. Il vous faisait ouvrir le colis et il perçait chacune des boites de conserve pour vous empêcher de les mettre de côté pour vous enfuir avec. Vous deviez les manger et si c’était de la viande par exemple, vous n’aviez qu’un certain laps de temps pour la manger. Quoiqu’il en soit, on est restés là pendant presque deux mois et ils sont venus et pour quelque raison que ce soit, ils ont rassemblé 200 canadiens de là. Il y avait environ 10000 personnes dans ce camp, entre les américains et les britanniques et nous-mêmes ; ils nous ont appelés nous et ils nous ont envoyés dans un camp plus petit situé au sud-ouest de cet endroit. En tout cas c’était un petit camp, il était tout près d’une mine de sel. Et ils nous emmenait le matin. On faisait 3 kilomètres à pied, ils nous faisaient descendre dans la mine de sel à 650 mètres de profondeur environ, et il y avait des grandes salles qu’ils faisaient exploser pendant la nuit et on devait s’occuper de charger les wagonnets et ils faisaient sortir le sel. Et on a découvert que c’était pour, finalement, ils allaient construire une usine de Focke-Wulf là en bas en souterrain.
Et il faisait sec, c’était agréable, et ça se passait pendant l’hiver et c’était tout simplement une mine au sec très agréable. Mais ce qui était intéressant c’est qu’il y avait des prisonniers là en bas, des prisonniers politiques, pour la plupart des allemands, ils étaient là depuis 1932, 1933, quand Hitler est arrivé au pouvoir. Et s’étaient-ils opposés à lui ; ils étaient là en bas et ils ne les faisaient monter qu’une heure par semaine environ. On ressortait tous les soirs et on rentrait au camp. Et on est finalement partis de là en avril 1945. Les anglais étaient arrivés et ils ont pris le contrôle là-bas et ils nous ont laissés partir. Mais c’est à peu près tout ce qu’il en était. Notre journée c’était, tu te levais à 6 heures du matin, tu allais à la mine à pied. Les repas des allemands c’était, tu avais une espèce de café fait à partir de betterave à sucre, la pulpe de la betterave à sucre et ils la faisaient rôtir et ça donnait une couleur marron à l’eau mais ça n’avait pas du tout le goût du café. Mais c’était chaud et c’était marron. Et c’était ça notre café, c’était le petit-déjeuner.
Quand on rentrait de la mine ils partageaient un de ces pains noirs –c’était du pain noir très dense – un pain ça faisait pour six personnes. tu le coupais et chaque gars avait droit à un sixième du pain. Et un bol de soupe. Et la soupe la plupart du temps c’était des betteraves, des navets, le haut de la betterave ou du navet, voilà ce que c’était. Il n’y avait rien d’autre dedans. Et c’était pratiquement tout ce qu’on nous donnait à manger.
On avait des périodes de travail de huit heures à la mine et on ne travaillait pas trop dur. Vous savez, je veux dire, on n’était pas très bien nourris. Mais à part ça, tout allait bien.
Ils nous ont faits partir de là en avion. Finalement quand on est rentrés, ils nous ont envoyés en Angleterre en avion et ils nous ont mis à l’hôpital et nous ont tous regardés. Ma blessure s’était réparée tant bien que mal. Je n’ai pas eu besoin de repasser sur le billard ou quoi que ce soit.